Semaine de la recherche : les médias peuvent-ils déterminer les élections ?

semaine-2012-petit.jpgDepuis le 20 mars, le CSA chronomètre scrupuleusement le temps de parole de chaque candidat à la présidentielle ; tous doivent bénéficier, à la minute près – quitte à les faire commenter l’actualité sportive – de la même couverture médiatique, et ce malgré les pressions, les casse-têtes des rédactions et les requêtes envoyées au Conseil Constitutionnel. Cette décision est ridicule pour deux raisons : d’une part, ce que l’on ne gagne pas en égalité (en effet, personne ne saurait douter de l’ingéniosité des chaînes de télévision pour glisser l’allocution de Philippe Poutou à une heure avancée de la nuit, entre deux rediffusions de New-York, section criminelle, quand seul reste éveillé l’archétype pipiste terminant son exposé de droit constit) on le perd en offre politique (les problèmes d’organisation sont tels que disparaitront les grandes émissions politiques, les débats enfiévrés, les savoureuses joutes mélencho-lepenistes au profit de mornes discussions AFP-isées pré-enregistrées), comme si l’on pouvait se permettre compte tenu des records d’abstention une telle économie de communication à cinq semaines de la grande messe républicaine.

Cette étroite surveillance du CSA souligne la défiance envers des médias accusés de manipuler l’opinion. Qu’en est-il vraiment ? Le mardi 20 mars, SciencesPo accueillait deux chercheurs, Emiliano Grossman et Ruben Durante, du LIEPP (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques), LABEX créé avec le Grand Emprunt, pour exposer leurs travaux sur cette question, dans le cadre de la semaine de la recherche.

Ruben Durante, qui, à défaut d’adopter la vision de l’indépendance des médias de Silvio Berlusconi, partage son anglais enrobé et chantant, expliqua dans la lignée des travaux de Paul Lazarsfeld, que l’influence des médias était plutôt mince aujourd’hui : en réalité, les médias ne déterminent pas notre vote, c’est nous qui choisissons nos médias compte tenu de nos opinions. Nous lisons ce que nous voulons lire, nous écoutons ce que nous voulons entendre. Ainsi, la position monopolistique de Libé sur les bancs boutmystes ne s’expliquerait pas par la volonté directoriale de subrepticement imposer une idéologie socialo-démocratico-écologico-magnifico-néocapitaliste à de jeunes lycéens politiquement vierges mais consacrerait plutôt le triomphe d’une jeunesse éduquée dans l’ascèse socialiste. Cette logique de la sélection informative se retrouve sans que nous en soyons vraiment conscients sur Internet, avec des moteurs de recherche qui vont au moyen d’algorithmes puissants hiérarchiser les sites en fonction de notre historique et de nos préférences. De plus, la diversification des sources d’information (apparition d’Internet et des journaux gratuits, libéralisation du secteur audiovisuel) et l’atténuation des clivages partisans dans le secteur de la presse et de la télévision, du fait du nombre réduit de journalistes et de la nécessité de coller le plus possible à l’actualité au détriment des articles de fond ont réduit l’empreinte des médias sur les décisions électorales.

Mais les médias ont encore un impact important sur le vote via ce que les chercheurs appellent l’effet de priming, c’est-à-dire l’émergence d’enjeux qui deviennent des critères majeurs de l’élection après une salve furieuse et passionnée de «20h» emphatiques et de Unes grandiloquentes. À ce titre l’exemple de 2002 est probant : le traitement médiatique de la hausse de l’insécurité en France avait fait le jeu du FN (d’où le jeu de mot TFN pour la contraction de la célèbre chaîne et du parti d’extrême droite) ; aussi, on peut légitimement se questionner sur les répercussions politiques que pourraient avoir les tragédies de Toulouse et Montauban. Emiliano Grossman montra, à travers toute une batterie d’indices sophistiqués, les sujets qui profitaient aux divers candidats : par exemple, aborder le thème de l’immigration sert François Hollande et Nicolas Sarkozy, tandis que Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou voient leurs intentions de vote baisser et que Marine Le Pen stagne ; ceci est dû au caractère clivant du sujet qui pousse les électeurs au vote utile aux dépens des candidats dont ils se sentaient d’habitude plus proches.

La conférence se termina par toute une série de questions-réponses autour du contrôle des «politiques» et des annonceurs sur la ligne éditoriale des médias et sur les instituts de sondages. Intéressante, elle n’apprit surement pas grand-chose aux 1A de Pascal Perrineau ; les deux chercheurs reconnurent d’ailleurs le manque d’originalité de leurs résultats qui s’expliquerait notamment par la faible intensité de la campagne (3 fois moins de sondages qu’en 2007 à la même période), campagne qui ne devait se lancer véritablement que la semaine suivante. Heureusement, le CSA veille.

2 Comments

  • Paul Laurent

    Je suis d’accord. En même temps voilà, rien de vraiment original (et de scientifiquement prouvé) n’a été réellement mis en avant ; la conférence a en fait plutôt été une discussion autour des travaux de Lazarsfeld qu’autre chose, d’où le sentiment normal de frustration en sortant.