Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Lapéniche.net publie en ce lundi une lettre de Lucie Huber, étudiante de Sciences Po en deuxième année, reçue la semaine dernière suite au décès de Richard Descoings.

L’annonce du décès de Richard Descoings a bouleversé les étudiants de Sciences Po. À ce titre, il pourrait être offensant, moins d’une semaine après cet évènement, d’écrire un article qui ne soit pas un hommage à notre Directeur. Et pour cause. En cette heure douloureuse, ce n’est pas qu’une communion à la mémoire d’un grand homme à laquelle on assiste. Chaque élève semble être touché personnellement. Qu’y a-t-il donc à rajouter, me direz-vous ? N’est-ce pas normal, au vu de ce qu’a apporté Richard Descoings à l’institution, au vu de ce que nous pouvons tous réaliser grâce à son engagement ?

Ne devons-nous pas chacun ressentir la perte qu’est la disparition de Richie ?

Un des pires ennemis de Richard Descoings était la « bien-pensance ». Il semble qu’en ces heures endeuillées et profondément choquantes, notre affliction nous égare. Respecter la mémoire de Richard Descoings, ce n’est pas seulement se recueillir. C’est aussi agir et s’exprimer dans la lignée de ses convictions les plus profondes. C’est adopter dans son comportement une cohérence qui respecte l’esprit de Sciences Po tel qu’il nous a été transmis par notre directeur.

Les médias sont surpris de la réaction spontanée des étudiants de l’école. Qu’y a-t-il de surprenant dans cette expression commune de tristesse ?

La « bien-pensance » du deuil. Il ne s’agit en aucun cas d’exprimer de l’indifférence. Cela n’est pas possible, et qu’on ne m’accuse pas de monstruosité. Mais la douleur du deuil est quelque chose d’intime. La tristesse est silence. On assiste sur Facebook à l’affichage du deuil de la part des élèves. Messages affligés, photos de profil symboliques, voire entête de « murs » à l’effigie de Richard Descoings. Les pages Facebook des élèves de Sciences Po sont devenues les épitaphes virtuelles d’une tombe inexistante.

Les pleureuses n’ont jamais possédé les deuils dont elles exprimaient cependant la douleur. Bien loin d’une offense aux proches, collègues et amis du Directeur, c’est une mise au point que je souhaite faire : élèves anonymes, nous tous qui sommes profondément touchés et infiniment concernés par cet évènement brutal, séchons nos larmes. Elles nous empêchent de voir que notre tristesse est une convention. Quoi de plus regrettable qu’une telle tristesse, quoi de plus offensant à la mémoire de Richard Descoings qu’une tristesse automatique, qui n’est même pas consciente des cordes qu’elle fait vibrer ? La compassion est compréhension ; de sa propre affliction comme de celle des autres. Comprendre le deuil des autres, ça n’est pas revêtir le noir de la douleur ; c’est être leur témoin immobile et muet. Qu’un inconnu, simple curieux ou vague connaissance, vienne couler des larmes devant l’être défunt, ça n’est pas légitime. Ça n’est pas de la compréhension. C’est de l’inconscience.

Confondre ses sentiments revient à exprimer une douleur qui vient de nulle part et ne mène à rien. Car il faut dissocier le recueillement commun et au nom de l’école de la personnalisation du deuil. L’expression massive de la douleur par les élèves m’a semblé présenter un danger, il semble qu’elle fasse perdre le sens du mot souffrance. Et elle dissimule les sentiments de tous ceux qui souffrent réellement derrière des larmes mécaniques. Il semble que le deuil soit plus une conséquence de l’appartenance à la communauté de Sciences Po que le regret de la personne même de Richard Descoings. Car il n’y a pas d’une part ceux qui sont profondément touchés et choqués, et de l’autre ceux qui souffrent et peinent à supporter le poids du deuil sur leurs épaules. Les réactions les plus affichées deviennent représentatives du regret de Sciences Po et de la perte ressentie. Et pendant que se multiplient les marques ridicules d’affliction, les douleurs sincères sont muselées, sans trouver de soutien dans la compassion des autres, plus agitée et bruyante qu’« immobile et muette ». Tout le monde souffre comme si chacun d’entre nous, par sa simple appartenance à la communauté étudiante de Sciences Po, avait connu personnellement Richard Descoings. Cela a-t-il vraiment un sens ?

Au lieu d’être suivi par un deuil « bien pensant », ce grave moment pour la communauté de Sciences Po devrait être le moment d’une réflexion commune, simultanée mais intime, sur le sens du recueillement et de la mort, et sur ce qu’est, et sera, l’absence de M. Descoings pour notre école.

16 Comments

  • Juliette C

    « Alors respectons le deuil de ceux qui veulent le faire et arrêtons cette bien-pensante dénonciation de la bien-pensance: vous tombez dans les travers que vous dénoncez, mesdames, messieurs les censeurs. »
    +
    « En ces temps de douleur, justement, foutons la paix les uns aux autres. »
    =
    MERCI.

  • Thaïs

    Je suis assez d’accord, spontanément, avec l’ensemble de l’article. Cependant, je trouve ça assez con, dans le fond, de donner des leçons aux gens sur la façon dont il doivent vivre leur deuil. Certains vont dissimuler des larmes sublimes tandis que d’autre vont pleurer toutes les larmes de leur corps. Certains sont la démonstration, la surenchère parfois peut-être, et d’autres dans la discrétion. Et bien soit. Bien sûr, beaucoup d’entre nous n’avaient jamais ne serait-ce qu’adressé la parole à Descoings. Cela n’empêche pas de connaître la grandeur de l’homme et d’être touchés par cette perte. Moi qui ne me souviens pas lui avoir jamais parlé en dehors de facebook, j’ai été très touchée de nous entendre comparés à des orphelins. J’ai pensé que c’était ça, exactement ça, en définitive, qu’il avait été comme un père à l’amour englobant et désintéressé.
    Alors c’est sûr que sans relation intime, il est plus facile d’en faire des statuts facebook et autres démonstrations publiques d’affliction, la distance est en effet plus importante. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de réelle tristesse.

    Donc même si je reconnais avoir tendance à adhérer à ce genre d’opinion, après réféxion je trouve ça grave de porter des jugements à l’emporte pièce et de faire des procès d’intention lorsque justement, nous portons tous à titres différents et PERSONNELS notre deuil.

    En ces temps de douleur, justement, foutons la paix les uns aux autres.

  • Hugo

    Merci pour cet article qui tente de trouver, avec un certain succès, les mots pour exprimer ce que Lucie, moi, et très certainement beaucoup de personnes ont ressenti.
    Toute disparition brutale est un choc, une tourmente ; par ailleurs je reconnais à M. Descoings de nombreux mérite et je lui suis reconnaissant de son action ; mais cette émotion collective révèle à mon avis quelques penchants assez malsains : l’entre-soi et l’hypocrisie d’une « communauté Sciences-Po », l’idéalisation d’une personne, certes de grande qualité, mais qui n’était après tout que notre chef d’établissement et que par conséquent peu d’entre nous connaissaient.

  • 2A

    La tribune n’est pas une vérité, mais une opinion qui, me semble-t-il, a été écrite pour que les étudiants de Sciences-PO se rendent compte que leurs réactions ont pu être quelque peu exagérées. Pour ma part, et intimement, je pense que chacun est libre d’exprimer sa souffrance. La question qui se pose n’est pas celle de la légitimité ou non de l’exprimer ouvertement (larmes) ou concrétement (bougies, mots au 27), mais davantage, sinon surtout, de la sincérité intérieure de l’affliction. Je n’ai pas fait partie des jeunes étudiants qui ont pleuré lors de la minute de silence ou dans les couloirs de l’établissement. Ce n’est pas pour autant que je les ai considérés comme « faux ». Et dieu sait que j’avais des raisons d’être davantage touchée que certains par la perte de Monsieur Descoings pour avoir eu la chance de le connaitre, s’il est possible bien sûr à quelqu’un d’être à même un jour de saisir toute la pleinitude humaine de notre défunt directeur. J’ai préféré vivre un deuil dans le silence, parce que cela correspond à mon caractère, et peut-être, voire sûrement, parce que j’en avais la force morale, qui manquait à certains à ce moment-là. Mais après, êtes-vous allée interroger les jeunes étudiants que vous avez vu pleurer ? (pour ma part, j’en ai vu peu ; davantage d’étudiants affligés, mais rarement en pleurs). Si non, il se peut que ceux qui pleuraient, le connaissaient. Ou tout simplement, avaient-ils réussi à saisir, au cours de leurs années passées à Sciences-PO, quel homme était M.Descoings, et l’avaient peut-être pour certains pris comme modèle, sinon pris de lui les valeurs sur lesquelles ils ont décidé de fonder leurs vies: authenticité des rapports, autrui au coeur de chaque pensée et action… Personnellement, je pense que notre directeur était, pour reprendre l’expression de Kessel, un ardent indigné. Et perdre, dans ce monde qui en compte si peu, pour ne pas dire, de moins en moins, peut affecter, en toute légitimité cette fois-ci , toute personnene connaissant pas intimement M.Descoings.

  • Hugo

    D’accord, certaines réactions semblent exagérées mais comme l’ont dit certains, qui sommes-nous pour juger d’où doit s’arrêter la tristesse?
    Fallait-il aller à la cérémonie ou pas? Fallait-il déposer un mot sur le petit autel du 27 ou pas? Fallait-il changer sa photo de profil ou pas? Mais attendez, dans quel monde on vit que chacun n’ait le droit de s’exprimer comme il le souhaite? Comment juger de ce qu’ont pu ressentir certains étudiants?
    Personnellement, je ne suis pas « effondré » ou « complétement bouleversé » mais sa mort m’a fait quelque chose. J’ai écrit un court billet facebook parce que j’en ressentais le besoin. Ma photo de profil est toujours la même et je n’ai pas couvert de roses le petit autel. Et même si je l’avais fait, est-il besoin d’avoir connu personnellement R. Descoings pour être attristé par sa mort ?
    Mon dieu, mais alors que dire des millions de gens qui ont pleuré sur la mort de Mickaël Jackson alors qu’ils ne le connaissaient que par ses chansons? Je n’en étais pas et pour tout dire, le King de la pop je m’en balance comme de l’an 40. Ce n’est pas pour autant que ces gens étaient ridicules.
    Chacun d’entre nous à ses objets de peine et d’afflictions, respectez-les. A ce que je sache personne n’est encore aller s’immoler en mémoire de notre directeur ni dire qu’il avait perdu un membre de sa famille. Alors respectons le deuil de ceux qui veulent le faire et arrêtons cette bien-pensante dénonciation de la bien-pensance: vous tombez dans les travers que vous dénoncez, mesdames, messieurs les censeurs.

  • anonyme

    Bien d’accord. Nous sommes entourés de slackers : sur mon canap’ je pleure à travers facebook. Mettons-nous à la place de la famille du défunt, qui apprécierait une vision si hagiographique d’un de ses proches défunt ? Cela ne relève plus de l’humanité, c’est la voie vers la mystification. Le mythe du sauveur n’est pas nouveau. Mais qui a-t-il sauvé ce directeur d’école ? Racisme de l’intelligence quand tu nous tiens.

    Quel dommage que de dépenser son énergie à pleurer pour un homme qu’on ne connait pas quand tant d’êtres souffrent en silence à côté de soi, que le taux de suicide grimpe avec la crise, que les liens sociaux démultipliés soient uniquement des postures. Un sourire, un geste de politesse envers un autre anonyme ça vaut bien plus que l’affichage impudique d’une émotion artificielle.

    Il n’y a plus d’humanisme et de liberté dès lors qu’on se fait dicter par les autres à qui l’émotivité doit être adressée. Bienvenue dans la société totalisante.

  • Mnemos

    Je suis tout à fait d’accord avec le commentaire de Marc Aurèle. Je pense qu’il est bon de faire prendre conscience aux élèves qu’il faut faire attention à ne pas « aller trop loin » dans le deuil de Richard Descoings, en particulier pour ceux qui ne l’ont pas connu personnellement.
    Mais d’un autre côté, qualifier de « pleureuse » une partie de la communauté de Sciences Po qui a osé manifester sa tristesse publiquement me parait largement injustifié. Certains considèrent le deuil comme un sentiment qu’il convient d’intérioriser : ce sont leurs convictions, nul ne les remet en question. Mais cela ne leur donne pas le droit de juger de la sincérité de ceux qui l’expriment et de les accuser d’instrumentalisation (cf pseudo du premier commentaire). La tristesse n’est pas constituée uniquement de « silence », elle peut aussi apparaitre sous forme de témoignages oraux ou écrits, anonymes ou pas, tels les messages laissés rue Saint Guillaume. Il n’ont rien de « ridicule », de « mécanique », et n’ont certainement pas pour effet dans l’esprit de ceux qui les ont écrits d’éclipser la douleur de ceux qui ont été le plus touché par la disparition de Richard Descoings.

  • 2A MH

    @ Marc Aurèle, je suis d’accord avec toi.

    Pour ma part, si j’ai changé ma photo ainsi que la couverture de ma page, ce n’était pas pour exprimer une douleur exagérée, mais simplement pour rendre hommage à R. D. L’auteure de cet article me semble un peu prompte à exagérer, elle-même, la portée et la signification des démonstrations de tristesse des étudiants.

    Par ailleurs, il ne me semble pas paradoxal d’être affligé par la mort d’un homme que l’on connaissait à peine. Cela me semble être une preuve de respect pour lui, en tant qu’Homme, ainsi que pour ce qu’il représentait.

    Je rejoins cependant l’auteure sur ce point: les démonstrations d’affliction trop bruyantes et ostentatoires ont pu éclipser la douleur, plus forte et réelle, de ceux qui l’ont réellement connu.

  • Marc Aurèle

    L’analyse de l’auteur est très juste mais je ne vois pas où il veut en venir. Oui, certains réactions semblent trop fortes et ne correspondent pas à une relation personnelle avec Richard Descoings. Et alors? Elles correspondent à un attachement à Sciences Po et à ce que symbolisait et représentait Richard Descoings.

    Où est le danger dont parle l’auteur? En vrai il n’y en a pas tellement et l’auteur chipote dans ce joli mais inutile article.

  • 2A EH

    @2A JH : la remarque est très juste. Cette tribune n’est pas une vérité mais simplement une opinion portée sur un évènement qui a marqué la communauté de Sciences Po.
    Il ne s’agit pas ici de définir un « bon » ou un « mauvais » deuil, chacun a le droit d’exprimer sa souffrance, mais plutôt de nous faire prendre conscience étudiants de Sciences Po que notre réaction était peut être un peu exagérée. Je trouve cette tribune totalement justifiée car si nous avons pu être choqués, je pense que seule une minorité des étudiants connaissant personnellement Descoings étaient vraiment affligés. Certes sa mort est une perte pour l’institution, mais l’est elle dans notre vie personnelle ? « La tristesse est silence », je le pense pleinement : quelle personne souffrante et affligée vient le crier sur les toits, l’afficher sur son mur facebook ? Quelqu’un qui souffre rééllement se replie avant tout sur lui, s’éloigne du monde pour réfléchir. Certes, les mots de soutien ont pu réconforter ses proches, mais point trop n’en faut. Changer sa photo de profil pour marquer le deuil cela est compréhensible (je l’ai moi aussi fait), mais conserver cette image près d’une semaine après cela est – je trouve – exagéré et relève d’une certaine forme de bien-pensance, d’une idolâtrie simulée qui consiste à ériger R. Descoings en tant que Dieu simplement parce qu’il était notre directeur. Y a t il eu la même réaction suite à la mort de D. Destal ? Non. Pourtant lui aussi venait en aide aux élèves, à ceux justement qui souffraient en silence. Certains d’entre eux le connaissaient personnellement et ont été plus choqués de sa mort que celle de R.D, pourtant ils n’ont pas joué ce rôle des pleureuses que jouent la plupart des étudiants de Sciences Po.

  • 2A JH

    A 2A: le deuil n’est pas ici tourné en ridicule. C’est justement l’expression démesurée d’une tristesse et d’une affliction qui est remise en cause…
    C’est une tribune, ce n’est pas une vérité.
    Qui est Lucie Huber pour juger? Un individu qui est doté, comme chacun, d’une capacité de jugement et qui donc, peut prendre position publiquement. Sa prise de position n’est pas illégitime. Le débat suscité par celle-ci est lui aussi entièrement légitime et même souhaitable, et c’était là, il me semble, aussi le but de la tribune.

  • 2A

    Mais qui êtes vous pour juger? Pour parler de « marques ridicules d’affliction », pour sonder la profondeur des âmes, vous faire juge des tristesses?
    Pour considérer que la « tristesse est silence »? Chacun ressent et exprime sa tristesse de la manière qu’il juge la plus adéquate, et il n’appartient à personne de préjuger de la sincérité de cette dernière.
    Personne ne vous a donné autorité pour juger de l’adéquate réaction, si certaines d’entre elles semblent excessives, est-ce à nous de définir ce que doit être le « bon deuil »?
    Et il y a des moments ou la dénonciation de la « bien-pensance » atteint ses limites, tourner en ridicule l’expression d’un deuil en est une…

  • 2A

    Une grande justesse dans les propos de l’auteur. Merci pour cet article qui rend un beau hommage à Descoings.

  • 3A

    Merci aussi. Cette démonstration exacerbée d’un deuil qu’on porte en changeant sa photo de profil était tout simplement ridicule.
    Hommage à Richie et pensées pour ses proches.