Bertrand Perier : « personne n’arrive au niveau de Philippe Séguin »

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Les sélections de la sixième édition du Prix Philippe Séguin 2015 commencent aujourd’hui. Le match d’ouverture d’une compétition de trois semaines qui donnera à Irina Kratz un(e) successeur(e) parmi la crème de la crème de l’éloquence sciencepiste. Pour patienter, nous sommes allés rencontrer Bertrand Perier, avocat au barreau de Paris et personnalité incontournable du gratin de l’éloquence sciencepiste pour évoquer le grand orateur qu’était Philippe Séguin.

 

Lors du PPS 2011, Henri Guaino lui-même à la tribune reconnut que Philippe Séguin parlait d’une « voix sourde et monocorde ». Didier Migaud à la même tribune expliqua aussi que Séguin avait « voix sourde ». et qu’« il fallait souvent lui approcher le micro ».  On peut donc être un grand orateur avec une voix sourde et sans savoir parler dans un micro ?

C’était d’abord un homme sincère, ce n’était pas un orateur d’estrade, de tribune. Lorsqu’il parlait, c’était une sorte de roulement de tambour permanent, il bougonnait en permanence, mais il y avait chez lui une sincérité du propos qui attirait inévitablement l’attention.  

Et puis au delà de ça, il avait une plume, une langue très précise, très châtiée qui était au service d’un message très fort. Le souvenir le plus marquant, c’est évidemment la campagne sur le référendum du traité de Maastricht en 1992 où il faisait campagne pour le “non” et se retrouvait isolé. Philippe Séguin avait une vraie authenticité et c’est de là que vient sa force de conviction : il était très sincère dans son engagement.

Il faut parler d’une chose, c’est le débat de 1992 sur Maastricht. Séguin se fait manger. Mitterrand est cavadérique. Et Séguin n’ose pas attaquer parce que ce n’est pas un requin de la politique, la fin ne justifiait pas les moyens. Séguin a accepté de se faire manger parce qu’il a décidé de ne pas utiliser les moyens qui s’offraient à lui c’est à dire de profiter de la faiblesse physique de François Mitterrand.

Séguin était connu pour avoir une grande culture politique, historique et littéraire. Est-ce que ça compte pour être un grand orateur ?

Oui bien sur. Il n’y a pas d’orateur sans épaisseur culturelle, sans verticalité : nous sommes des nains sur des épaules de géants.

Philippe Séguin et François Mitterrand lors du débat animé par Guillaume Durand en 1992.
Philippe Séguin et François Mitterrand lors du débat animé par Guillaume Durand en 1992.

Ce n’est pas forcément le cas de Nicolas Sarkozy pourtant …

C’est vrai. Or Nicolas Sarkozy est un orateur exceptionnel. Je ne sais pas quel est le niveau de sa culture mais c’est un orateur d’une grande efficacité. Son meilleur discours, c’est celui de la Mutualité. Il y a chez lui une énergie exceptionnelle, une vista, c’est impressionnant.

Pour Philippe Ruitort, “les origines sociales et le milieu dans lequel a évolué Philippe Séguin dans son enfance étaient un atout pour pouvoir s’adresser à des publics assez composites. Autrement dit, pour ne pas tenir un « discours d’énarque »”. Qu’est-ce que ça vous inspire ?  

On ne peut pas comprendre la parole et la pensée de Séguin si on ne prend pas en compte deux éléments de son histoire personnelle que sont la Tunisie et la perte du père. Je crois que sans doute, les grands orateurs sont tous des orphelins : les orphelins   sont surprésentés chez les grands orateurs, il doit forcément y avoir un lien ! C’est de la psychanalyse de bazar mais la perte précoce du père y est pour quelque chose.

Il faut regarder par exemple le discours bouleversant qui a été fait pour moi par Serge Moati dans l’amphi Boutmy lors du prix Philippe Séguin, c’était exceptionnel, c’est bouleversant d’émotion.

Henri Guaino avait affirmé en 2011 lors de la remise du PPS qu’  « on ne juge pas un discours aux applaudissements » asséna-t-il. Il ajouta que pour lui un discours est bon « s’il est écouté religieusement ». L’applaudimètre est trompeur au PPS ?

Evidemment ! L’applaudimètre peut récompenser d’autres qualités que celles qu’on attend véritablement d’un orateur. L’applaudimètre récompense le bon copain, celui qui aligne des calembours. L’orateur c’est celui qui impose le silence et l’écoute.

Les deux discours d’Alexis Goin et d’Irina Kratz (NDLR : les deux derniers gagnants) étaient pourtant très drôles …

Je me souviens très bien du discours d’Alexis Goin. Son discours avait les qualités d’Alexis : il est intelligent, drôle, facétieux, il a une forme d’autodérision. Mais très clairement, la vraie chose formidable dans la finale d’Alexis Goin, c’est la réponse qu’il fait à la question sur l’éloquence. Il y a une vraie profondeur du propos qui pour un garçon de 17 ans à l’époque impressionne.

Irina Kratz, lauréate du PPS 2014.
Irina Kratz, lauréate du PPS 2014.

A l’inverse, l’autre grand énarque du RPR des années 90, avec qui ne s’entendait d’ailleurs pas très bien Philippe Séguin, c’est Alain Juppé. Il vient à Sciences Po jeudi. A quoi faut-il s’attendre ?

Bonne nuit.

Aujourd’hui dans l’échiquier politique français qui arrive au niveau de Philippe Séguin ?

Personne. Personne parce que personne ne porte plus cette sincérité là, cette authenticité là, cette vérité du discours, cette élégance et puis il faut le dire, cette vision de la France. Séguin est quelqu’un qui a toujours mis son éloquence au service de la France et personne ne promeut plus cette vision là : il n’a pas d’hériter.

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