Yvon Ollivier, ou la bretonnité révélée à Sciences-Po
Yvon Ollivier en dates clés
-1967 : Naissance à Brest
-1991 : Entrée à Sciences-Po en section Service public
-1995 : Entrée à l’ENM de Bordeaux
-2006 : Vice-procureur au TGI de Nantes en charge du Parquet des mineurs
-2008 : Initiateur du mouvement contre la réforme Dati et pour l’unité judiciaire de la Bretagne
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Ce qui frappe chez Yvon Ollivier quand on le rencontre pour la première fois, c’est la force du regard. Un regard dur et profond, comme le soc d’une charrue déchirant la terre sableuse de son Léon d’origine. Mais qui semble aussi scruter le lointain, comme le font les marins quand se lève le vent de galerne. Le verbe haut et juste, la main leste et fébrile, il défend passionnément une idée, martelée tout au long des conférences qu’il donne : l’émancipation du peuple breton. Emancipation culturelle, linguistique, mais aussi politique et économique. Rebelle, iconoclaste, ce jeune magistrat nantais compte bien jeter un pavé dans la mare jacobino-conformiste qu’il fustige partout où il passe: tout le contraire d’un pur produit de Sciences-Po. C’est pourtant sur ses bancs qu’il a forgé ses convictions, où s’est constituée la matrice de son engagement futur. Portrait d’un breton à la rue Saint-Guillaume.
L’enfance Bretonne
Né à Brest, Yvon Ollivier grandit dans la petite ferme familiale, dans le pays du Léon. Cette région est réputée « blanche » comme on dit en Bretagne, c’est-à-dire particulièrement pieuse – et un peu conservatrice -, par opposition à d’autres coins dits « rouges », dans lesquels le républicanisme voire le socialisme ont pris racine sur les décombres de la foi déclinante. En conséquence, dans la famille Ollivier, où on compte de nombreux membres du clergé, il est hors de question de mettre les enfants à l’école publique: ils feront tous leur scolarité dans le privé. A l’école, Yvon Ollivier « apprend bien, mais sans plus ». Dans ces familles de petits paysans besogneux, « on est content quand le gamin rapporte une bonne note, mais le pousser et l’appuyer dans ses études, pour des gens qui se sont arrêtés à l’école primaire, ce n’est pas facile ». Il va au lycée à Brest, « chez les Jésuites », où il se découvre un certain goût pour la lecture. Les bonnes notes arrivent, il prend confiance en lui, décroche un bac L et s’inscrit en licence de droit à la faculté de Brest, où il se passionne pour ses études. Trois ans plus tard, grâce à un héritage opportun, il peut se permettre, comme il est d’usage, d’aller à Paris finir son cursus juridique. Il y fait un DEA de droit international et de droit communautaire à Paris-I, tout en préparant Sciences-Po. Il intègre l’école en 1991.
L’expérience parisienne
Le souvenir que lui laissent ses deux années à la rue Saint-Guillaume est partagé. Fils de paysans bretons au milieu de rejetons d’une élite encore très parisienne, il ne trouve pas son compte dans cette atmosphère guindée. D’ailleurs, il fréquente peu de gens de l’Institut, préférant retrouver ses amis de la fac de Brest montés à Paris comme lui. En section Service public, il montre assez peu d’intérêt aux cours en général, « très cadrés, très cadrants »; la méthode « Sciences-Po » lui paraît trop scolaire, formatée. Certains professeurs l’impressionnent néanmoins, comme Alfred Grosser, spécialiste des relations franco-allemandes et brillant pédagogue. « Des profs comme lui ont certainement influencé mon parcours intellectuel, par leur vivacité d’esprit, leur manière d’investiguer, de décrypter les enjeux au travers des discours. Ils m’ont appris à rechercher ce qui se cache derrière les apparences et la pensée commune. » Il apprécie aussi le dynamisme associatif et militant de l’IEP: il se rend souvent à des conférences, des discussions, qui lui donnent le goût de la controverse, du débat d’idées. Il s’intéresse aux évènements proposés par l’Association des Bretons de Sciences-Po de l’époque.
C’est en effet à Paris, bien loin de sa région natale, qu’il prend conscience de sa « bretonnité ». « Avant, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la Bretagne. Je ne m’étais jamais dit : être breton, qu’est-ce que ça signifie ? Jusque-là dans mon entourage, tout le monde – ou presque – était breton. Ce n’est qu’au contact de l’altérité que j’ai pris la mesure de la spécificité de mes origines, de ma culture, de ma région. Altérité culturelle pendant mes années parisiennes, mais aussi sociale lorsque j’étais à Sciences-Po. » Il commence à fréquenter la Mission Bretonne à Montparnasse, prend quelques cours de bombarde et découvre, à travers de nombreuses lectures, l’histoire de sa région et son rapport douloureux à la République, qu’il met en lien avec sa propre histoire familiale. « Le breton ? Tout le monde le parlait chez moi, je l’entendais partout. C’était une langue à laquelle j’étais habitué, et qui m’était en même temps inconnue: mes parents ne m’ont jamais parlé en breton à la maison, et ça ne me posait pas problème. L’école, la ville, la jeunesse parlaient français. C’est après que j’ai découvert ce qui se cachait derrière ce silence: la République française, par l’imposition d’un système de pensée et d’une langue uniques, s’est construite sur le refus de l’altérité et la mort de ses vieux peuples. La politique d’éradication du breton en est une tragique manifestation. »
La magistrature et son engagement
Diplômé en 1993, il fait son service militaire à Saint-Cyr Coëtquidan et à Chateaulin, puis revient à Sciences-Po faire une année de préparation à l’ENA. Il décroche l’ENM, déménage à Bordeaux. Deux ans plus tard, il est magistrat à Cambrai, puis à Saint-Nazaire et atterrit à Nantes en 2006, comme vice-procureur du Tribunal de Grande Instance en charge du Parquet des mineurs. En 2008, dans cette ville, il initie un mouvement de protestation contre la réforme de la Justice de Rachida Dati, qui visait à casser l’unité judiciaire de la Bretagne historique en faisant relever les Tribunaux de Loire-Atlantique de la Cour d’appel d’Angers. Tout au long de la contestation, il en reste l’un des porte-paroles privilégiés. Il appelle à une réunion avec tous les acteurs concernés, magistrats et avocats, et contacte le mouvement culturel breton pour qu’il leur vienne en appui. La mobilisation des différents tribunaux aboutit à une grande manif à Rennes. « Notre argumentaire était d’ordre historique, mais aussi financier. On voyait bien que derrière la réforme se cachaient des intérêts politiques pour certains membres du gouvernement. Au début, on se moquait de nous, avec nos gwenn ha du ; et finalement, grâce à une forte mobilisation, nous avons fait fléchir la ministre. »
Dans son métier, il touche de près la problématique de l’intégration des étrangers, pour laquelle il porte un grand intérêt. Pour lui, les nouvelles minorités issues de l’immigration et les vieilles minorités régionales sont également condamnées à se renier et à s’autodétruire sous le rouleau-compresseur de l’uniformité républicaine, imprimant dans les esprits l’idée d’une France éternelle, une et indivisible, d’un peuple français homogène dont la diversité est d’abord niée par le droit, puis réprimée dans les faits. En 2012, il publie un essai, La Désunion française, où il explique sa vision de la République jacobine et la nécessité de donner plus d’autonomie aux régions. Il est aujourd’hui membre de l’Institut culturel de Bretagne, siège au Conseil d’Administration de Bretagne réunie, une association qui milite pour le rattachement de la Loire-Atlantique, et apprend activement le breton depuis 3 ans. D’ailleurs, ses enfants sont scolarisés à l’école Diwan, et il parle breton avec eux à la maison. Comme une revanche sur l’histoire. « Je crois beaucoup en la génération qui arrive. Si c’est nous, aujourd’hui, qui mettons en doute le système centralisateur, c’est sûrement eux qui le réformeront demain. Mais j’aimerais que, s’ils veulent étudier dans de grandes écoles, ils ne soient pas obligés d’aller s’exiler à Paris ».
One Comment
baillon
J’aime beaucoup vos articles mais il est dommage qu’il n’y en ai aucun sur une femme, je trouve que cela manque.