Tribune – NOVA teste la démocratie étudiante : ça tourne mal

Depuis le début de la semaine, une polémique agite une partie de la communauté étudiante de Sciences Po Paris. En cause : l’élection à la vice-présidence étudiante du Conseil de l’Institut et à la présidence étudiante du Conseil de la vie étudiante et de la formation, deux postes clés dans les instances dirigeantes, de représentant·e·s de la liste NOVA, arrivée deuxième aux dernières élections étudiantes. Cette polémique met en lumière une forme de ressentiment d’une partie de la communauté étudiante.

Contexte : les instances de Sciences Po

La gouvernance de Sciences Po repose sur un modèle hybride :

  • Une fondation de droit privé, la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), qui fixe les grandes orientations de Sciences Po. Elle est administrée par le conseil d’administration (CA), composé de 25 membres. Deux élus étudiant·e·s y siègent, issus de la liste majoritaire.
  • Un grand établissement de droit public, l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (IEP), composé de 3 instances majeures : le Conseil scientifique, et deux qui nous intéressent ici, à savoir le Conseil de l’Institut et le Conseil de la vie étudiante et de la formation. Enfin, le comité exécutif, sous l’autorité du directeur Frédéric Mion, constitue le cœur opérationnel de l’administration.

Le Conseil de l’Institut (CI) administre Sciences Po. Il comprend 22 membres élu·e·s des différents collèges électoraux (enseignant·e·s, doctorant·e·s, étudiant·e·s, personnel·le·s), dont huit étudiant·e·s. Il comprend également dix autres membres non élus (direction, représentant·e·s extérieur·e·s…).

Le Conseil de la vie étudiante et de la formation (CVEF) a un rôle institutionnel moins important. Il est décisionnaire sur la vie étudiante, mais consultatif sur la pédagogie. C’est également lui qui a la charge des commissions disciplinaires, avec les étudiants du CI. Il comprend huit représentant·e·s enseignant·e·s, huit représentant·e·s étudiant·e·s et deux représentant·e·s du personnel. Historiquement, il est la continuation de la commission paritaire, résultat direct des événements de mai 68 à Sciences Po. Cette dernière était pensée comme une instance de cogestion par les usagers de Sciences Po (étudiant·e·s, enseignant·e·s, salarié·e·s).

Dans les différentes instances, le rôle des représentant·e·s des étudiant·e·s est multiple : non seulement il porte les voix et revendications de la communauté étudiante, mais il est également important dans les « groupes de travail », organes aussi discrets que décisifs dans l’évolution des négociations. La confidentialité des échanges tranche avec ceux des instances, dont les procès-verbaux sont publics. Le poids électoral et institutionnel y est capital pour pouvoir peser dans les décisions.

Des élections étudiantes doublement exceptionnelles

Les récentes élections d’octobre marquent un tournant dans l’histoire syndicale de l’institution : outre un contexte sanitaire inouï, les organisations historiques (UNI et UNEF) signent des résultats parmi leurs plus faibles depuis 20 ans. De l’autre côté, Solidaires Étudiant-e-s n’a jamais eu autant de suffrages sur la même période (résultat en % des votants multiplié par 2 en 4 ans), et NOVA, liste se présentant comme transpartisane, s’installe dans le paysage syndical, sans pour autant y être majoritaire (pratiquement un tiers des votants, augmentation de 33% depuis la dernière élection).

Néanmoins, l’équilibre politique reste inchangé : comme à la dernière mandature, cinq sièges sur huit sont tenus par des organisations syndicales classées à gauche. De plus, la participation n’a pas significativement évolué. Malgré cette permanence, le tableau dessiné par l’élection laisse entrevoir une radicalisation de cet équilibre politique, l’UNEF devant cette fois-ci s’appuyer sur deux sièges de Solidaires Étudiant-e-s dans les rapports de force, si l’on exclut l’hypothèse d’une alliance avec NOVA.

De son côté justement, NOVA a raté son troisième siège de peu : si Solidaires Étudiant-e-s avait eu 50 suffrages de moins, NOVA aurait eu l’égalité en sièges avec l’UNEF, compte tenu de la règle de répartition des sièges selon le plus fort reste. Grosso modo, c’est l’équivalent de deux triplettes, ou d’un étage de la bibliothèque du 27 rue Saint Guillaume, hors restrictions sanitaires.

Ce qu’il s’est passé lors des installations des instances

Une double percée minoritaire, une majorité affaiblie, des rapports de force recomposés, voilà pour le contexte. Le renouvellement des instances appelle à un renouvellement de différents postes, notamment dans les commissions.

Conformément aux textes, l’UNEF conserve ses deux sièges au CA de la FNSP en tant que liste majoritaire, ce qui lui permet – a minima – une importante tribune concernant les orientations stratégiques et financières de Sciences Po.

Au CVEF, la présidence est partagée entre une présidence enseignante et une présidence étudiante. Depuis des dizaines d’années, l’usage implique que c’est la liste ayant obtenu le plus de suffrages obtient la présidence étudiante. Lundi 16 novembre 2020, c’est la tête de liste de NOVA qui est élue, avec les voix des enseignants, contre les 5 voix des élus UNEF et Solidaires Étudiant-e-s.

Le lendemain matin, mardi 17 novembre, le CI a élu comme vice-président étudiant la tête de liste de NOVA, confirmant la dynamique de la veille de laisser une place particulière à la nouvelle organisation syndicale. Seuls certains enseignant·e·s, les doctorant·e·s et les 5 élu·e·s étudiant·e·s UNEF et Solidaires Étudiant-e-s ont soutenu la candidature de l’UNEF. Précisions ici que dans les instances universitaires, ce sont souvent des élu·e·s minoritaires qui deviennent vice-président·e·s, mais, là encore, ce n’était pas l’usage à Sciences Po.

Ces deux élections marquent ainsi un changement institutionnel à Sciences Po : une place plus importante, voire décisive, est accordée à une liste minoritaire. Dans certains rapports de force d’envergure, la majorité électorale devient une minorité institutionnelle.

Des attentes conformes à l’usage, des bouleversements à la suite des élections. Reste qu’il est important de souligner que l’usage n’est pas la norme. L’usage requiert également un processus de négociations, de discussion avec les autres membres des conseils, pour obtenir les voix nécessaires. C’est, peut-être, l’un des points qu’il s’agirait d’interroger dans ce renversement. Mais il n’est pas le seul.

Les conséquences pratiques

Cette double élection est-elle uniquement symbolique ? C’est tout le contraire : elle s’accompagne de multiples conséquences pratiques. Le changement d’orientation syndicale à ces postes peut suggérer des évolutions profonde dans la nature des projets qui seront engagés.

La présidence du CVEF a la main sur l’ordre du jour, et sur la conduite des débats durant les séances. La présence d’un·e élu·e étudiant·e permet d’orienter une partie de l’ordre du jour, selon les souhaits qui lui sont propres.

Le changement de présidence au CVEF et de vice-présidence au CI marque aussi un changement de la présence syndicale dans la commission de suivi social, organe chargé d’accorder des exonérations de frais de scolarité en fonction des situations. La précarisation du corps étudiant, du fait de la crise en cours, fait que cette commission est plus que jamais stratégique dans l’action que peut avoir un syndicat, puisque ce sont ses représentant·e·s qui y défendent les étudiant·e·s.

La mise en difficulté de l’UNEF n’est pas nouvelle

Avec plus de recul, il aurait été possible d’anticiper une telle crise pour le syndicat historique de Sciences Po. Les événements de cette semaine sont le résultat d’un processus d’affaiblissement progressif depuis plusieurs années. Une série de départs puis une scission ont conduit à affaiblir la section locale, autant dans la compétence de sa force militante que sa capacité de structurer l’opinion publique étudiante.

Une autre raison invoquée par certains acteurs ayant porté leurs voix pour NOVA serait l’insuffisance de sérieux dont certain·e·s élu·e·s issu·e·s de la liste UNEF auraient fait preuve à la fin de la mandature précédente. Des mises en retrait en partie dû à des désengagements progressifs, résultat d’un désenchantement des possibilités finalement restreintes de changement. De plus, depuis quelques mandats, plusieurs vice-président·e·s et président·e·s étudiants UNEF se sont inscrits en rupture avec la tendance majoritaire du syndicat, générant un manque de confiance vis-à-vis de l’administration.

Autant de phénomènes ayant conduit à accélérer l’ascension d’une nouvelle génération de militants, et à générer du scepticisme auprès des autres acteurs. En ce sens, ce renouvellement s’est aujourd’hui payé au prix fort, celui qui a préféré une élue NOVA minoritaire déjà présente depuis deux ans au CVEF à une primo-élue UNEF majoritaire. Mais cette différence peut-elle justifier un tel renversement institutionnel ?

La réussite de NOVA : un coup de force qui interroge

L’apparition d’une nouvelle organisation syndicale à Sciences Po n’est pas un événement majeur. Très régulièrement, des nouvelles listes se portent candidates, au côté des organisations syndicales traditionnelles comme l’UNI, l’UNEF ou plus récemment Solidaires Étudiant-e-s. Il y a quelques années, ce fut le cas du syndicat international The Alliance, depuis plus de deux ans c’est le cas de NOVA.

Le développement rapide de cette nouvelle organisation interroge, d’autant que la crise traversée par l’UNEF n’est pas suffisante pour expliquer une telle dynamique. Le discours de NOVA séduit, aujourd’hui presque un tiers des votants, il répond à une certaine demande de la communauté étudiante. Ces postes viennent lui apporter une nouvelle reconnaissance.

De plus, ces votes apparaissent comme un soutien institutionnel à une organisation syndicale, dont les raisons sont visiblement autres que la légitimité électorale. Si la majorité des membres des conseils se sont exprimés en faveur des candidatures de NOVA, quelles en seraient les raisons ? Les témoignages publics, puis les publications des procès-verbaux dans quelques mois, pourraient apporter des éléments de réponse à un surprenant coup de force car, faute d’argument démocratique, l’institution s’en est remise à autre chose. Et c’est cette inconnue qui, aujourd’hui, crée le scandale dans le milieu syndical.

La polémique n’est pas que politicienne : elle interroge les pratiques politiques de nos élu·e·s

La répartition du pouvoir dans les instances dirigeantes n’est ni systématique, ni acquise. Au contraire, elle fait l’objet de tractations, souvent imperceptibles par la communauté étudiante. Elle fait pleinement partie de la politique syndicale, et implique forcément un rapport idéologique, puisque les manœuvres se fondent sur des stratégies, conscientes ou inconscientes. Et l’indépendance partisane ne doit pas invisibiliser le caractère logiquement politique de ces fondements.

Les stratégies ayant menées à la double victoire de NOVA, conduite par différents agents, seraient à interroger en miroir des forces ayant soutenu les candidatures de l’UNEF. Avec, en filigrane, la question du caractère démocratique, légitime, et évidemment d’efficience de ces stratégies. Car, outre les importants enjeux de valeurs que chacune des stratégies choisies soulève, témoignant d’une conception singulière du respect des institutions, il serait également pertinent de questionner les choix d’efficacité stratégique choisie par chacune des organisations.

Du vote de sanction au danger de la défiance

La responsabilité d’un tel événement est-elle imputable au système tout entier, ou au comportement de certaines organisations ? On serait tenté·e d’exclusivement jeter l’opprobre sur l’une ou sur l’autre, soutenir la légitime contre la légale, présenter l’administration contre la communauté étudiante. Or, la réalité est bien plus complexe que cela. Elle est le résultat de dynamiques de fond du tissu politico-syndical sciences-piste, souvent invisibles, conjuguées à des circonstances favorables à la réunion d’intérêts communs.

NOVA, et par extension leurs soutiens, ont franchi une frontière, ont déplacé les limites de l’acceptable. Lorsqu’une institution sociale s’affaire à une telle redéfinition sans auparavant obtenir une forme de validation collective, sans au moins le communiquer à la communauté, il ne reste plus grand-chose dans lequel croire. Le danger apparaît quand il devient possible de ne plus rien attendre d’une institution.

Nommons clairement le problème : c’est la disruption, comme rupture inattendue des attentes démocratiques dans un système qui crée les conditions d’un rejet. Et NOVA ne doit pas être vue comme l’unique responsable, loin de là. L’imputabilité, tout comme la responsabilité qui nous revient, est collective, car il a été choisi de charger une minorité d’étudiant·e·s de se saisir de la question politique, et cette minorité s’est repliée sur elle-même. À nous de rouvrir le champ des possibles.

On pourrait supposer que les élu·e·s, nos élu·e·s, investis par les urnes, remplissent leurs mandats comme iels l’entendent, dont nous aurions à accepter aveuglément cette délégation. Mais on pourrait aussi appeler à une meilleure transparence de l’action syndicale dans les instances, afin de restaurer la confiance dans les institutions de la vie étudiante, et stimuler la participation active de la communauté étudiante sur les questions qui les concernent. Mais cela nécessiterait une presse étudiante plus active sur ces sujets, une meilleure structuration syndicale, un engagement étudiant plus coordonné que de simples échanges sur les réseaux sociaux. En clair : une motivation collective à faire de la politique.

Toutes ces conditions sont, hélas, loin d’être remplies. À moins d’un sursaut de la communauté étudiante, il faudra s’attendre dans un tel contexte à ce que des événements de ce type se reproduisent, au risque de développer de nouveaux antagonismes répondant bien plus à l’indignation de l’instant qu’à un souhait de transformation durable de nos conditions matérielles d’études.