Traque aux tracts

Le 13 novembre, le tract de la « Manif pour tous » relayé par le Centre Saint-Guillaume (CSG) a agité la Péniche et le 56, tout à coup affublés d’affichettes qui semblaient faire tâche dans le paysage sciences-piste. De communiqués à communications à foison, syndicats et associations ont élevé la voix pour contrer et réaffirmer leurs positions. Retour sur un débat qui, s’il implique associations militantes et partis politiques, n’a pas encore réveillé tout le monde.

Il y a eu un tract, puis un autre, puis des réactions sur Facebook, puis une « joute » oratoire organisée par Sciences Polémiques, comme si le débat se tranchait à coups de rhétorique pure. Il y a eu un communiqué, une soirée de l’asso LGBT, une présence en Péniche, sous l’œil bienveillant d’une madone de la culture pape et d’un corps associatif qui monte au créneau, toutes proportions gardées.

civitas1.jpgLe fameux tract, qui appelait à la Manif pour tous le samedi 17 novembre, a bien été diffusé par le Csg. Selon les mots de son président Pierre Jovanovic, il voulait « permettre l’ouverture d’un débat contradictoire à Sciences Po sur le projet de loi du mariage homosexuel » qui, il faut bien l’avouer, est peu présent au sein de l’école. Si les échos positifs, venant d’étudiants curieux d’entendre un autre point de vue sur le sujet (sic) ont motivé le Csg à inviter à une telle manifestation, celui-ci a pâti de la présence d’un autre tract encore plus polémique dans les couloirs du 27 dès le lendemain, mais que l’association religieuse n’a pas distribué. Celui-ci invitait à un débat du Centre de Réinformation Parisien (CRP) sur la « Question du « mariage » homosexuel », organisé le vendredi 16 novembre avec en invité A. Escada, le président de Civitas. Alors que la veille Plug n’ Play dénonçait déjà la présence du papier maudit distribué par le Csg, un nouveau statut Facebook « Plug n’ play s’INDIGNE » à propos de cette nouvelle affiche, a achevé de créer l’amalgame et la confusion entre La Manif pour tous, Civitas, le Csg… Malgré un message du Centre Saint Guillaume publié sur le mur de l’asso LGBT pour rappeler de bien faire la distinction entre les deux événements, les fureurs étaient lancées. S’en est suivie une campagne comm’ sur le Facebook de Plug n’ Play aux parfums « hard candy » qui a fait son effet.

S’en est surtout suivi un tract cosigné par G.A.R.Ç.E.S, Plug n’ Play, Amnesty Sciences Po, l’UNEF, le Front de Gauche et SUD, qui dénonce l’hypocrisie de la « non-homophobie » comme une « version politiquement correcte de la mobilisation intégriste et fasciste du 18 novembre, lancée à l’appel de Civitas ». Déconnectés de toute réalité sociale, les manifestants du 17 novembre défendraient, toujours selon le même tract, « un modèle familial unique sexiste et homophobe ». Et Plug n’ Play, contacté à ce sujet, d’ajouter : « Le CSG, en relayant ce message, se fait le porte parole de mouvements qui refusent l’égalité juridique entre les couples homosexuels et hétérosexuels parce qu’ils ne les considèrent pas de même valeur », tandis que l’association catho de Sciences Po poursuivait son tractage jusqu’au vendredi 16, « la Commission mixte paritaire n’ayant pas jugé notre tract contraire au règlement de Sciences Po » (P. Jovanovic).

Des positions bien tranchées

Alors, au-delà des positions, quelles sont les actions des deux associations ? D’un côté, le CSG a organisé une conférence « Gay et catho ? » le 25 octobre en compagnie de Philippe Ariño, essayiste catholique et homosexuel aux thèses assez controversées, et de Claire Lesegrétain, auteur notamment de Les chrétiens et l’homosexualité. Si tous les étudiants y étaient conviés, Plug n’ Play a explicitement regretté de ne pas avoir été convié à la conférence en tant qu’association. L’asso LGBT, quant à elle, a fait le choix en début d’année de ne pas organiser de débats ou d’événements particuliers autour de cette question car la question faisait consensus entre les membres les plus actifs et que les débats organisés les années précédentes « n’avaient pas permis un échange dans des termes respectueux », selon le Président, Tomas Aparisi de Lannoy. Surtout, pour lui, l’élection de F. Hollande en mai aurait déjà donné une réponse claire au débat, un débat plutôt permanent puisque Plug n’ Play a le statut d’association militante pour l’égalité des droits. Là où le Csg devient militant à titre occasionnel.

276995_461832873857819_1073395095_n.jpgLa bipolarité règne : campées sur leurs idées, les associations ne cherchent pas vraiment à lancer le dialogue. Plug n’ Play, contacté le soir du 13 novembre par le Csg, a refusé de répondre directement, préférant, force est de le reconnaître, une campagne sur Facebook assez habile, avec une Madonna égérie qui invitait chacun au confessionnal lors d’une soirée-repentirs jeudi dernier. Le Csg, lui, réunit-il vraiment les conditions à l’ouverture de ce « débat contradictoire » ? Si débat il doit y avoir au sein de notre école, peut-être débat devrait-il y avoir aussi au sein des associations : au Csg on se garde bien de savoir si l’homosexualité et la reconnaissance du couple homosexuel marié doit passer avant les préceptes religieux du mariage. Les membres de l’association de la rue de Grenelle ne doivent tout de même pas avoir les mêmes idées sur le sujet ; pourtant, on préfère ne pas organiser de débat en interne, respecter les positions de chacun tout en avertissant qu’« un catholique se doit de connaître l’enseignement de l’Eglise sur ce sujet, qui est cohérent et ancré dans l’Evangile » (Président du Csg).

Le compromis ? Apparemment impossible. Ou du moins peu visible. Du côté du Centre Saint-Guillaume, certains intervenants sont brandis en exemple, tel Philippe Ariño, essayiste homosexuel et catholique qui est contre le mariage gay, « la réalité du mariage ne correspondant pas à notre réalité de couple homosexuel, au niveau corporel et de l’amour ». Mais pour avoir un débat légitime, pourquoi ne pas accepter d’entendre des positions contradictoires de son propre camp? Le Csg a bien invité un essayiste homosexuel contre le mariage gay, les catholiques en faveur de ce projet de loi, et il y en a, se font un peu plus discrets.

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Faux bon(d)s et faux méchants

La stricte et immuable opposition gay-catho/pour-contre le mariage gay ne tient donc pas. Du moins pas aujourd’hui, à l’heure où le débat, s’il a déjà une place sur le champ politique et partisan, en est encore au statut de débat social et d’idées. Même si le texte a déjà été examiné en Conseil des Ministres et que des auditions à l’Assemblée devraient se tenir sur le projet de loi jusqu’à la fin décembre chaque jeudi, les rôles se mélangent ! Si le Front de Gauche et le NPA Sciences Po, partis politiques étudiants, ont cosigné le tract de réponse avec Plug n’ Play, G.A.R.Ç.E.S ou l’UNEF, pourquoi le PS Sciences Po n’a-t-il pas encore exprimé de position ? L’UMP ? L’UDI ? Pourquoi n’entend-on pas des adhérents de Jean Zay ou des MJS au 27 et aussi membres du Csg, s’exprimer sur la question ? Peut-être pourrait-on avoir, au sein de notre école, des moyens autres que des tracts qui font se lever, ou de la communication sur les réseaux sociaux qui fait réagir ? Soit le débat n’a pas lieu d’être et une telle communication peut paraître exagérée. Soit le débat au sein de Sciences Po a sa place et les seuls événements à ce sujet ne devraient pas être une soirée sophistes « Mariage : allons-y gaiement ? ».

6 Comments

  • CJ

    Mes propos n’engagent que moi mais j’ai la conviction que Sciences Polémiques n’a évidemment pas à se reprocher d’ouvrir un débat contradictoire. Au contraire, accorder à chacun trois minutes pour convaincre a un double avantage : celui de faire un acte d’engagement en prenant partie (ou de se faire une idée si on est dans le public) et celui d’ouvrir un vrai dialogue, lequel peut éventuellement se poursuivre après le débat autour d’un verre. Evidemment, trois minutes, c’est court, mais face à un sujet aussi polémique, l’essentiel n’est-il pas d’ouvrir un dialogue détendu et non haineux ?
    Cet article a le grand mérite de souligner le manque de débat approfondi à Sciences Po, alors même que notre école a pour projet intrinsèque de contribuer à forger chez nous un esprit critique et engagé.

  • 1A

    Euh, j’y étais au débat de sciences polémiques, il faut être honnête, c’était très bien, mais au final, on ne retient que les traits saillants. Et c’est normal, comme le dit GD, car vous n’êtes pas un think tank. Je trouve l’article pas mal.

  • GD

    Ce commentaire n’engage que moi, mais Sciences Polémiques n’étant pas un think-tank, il est n’est absolument pas anormal que, pour peu que tu aies suivi le débat ces derniers temps, tu n’y aies trouvé « aucun nouvel argument »…

    Sciences Polémiques est loin de revendiquer le monopole du débat politique à Sciences Po, mais je persiste cependant à penser que ce cadre, qui a le mérite d’être neutre et d’obéir à des règles définies à l’avance, a permis à plus de gens de s’exprimer que lors de tractages en péniche ou de prises de tête sur Facebook. Je trouve donc dommage que tu n’y aies vu que « de la rhétorique pure », alors parfois qu’un peu de recul permet de mieux débattre.

    Ta position, même si je ne la partage pas, est cependant bien plus justifiée que celle de l’auteur de cet « article » d’indignation brouillonne qui n’a manifestement pas assisté au débat, et se permet de le juger.

  • Périclès

    @Sciences Polémiques: le débat était amusant mais le fond n’était qu’accessoire et aucun nouvel argument n’était présenté. C’était bel et bien de la rhétorique pure.

    Ca n’enlève rien au fait que vos débats sont sympathiques et distrayants.

  • Sciences Polémiques

    Si vous étiez venus au débat de Sciences Polémique organisé sur le sujet, vous auriez entendu les personnes dont vous regrettez le mutisme, car loin d’être de la rhétorique pure comme vous le dénoncez, ce débat a permis à ceux qui le souhaitaient de présenter devant une assemblé à l’écoute ses opinions. Et il y avait toutes les sensibilités de représentées.