Y a-t-il trop de masters à Sciences Po ?

Le second semestre tire sur sa fin et les beaux jours arrivent enfin. Malheureusement, cela ne réjouit pas tout le monde. Pensons aux 3A de par le monde qui doivent commencer à faire leurs valises et remballer leurs doux souvenirs d’aventures et de fêtes, d’études et de découvertes, et choisir le master dans lequel ils étudieront à la rentrée 2014. Si le choix peut paraître fastidieux, il faut savoir qu’à Sciences Po, les opportunités sont nombreuses : droit, communication, affaires internationales, finances et stratégie, marketing ou urbanisme… il y en a pour tous les goûts ! Mais justement, ce nombre si important de master n’est-il pas finalement un peu déroutant ? La diversité et la richesse des masters ne sont-elles pas un inconvénient avant d’être une richesse ? La Péniche a rencontré Françoise Mélonio, directrice des études et de la scolarité afin de se pencher sur les interrogations que l’on peut avoir autour du second cycle universitaire.

UN NOMBRE TROP IMPORTANT DE MASTERS

« Sans aucun doute, le nombre important des masters nuit à leur visibilité », explique Françoise Mélonio. « Cela nuit sous deux aspects, d’abord pour les étudiants mais aussi pour les employeurs ». En effet, si Sciences Po offre à ses étudiants un large choix de masters, cette multiplicité de l’offre n’a pas forcément un résultat positif. Pour les étudiants d’abord, la diversité et la dispersion des choix de masters brouillent l’identification des grands secteurs qui les intéressent. Ils peuvent rapidement se retrouver perdus parmi la cinquantaine de masters proposés et, par manque d’information et d’orientation, risquer de faire un choix qui ne leur correspond pas ou se diriger dans un secteur aux débouchés limités. S’il est vrai que l’on vient souvent à Sciences Po pour ne pas s’engager trop vite dans une voie qui apparaitrait comme définitive, la nécessité d’une réflexion très approfondie pour bien faire son choix de master paraît aujourd’hui primordiale. Françoise Mélonio insiste sur un travail d’orientation à faire en amont. Pour les employeurs, cette diversité n’est pas non plus un avantage. S’ils voient avant tout dans un élève le label « Sciences Po » garantissant une certaine excellence, ils ont du mal à repérer le parcours particulier de l’étudiant. Or, dans un monde où les opportunités dans certains secteurs se raréfient, où d’autres secteurs se développent et où il faut à la fois être polyvalent et spécialisé, le manque apparent d’une spécification pose problème lors du recrutement. Pourtant, si l’on regarde de plus près, nos étudiants en masters ne manquent pas de spécialisation ! Que faire alors pour une meilleure visibilité de leurs aptitudes ?

La prestigieuse école de journalisme de Sciences Po, 117 boulevard Saint Germain
La prestigieuse école de journalisme de Sciences Po, 117 boulevard Saint Germain

DU MASTER À L’ÉCOLE : VERS UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DU SECOND CYCLE UNIVERSITAIRE

Pour remédier à ce problème de visibilité des masters, l’administration de Sciences Po entend procéder par regroupements et propose une simplification globale de l’offre tout en faisant un effort pour la rationaliser.

C’est l’idée sous-jacente au projet des « Écoles ». Vous connaissez probablement l’école de journalisme ou encore PSIA. Ce système tend à se généraliser, notamment par la transformation du master Affaires publiques en école dès la rentrée 2014. Mais que sont précisément ces écoles ? Actuellement de tailles diverses, elles définissent un secteur d’activité au sens large. L’idée est de faire des regroupements qui désignent ces grands secteurs d’activité afin de leur donner une meilleure visibilité. On choisit d’abord une école, une branche d’étude particulière, puis on s’oriente progressivement vers un parcours de plus en plus précis et spécialisé. La politique voulue est d’avoir certes moins de masters, mais, à l’intérieur de ceux-ci, des parcours plus différenciés. Françoise Mélonio insiste : « Il ne faut pas décrocher du marché du travail et des évolutions de la recherche. C’est pourquoi une structure stable globale telle que les écoles est nécessaire, ainsi qu’une souplesse véritable à l’intérieur de ces dernières en fonction des évolutions du monde du travail ». Aujourd’hui, le Comité du curriculum du master travaille conjointement aux professeurs, aux étudiants et à l’administration et réfléchit à l’architecture globale des masters afin de proposer un projet de réforme des études. Il n’y a pour le moment pas de grand changement de prévu, Françoise Mélonio a souligné le fait que l’administration était encore en pleine réflexion. Si le processus de création d’une architecture d’ensemble avec les écoles est enclenché, il faut dorénavant penser aux formations proprement dites : les affaires publiques l’année prochaine, les affaires urbaines ensuite. « L’idée n’est pas de supprimer ce qui existe : il faut éliminer les doublons qui brouillent la lecture de l’enseignement, mais aussi créer ce que nous ne faisons pas et qui relève pourtant des nouveaux métiers du tertiaire »

QUELLES ÉVOLUTIONS DES EFFECTIFS ?

Le master PSIA de Sciences Po
L’école PSIA de Sciences Po

Si les effectifs du Collège universitaire n’ont pas vocation à augmenter, la question se pose aujourd’hui pour les masters : faut-il augmenter leurs effectifs ? Françoise Mélonio nous explique que ce qui doit surtout évoluer, c’est la part d’élèves extérieurs admis en masters à Sciences Po. L’école ne connaît pour le moment pas un énorme apport de l’extérieur, ce que regrette la directrice des études : « Cela nous prive d’une diversité formidable, aussi bien pour les étudiants que pour l’institution. Nous réfléchissons sur l’extension souhaitable compte tenu du fait qu’il faut garder un apport extérieur : avoir des ingénieurs dans une formation de finance ou d’urbanisme, ou encore des élèves venus d’écoles de design au sein de l’école communication, c’est une vraie richesse ».

Par ailleurs, la directrice des études et de la scolarité déplore la tendance des étudiants du Collège universitaire à rester à Sciences Po en master. L’année dernière, seulement une cinquantaine de personnes sont partis vers d’autres écoles et institutions. Ici encore, une plus grande mobilité des sciences pistes serait souhaitable. Par exemple, les élèves venus de l’étranger peuvent compléter leur diplôme de Sciences Po par une formation dans leur pays d’origine : la vocation à alterner serait d’autant plus intéressante du fait de l’opportunité d’étudier dans deux endroits différents, véritable avantage dans un profil professionnel. Malheureusement, il semblerait que changer d’établissement ne soit pas dans les habitudes françaises, et encore moins sciences pistes. « Aux États-Unis, il est très rare de faire l’intégralité de ses études dans une même université, et le contraire représente un véritable handicap : en procédant ainsi, l’étudiant se prive du label de deux institutions et du choix des formations possibles ». Si les étudiants ne semblent pas encore prêts, il faudrait pourtant s’accoutumer à l’idée de changer d’établissement pour le master, habitude conforme aux pratiques internationales et aux ambitions grandissantes des étudiants. La politique de Sciences Po n’est pas à ce sujet celle d’un parent protecteur, qui voudrait garder ses enfants auprès de lui : « Les étudiants qui partent ne représentent pas une perte, mais plutôt un bénéfice. Quand un excellent étudiant est envoyée dans une autre bonne institution, c’est la réputation de Sciences Po qui grandit à travers lui ». Nous sommes tous voués à être les futurs ambassadeurs de Sciences Po !

UNE VOLONTÉ D’EXTENSION… MAIS PLUS DE PLACE !

Sciences Po aura à résoudre des contraintes de place, au cœur du 7ème arrondissement.
Sciences Po aura à résoudre des contraintes de place, au cœur du 7ème arrondissement. (illustration : master urbanisme)

Avec toutes les ambitions de l’administration concernant les masters, la question vient à se poser de l’espace disponible que peut offrir Sciences Po sur le campus de Paris. Les capacités d’accueil parvenant à leur maximum, Françoise Mélonio n’exclue pas certaines délocalisations dans les campus de région. Un projet consistant à transférer une partie du Collège universitaire est présentement étudié. Le transfert du programme Europe Afrique à Reims a déjà été voté et aura lieu dès la rentrée 2015. Françoise Mélonio, qui a récemment visité le campus rémois, parle de « conditions d’accueil et de travail exceptionnelles ». Avec la création de la seconde cour, 250 étudiants supplémentaires pourront être reçus à partir de 2016. Ainsi, le campus de Paris serait progressivement réservé aux étudiants de master, pour lesquels aucune décision de transfert n’a été mise à l’étude. On imagine néanmoins la future déception des candidats au campus de Paris, contraint d’être privés de la richesse pédagogique et des offres de la vie associative de son cœur culturel, et les secondes pensées que cela pourrait causer à la direction qui insiste toutefois sur la qualité des conditions de travail en région. Cela dit, celle-ci a des projets d’extension dans le 7ème qui lui permettraient éventuellement de maintenir ses capacités d’accueil pour les étudiants en premier cycle tout en élargissant ses ambitions concernant les masters.

Ainsi, si le monde des masters est en pleine mutation, la direction des études et de la scolarité n’entend pas rompre avec une formation traditionnelle solide qui a fait jusqu’alors le prestige de la maison, tout en l’adaptant aux évolutions du monde de l’emploi et du travail. La richesse de l’offre ne doit pas exempter les étudiants d’une orientation efficace, orientation qui sera d’autant plus facilitée par la réforme des parcours professionnels au sein des écoles. Enfin, c’est aux étudiants de ne pas se limiter dans leurs choix, et de saisir les meilleures opportunités qui s’offrent à eux – à Sciences Po, ou ailleurs.

6 Comments

  • Réponse à D.

    Permet moi de te contredire sur le Bachelor. S’il n’est peut être pas à la valeur que tu voudrais, l’Etat ne reconnait pas des ‘diplômes’ mais il reconnait des écoles donc ce n’est pas une licence certes mais Sciences Po est bien reconnue par l’Etat. Et pour connaître des gens qui partent cette année en master à la LSE ou à Columbia en n’ayant fait que Sciences Po et en ayant le Bachelor, si tu as été recalée c’est probablement plus parce que tu n’avais pas le niveau.

  • D.

    La directrice des études et de la scolarité peut bien continuer à déplorer la tendance des étudiants du Collège universitaire à rester à Sciences Po en master, cela ne risque pas de changer tant que le « diplôme de Bachelor » n’est pas reconnu par l’État. Il ne s’agit actuellement que d’un bout de papier sans réelle valeur, et j’ai moi-même postulé après mon Bachelor à des masters à l’étranger (ce n’est pas l’envie de partir de Sciences Po qui me manquait) mais ai été recalée à cause de cela.

  • A.

    La délocalisation de la première année à Reims (qui ne fera pas baisser les frais de scolarité) est actée depuis bien longtemps. En tous cas Richard Descoings avait promis un effectif de 1600 élèves et les promesses ont été renouvelées lors de la succession. Reste en effet à savoir qui seront les 1600 élèves ? Les journaux de Reims murmuraient qu’un master devait s’y installer (plus précisément l’administration avait émis cette hypothèse auprès de Reims pour les rassurer), en tous cas peu de doute existe sur le fait qu’une bonne partie du premier cycle y sera délocalisé (cela a été certifié aux collectivités territoriales).

    Concernant la première année, il s’agit d’une année facile à délocaliser puisqu’elle ne fait pas intervenir de professionnels (seulement des professeurs des universités de la maison qui peuvent éventuellement voyager une fois par semaine, ainsi que des chargés de conférence qui seront aisément recrutés), et qu’elle ne comporte pas vraiment d’enseignement électif (mais des ateliers artistiques au second semestre ! ce qui complique tout de même la tâche). La maquette issue de la réforme du Collège universitaire est ainsi particulièrement adaptée à une délocalisation – au moins partielle tout en étant majeure – de la première année. Par ailleurs, le programme d’échange à Reims est beaucoup plus valorisé depuis quelques mois en termes de communication et l’administration cherche à accueillir plus d’élèves sur le campus de Reims par ce biais.

    Mais la vérité d’une délocalisation massive vers Reims n’est dite qu’à demi-mot à Paris, tandis qu’elle est beaucoup plus concrètement évoquée dès qu’il s’agit de rassurer les collectivités territoriales qui dépensent sans compter pour un très beau projet de réfection.

    Il semble difficile de ne pas tenir les engagements pris auprès de Reims. Alors d’où vient ce double discours ? Les propos de Madame Mélonio annonçant l’arrivée de 250 élèves en 2016 semble combler (dans une certaine mesure) un déficit de communication concrète sur la politique régionale de Sciences Po. Rappelons qu’une réplique de la Péniche (le fameux banc) a été installée à Reims, et c’est plus qu’un symbole. Il n’en reste pas moins qu’à Paris, le projet pour Reims n’est jamais explicité ni mis en avant, alors qu’il existe bel et bien dans l’esprit de nos plus grands dirigeants.

    Et vous en voulez pour preuve une simple lecture de la presse régionale ! Une consultation des journaux de Reims permet de mesurer l’ampleur des débats (houleux) qui ont agité les collectivités territoriales au moment de la transition Descoings-Mion. Certains travaux avaient été suspendus à Reims car les autorités locales attendaient que le nouveau directeur (qui n’avait ni été choisi, ni été nommé) se prononce sur la promesse qui avait été faite par le précédent directeur (le dépassement du millier d’élèves avec une augmentation croissante des effectifs qui n’a d’ailleurs pas été tenue)… Les collectivités territoriales investissent énormément dans le campus (travaux importants et contrat signé très avantageux pour Sciences Po), et refusaient de continuer à payer des travaux d’envergure si l’effectif promis par Richard Descoings (tout comme son projet global pour Reims) n’était pas confirmé. Il l’a été, par Monsieur Mion, et les travaux ont pu reprendre sans heurt (encore une fois tout cela est bien relaté par les journaux régionaux).

    Il y a des articles à faire sur l’expansion de la maison à Reims…

  • Bernadotte

    Délocaliser dans un campus en province peut en effet faire baisser les couts, mais éclater la formation dans 7 campus, avec cela sept bibliothèques dont 6 vides, sept BDE/AS dont beaucoup vivotent, d’innombrables doublons administratifs, relève de l’hérésie budgétaire, sans parler de la vivacité trépidante des sous-préfectures lorsqu’il y a 150 élèves sur le campus. Ainsi délocaliser dans ces conditions un master signerait son arrêt de mort pur et simple.

  • E.

    L’idée de délocaliser le collège universitaire, ou du moins sa 1ère année, en région, serait pertinente en ce qu’elle permettrait à tous d’étudier dans de meilleures conditions (qui n’a jamais recherché avec désespoir une place en bibliothèque?) et peut-être de favoriser l’esprit de promo, tout en réduisant les frais de scolarité. Nous savons très bien que ces derniers ont très fortement augmenté ces dernières années en raison des acquisitions immobilières de Sciences Po.