Succession Descoings : L’exception rue Saint-Guillaume (1)

La succesion de Richard Descoings à la tête de SciencesPo agite en silence les coulisses de la rue Saint-Guillaume. Alors que les étudiants de SciencesPo regrettent encore la disparition de l’ancien directeur, les délibérations sur son successeur avancent à grands pas sur fond de tensions financières et politiques. LaPéniche a enquêté toute la rentrée ; interviews de tous les candidats, analyse de la procédure, décryptage du rapport, découvrez à travers nos 7 articles à paraître toutes les facettes de la nomination du prochain directeur ! En guise d’introduction, un rappel sur le mode de désignation de ce dernier, une exception rue Saint-Guillaume.

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L’été n’a pas épargné les discussions autour de la nomination du nouveau Directeur de Sciences Po: alors que les étudiants s’en allaient tranquillement oublier les événements de la fin d’année, les auditions des candidats et les premiers échos du fameux rapport de la Cour des Comptes ont entretenu une affaire déjà très médiatisée.

« Mais comment va-t-on le nommer ? »

Tradition impose, depuis désormais cinquante ans : le prochain Directeur de l’IEP, structure universitaire publique, sera également l’Administrateur de la FNSP, entité privée. Il est donc légitime de retrouver deux comités de sélection des candidatures : l’un issu du Conseil de Direction de l’IEP (CD-IEP), sous la présidence de Michel Péberau (ancien professeur à Sciences Po et ancien PDG de BNP Paribas), composé de 5 membres, parmi lesquels des professeurs et un étudiant élu UNEF, vice-président du CD, Arnaud Bontemps ; l’autre issu du Conseil d’Administration de la FNSP (CA-FNSP), présidé par Jean-Claude Casanova, composé de membres pour la plupart extérieurs à Sciences Po, tels que des anciens grands patrons, des hauts-fonctionnaires, etc.

Capture_d_ecran_2012-09-18_a_21.17.51.pngDurant l’été, les comités devaient auditionner les candidats, afin de présenter à leur président un unique nom. Une fois les comités d’accord sur celui-ci, J-C. Casanova et M. Pébereau soutiendront au Président de la République cette seule et unique candidature qui, si elle est approuvée, sera validée par décret présidentiel (contresigné par le Premier Ministre et la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso). Mais le Président ne validerait que le poste de Directeur de l’IEP, tandis que celui d’Administrateur de la FNSP serait délivré par le Premier Ministre. L’un des plus beaux exemples de l’ « exception française », dans la mesure où les présidents d’université sont traditionnellement nommés en interne par le Conseil de Direction, Sciences Po cultive l’originalité par cette combinaison si particulière entre structure de droit public et entité de droit privé.

Sur les 24 premières candidatures, les plus sérieux candidats sont au nombre de quatre. Si Hervé Crès fait figure de favori, auprès des élèves comme de l’Administration – notamment de J-C Casanova et M. Pébereau – Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, serait le candidat privilégié de certains hauts-fonctionnaires. Gilles Andréani, magistrat à la Cour des Comptes, et Dominique Reynié, directeur général de Fondapol seraient davantage en retrait même si tout reste ouvert. Tous se placent dans l’héritage de Richard Descoings, prônant l’innovation comme critère fondamental de l’évolution de l’École, et considérant la refonte du management comme une pierre d’angle du prochain mandat.

A situation d’exception, mesures et retentissement d’exception

Entre la grande discrétion des comités d’instruction quant à leurs critères de composition et l’opacité du mode de décision au sein de chacun d’eux, étudiants et autres ont crié haro sur une procédure dont le manque de visibilité au sein de l’institut est frappant. Si l’on ajoute à cela ce formidable tour de magie qu’est la proposition de nomination du même candidat de la part de chaque comité, alors même qu’ils sont censés décider indépendamment l’un de l’autre, les interrogations qui entourent toute cette nomination sont nombreuses.

Capture_d_ecran_2012-09-18_a_21.34.39.pngLes critiques multiples, dans les journaux comme à Sciences Po, contraignirent les membres de l’Administration à se prononcer sur cette procédure peu ordinaire. Dans l’interview accordée par Hervé Crès à Sciences Po TV, administrateur provisoire de SciencesPo, l’interrogé se défend : « il s’agit de juger cette accusation d’opacité de façon relative à ce qu’il se passait avant à Sciences Po : le directeur sortant préparait son successeur, le présentait au Conseil de Direction et au Conseil d’Administration, et la nomination se faisait de façon très feutrée ». Certes. D’où vient alors ce décalage qui agite tant ? Dominique Reynié partage, dans une certaine mesure, la même idée qu’Hervé Crès : la procédure de nomination ne peut être que plus démocratique, relativement aux précédentes, mais elle ne l’est sûrement pas encore assez. En 1996, Alain Lancelot désignait Richard Descoings comme son successeur sans que des comités ne soient formés pour en discuter la légitimité… «C’était comme cela. Nous n’avions plus qu’à applaudir». Aux lendemains de la mort de Richard Descoings, l’Administration a semblé prise de court, contrainte d’élaborer une procédure originale. D’où son aspect bancal, ce gouffre qui sépare son fonctionnement des souhaits étudiants et médiatiques. L’on ne pouvait peut-être pas faire beaucoup plus en si peu de temps.

Relativisons également ce manque d’opacité, par la nouvelle image qu’avait acquise Sciences Po. Que trouve-t-on réellement choquant ? La procédure de décision en elle-même, ou son décalage, son inadaptation à la médiatisation de l’IEP ces dernières années ? On voit ici à quel point l’IEP garde l’empreinte de Richard Descoings : surmédiatisée, égocentrique et plus ouverte, l’École suscite maintenant des attentes en adéquation avec les mandats de son ancien directeur, moins avec le fonctionnement administratif universitaire traditionnel. Devenue image de marque, source d’intérêt pour les médias, différents acteurs revendiquent un rôle dans le fonctionnement de SciencesPo, là où ses dirigeants estiment l’avoir déjà profondément modifiée.

Mais retour au calendrier, l’été ayant gommé certains souvenirs : durant le mois de juin, quatre candidats ont été présélectionnés, «shortlistés» plutôt, et ont donc été auditionnés par les comités. Il s’agit dans le détail d’un oral d’une quinzaine de minutes devant le comité du conseil de direction de l’IEP et d’un entretien individuel avec tous les membres du comité du conseil d’administration de la FNSP pouvant durer jusqu’à deux heures. Mais certaines zones d’ombre demeurent : comment expliquer, si le rôle de l’Etat dans la nomination du successeur de Richard Descoings est si important que seuls quatre candidats sur vingt-quatre aient été auditionnés par les comités de sélection ? Si J-C Casanova clame haut et fort que tout reste ouvert, les autres candidats n’ont toujours pas été invités à un entretien et l’on peut se demander s’il ne s’agit pas que d’un peu de fumée pour calmer les doutes élyséens … Et du coup comment ce dernier quatuor a-t-il donc été choisi, et sur quels critères ? Mystère, mystère.

Le cinquième candidat et grand favori : le rapport de la Cour des Comptes

cour-des-comptes_article_pleine_colonne.jpg« Epine dans le pied », « épée de Damoclès », « grande ombre au tableau »… Ce mystérieux candidat nommé des qualificatifs les plus menaçants, « qui ne sera jamais Directeur de Sciences Po et qui pourtant semble gouverner cette rentrée », c’est lui, le fameux rapport de la Cour des Comptes sur la gestion de notre École. Il s’est imposé de force, les Conseils ne semblent pas vouloir de lui, mais il faut faire avec. Un article du Monde datant du 8 juillet énonçait l’ « abandon des règles les plus élémentaires des finances publiques », l’irrégularité de la gestion et l’irresponsabilité des dirigeants, sans oublier d’évoquer le scandale des primes dévoilé par Mediapart en début d’année, les dépenses déraisonnées, et la prise en charge par la FNSP des frais de missions et de déplacements de Richard Descoings quand celui-ci travaillait sur la réforme du lycée en 2009.

Or en cette semaine de rentrée, nouvelle pierre dans la mare : le Ministère de l’Enseignement supérieur a demandé à J-C Casanova d’attendre la publication définitive du rapport de la Cour des Comptes, qui ne devrait pas être communiqué avant novembre, pour nommer le nouveau Directeur. De fait, les deux réunions qui devaient faire émerger un candidat, le 4 et le 18 septembre, la première pour le CD-IEP, la seconde pour le CA-FNSP, ont été reportées. Un contretemps handicapant pour la stratégie du duo Casanova-Pébereau, qui seraient partisans de la nomination d’Hervé Crès, et qui voulaient que la décision du comité du CD-IEP soit prise la première – H. Crès étant grandement favori – pour contraindre le comité du CA-FNSP à prendre la même décision. Si le rapport venait à être publié avant la nomination, H. Crès, au cœur de la dernière équipe dirigeante, et ayant forcément sa part de responsabilité dans les dérives financières des dernières années, pourrait alors voir sa nomination fortement contestée. Mais sur cet échiquier dont les pions bougent chaque semaine, J-M Blanquer pourrait lui aussi être désapprouvé, puisqu’il joua un rôle important dans la tenue des moyens de gestion de l’éducation sous N. Sarkozy.

En définitive, si les tractations médiatiques vont continuer, la nomination ne devrait pas arriver de si tôt. Le candidat a-t-il déjà été choisi ? Le Rapport perturbera-t-il ce choix ? Mystère ! Ou pas.

6 Comments

  • Mathilde

    Je rejoins ce que dit Jean, Hervé Crès ne me semble pas être un favori auprès des élèves; contrairement à Richard Descoings il n’est pas spécialement connu ou apprécié des élèves, il me semble plutôt vivre uniquement du côté de l’administration. Certains professeurs (qui occupent également des postes de gestion de la scolarité) sont davantage connus et appréciés, et même disponibles pour les élèves. Si j’ai déjà pu parler avec Richard Descoings à quelques occasions, je n’ai que « vu » Hervé Crès et n’ai jamais fait de même avec lui. Il ne me semble pas qu’il soit proche des élèves, alors de là à parler de favori quand c’est quelqu’un que l’on croise à peine, un peu surfait. Je n’ai vraiment pas l’impression que cela reflète une réalité. Après, favori pour le poste côté IEP, je n’en doute pas !

  • Elian

    Nous voulons justement éviter d’être une sourde caisse de résonance, d’où le vœu de faire autant d’articles, d’aller à la rencontre des quatre plus sérieux candidats, et de mettre en doute ce que disent les médias.

    La seule affirmation sur laquelle on peut un peu plus se pencher , c’est: « comment pouvez-vous nous dire qu’H. Crès est le candidat « préféré » des étudiants? ».

    A propos de la préférence de l’Administration, terme un peu générique pour désigner les deux présidents des comités d’instruction des candidatures, ce qui est affirmé dans l’article est de source sûre; mais nous avons sept articles à publier, dont 4 qui relateront des interviews. Il aurait été peu raisonnable de préciser: « selon telle source étudiante… selon telle source de l’administration… ».
    Mais ce qui est relaté ne vient pas des médias ou des dizaines d’articles qu’on peut lire, cela provient bien de sources internes à Sciences Po. Et sûres, car concernées directement.

    Il y a d’autres rumeurs, beaucoup plus extravagantes et infondées, qui tournent. Pour un sujet comme celui-ci, il est évident que la vérification minutieuse de tout ce qui était écrit était un impératif, et il fut respecté. Les articles sur les candidats vous en apprendront davantage!

  • Ronan Maurel (oui il existe encore des gens qui signent...)

    « relayer des rumerurs » -> C’est un peu le problème de ce type de dossier. L’opacité de la procédure confine aux rumeurs et autres on-dit. Blamer l’auteur pour avoir fait avec ce qu’il a est quelque peu exagéré.

    « si les médias vous intéressent » -> Dieu merci les membres de LaPeniche.net ne sont pas tous des aspirants à l’Ecole de Journalisme. Le modèle associatif porté par LaPeniche est d’autant plus fort qu’il est représenté par des étudiants aux ambitions et parcours divers.

    « journalisme de bas étage » -> La critique est simple. L’intérêt des articles de ce site n’est pas la grande compétence journalistique de ses redacteurs qui ne s’en revendiquent pas d’ailleurs.

  • vigilance

    Vous ne faites que relayer des rumeurs quant à la nomination, vous n’avez aucune source sur la préférence pour tel ou tel candidat, et cela demeure du journalisme de bas étage… Il faudrait être plus persévérant si les médias vous intéressent plutôt que de n’être qu’une sourde caisse de résonance.

  • Jean

    Merci pour cet article fouillé, j’attends la suite avec impatience.
    Cela dit, il me semble un peu inexact de présenter Hervé Crès comme le favori « auprès des élèves comme de l’Administration ». De nombreux doutes se font quand même jour sur ses capacités de gestionnaire, comme vous l’avez souligné… Et à titre personnel (élève en 5A), le projet de Gilles Andréani que le Monde avait diffusé il y a quelques temps me semblait très stimulant.