Sciences Po/ENA : même combat ?

ENA
La facebooksphère sciences piste est en ébullition depuis mardi 17h04 quand, par le biais du profil super-actif de notre bien-aimé directeur, les résultats d’admission à l’ENA sont tombé. 30 admis sur 40 proviennent de la maison. Score honorable si il en est qui vient rassurer tous ceux qui ont choisi Sciences Po comme voie royale pour un ticket de train direction Strasbourg. Sciences Po est toujours statistiquement le meilleur moyen d’entrer à l’ENA. Légère ombre au tableau cependant, alors que le nombre d’admis n’a pas bougé depuis l’an dernier, Sciences Po y a fait rentrer cinq élèves de moins. En matière de résultat hégémonique les 35 admis provenant de Sciences Po sur les 40 admis l’an dernier au concours externe étaient pour le coup particulièrement remarquables. La baisse (relative) de cette domination de Sciences Po est sujette à débat – débat qui a d’ailleurs fait rage sur le mur de Richie. Que penser alors de ce 30/40 ?

Tout d’abord, ce résultat est presque rassurant quand à la qualité des formations de Sciences Po. Si le plus gros Institut d’Etude Politique de France, et plus gros pourvoyeur de candidats à l’ENA ne représente pas un part importante des admis, cela signifierait très clairement que sa formation est d’une qualité inférieure à celle des autres. Au-delà de l’aspect arithmétique de la chose, qui on le sait est un argument plutôt bancal, les très bons résultats des étudiants de Sciences Po tant à l’admissibilité qu’à l’admission à l’ ENA s’expliquent par une forte volonté de la part de l’école d’accompagner ses étudiants vers ces filières. A travers la Prépa-concours Sciences Po propose aux étudiants une formation pour préparer les différents concours administratifs français (ENA et ENM notamment). Cette formation passe notamment par des cours, des entrainements aux concours, des oraux blancs, etc. Tout cela sans compter bien sur la grande proximité entre le Master Affaire Publiques et l’ENA. Autre élément qui joue probablement son rôle est « l’effet réputation » comme le souligne un ancien-normalien admis à l’ENA l’an dernier. Sciences Po Paris est depuis longtemps le plus grand pourvoyeurs de candidats et d’admis à l’ENA – à tel point que l’on a fini par annexer leurs locaux du 13 U pour être sur qu’ils ne sortent pas de la famille. Malgré la présence de Prep’ENA dans d’autres IEP – notamment Bordeaux ou Strasbourg – des « provinciaux » montent à la capitale attirés par la réputation de la prépa Parisienne. On peut envisager qu’en regardant les résultats les étudiants les plus motivés aillent maximiser leur chance à Paris.

Par contre, si ce résultat est très gratifiant pour Sciences Po, il soulève le débat à propos des profils reçus à l’ENA. Dans quelle mesure la Prep’ENA de Sciences Po Paris tend à uniformiser les étudiants en faisant d’eux la parfaite caricature du Haut-Fonctionnaire suffisamment compétent pour faire tourner la machine et assez effacé pour ne pas gêner sa hiérarchie ? Le rapport de la présidente du jury de 2010 soulignait une trop grande uniformité des candidats. Trop de costumes sombres disait-elle. Mais qui oserait mettre en péril son admission en se pointant à l’oral vêtu d’un perfecto bleu fluo et en trimbalant un magnétophone qui hurle Anarchy in the UK… quoiqu’on puisse toujours voir ça comme une technique de la dernière chance. Bien sur la critique principale du rapport porte sur le trop grand nombre de candidats en provenance de Sciences Po Paris, et notamment sur le manque de représentation des IEP de province. La sélection des meilleurs étudiants au moment notamment du concours d’entrée et « l’effet réputation » ensuite sont largement à l’avantage de Paris et peuvent expliquer au moins en partie ce point : finalement l’analogie est grande avec la course aux grandes Prépas parisiennes post Bac pour intégrer ensuite les Grandes Ecoles, parisiennes elles-aussi. Bien à rebours de l’hégémonie reprochée à Paris, la légère diminution du nombre de sciences pistes futurs énarques cette année se fait sans doute au profit d’une plus grande diversité au profit des IEP de province par exemple…

Enfin, cette critique du rapport sur Sciences Po ne porte pas tant sur le niveau des étudiants que sur l’uniformité des profils et le caractère effacé des candidats à l’oral. Trop de cravates on l’a dit, mais aussi trop d’hésitation à s’affirmer personnellement sur des sujets politiques, à tous être trop consensuels. Cette conclusion peut surprendre quand on pense à la volonté affichée de la direction d’attirer le plus de profils possible à Sciences Po. La Prep’ENA et les admissions au niveau Master permettent de recruter encore plus large que les admissions post-bac (qui offrent déjà une certaine variété). L’uniformisation de la formation est-elle alors à mettre au pilori ? Charles-Maurice qui dénonce des enseignements trop typé gauche bien-pensante Terra Nova-style met-il le doigt sur vrai problème ? Ou bien cela vient-il de l’attente d’uniformité d’une administration dans laquelle le match haut-fonctionnaire/responsable politique réserve un suspens limité ? Ne prenons pas de risques (il paraît que c’est le style de la maison) et disons un peu de tout ! Il est tout à fait vrai que globalement, que ce soient le directeur ou les professeurs stars de l’école, aucun n’a le profil typique du leader de droite réactionnaire ou de gauche révolutionnaire. Cependant, ces profils se retrouvent facilement au sein des étudiants qui ne sont pas non plus livrés à ces professeurs totipotents comme la glaise aux mains d’un sculpteur mégalomane qui les façonnerait à son image. Le front de gauche est très présent au sein des étudiants, l’UMP ne manque pas d’effectifs, le Met non plus. On trouve même quelques irréductibles représentants du NPA, et bien qu’il soit sur liste noire, je suis certain que sans se fatiguer outre mesure on doit pouvoir trouver quelques supporters du FN. Problème : un militant du NPA qui proteste contre le système aura du mal à passer l’oral de l’ENA en le criant haut et fort (sans compter que cet archétype de l’élitisme s’oppose sans doute à son idéologie et qu’il n’y postulera sans doute pas). Quand à un réactionnaire, il se dira sans doute qu’en prenant des positions trop fortes il hypothèque ses chances. A ne pas oublier cependant que Marine Le Pen trouve des ressortissants de l’ENA pour sa campagne…

Quoi qu’il en soit félicitons quand même les admis du cru 2011 et souhaitons bonne chance à tous nos chers camarades sciences pistes qui tentent le coup cette année !

12 Comments

  • yziquel

    le problème est votre formation/ « petites boites toutes pareilles »/ vous faites barrage a l’enseignement d’analyses économiques/ politiques non orthodoxes par exemple. Cela vient surement des antécédents politiques de votre école.
    vous venez principalement de la meme classe sociale « Oh la vilaine expression », donc les memes interets ET la tendance a avoir le meme catéchisme. Pire a mes yeux, vous avez infecté des écoles « républicaines » comme l’ENA qui devrait inculquer la diversité des opinions présentes en démocratie républicaine.
    On retrouve vos anciens aux renes de l’état ou d’institutions ou ils brillent par leur conformisme.
    Ayant fait les écoles préparatoires « républicaines » il est grand temps que vous soyez sélectionnés par les memes voies

  • Alex

    « Trop de costumes sombres disait-elle. Mais qui oserait mettre en péril son admission en se pointant à l’oral vêtu d’un perfecto bleu fluo et en trimbalant un magnétophone qui hurle Anarchy in the UK. »

    Cela montre bien l’ignorance du vêtement et de ce qu’il implique, tant de la part des candidats que de l’auteur de l’article.
    Le vêtement, en France, est, comme le montre l’article, toujours perçu comme un attribut de la superficialité. Et cela vient d' »en haut » : observer l’accoutrement d’énergumènes tels Finkielkraut, BHL ou encore Houellebecq : l’un a toujours les cheveux ébouriffés et nage dans ses costumes malajustés, l’autre est d’un jeunisme moderne déconcertant, le dernier ascète/écrivain n’est pas mieux qu’un sans-abri, la saleté en moins.

    Sinon, on dit que le vêtement est une préoccupation de riche. Certes, mais personne ne peut ni ne veut avoir une une chemise de chaque couleur et dans chaque motif/matière possible. Le vêtement de qualité est un investissement qui peut durer une vie, plus longtemps que le jetable qu’on trouve chez célio ou dans le PAP.

    Déjà rien n’oblige à venir en costume à un entretien pour une école comme l’ENA tant il est probable que le jury soit lui même mal habillé et n’a que peu de notions dans le domaine (mais bon 90% de la population l’est aussi). Il suffit d’être propre et de ne pas tomber dans l’extravagance et le « style ». L’élégance peut être de mise mais elle doit être retenue tant elle dénoterait par rapport aux fâcheuses tenues de la grande majorité des candidats.

    En Allemagne, par exemple, la cravate peut servir à indiquer les tendances politiques. En Angleterre, à indiquer de quels clubs on a pu être membre à l’université. Bref, il y a de quoi faire tant les variations sont possibles.

    Seulement, l’inculture des candidats dans ce domaine mène à une uniformisation ridicule. Le plus souvent, un bleu sombre domine. Comme chez notre président.

  • Universelle aragne

    De sacrés ribauds ces gars du PS. Le consensus autour de la dénonciation de « cette » gauche, (donc de la part de la droite et de « l’extrême gauche » de SP, si on entend la même chose par consensus), est peut-être du au fait que « cette » gauche existe bel et bien, au moins au 27, et que pour le coup elle est inféconde. Allez les gars, encore un effort pour définitivement lâcher ceux qui ont vraiment besoin de vous (indice : ils ne sont pas à Sciences Po, encore moins à l’ENA), au nom de la maximisation électorale.

  • Terra Nova Sciences Po

    L’uniformité des étudiants dont il est ici question ne viendrait-elle pas également du nominalisme dont certains d’entre eux font parfois preuve, notamment dans le consensus autour de la dénonciation d’une « gauche bien-pensante » (ou des « représentants germanopratins de la diversité » dans le texte original) qui n’existe que dans l’esprit de celui qui la vilipende? Pour adapter une formule de Claude Levi-Strauss à notre propos, le bien-pensant, c’est celui qui croit au bien-penser, et il ne faudrait pas à cet égard s’étonner de voir échouer des candidats dont l’utilisation de schémas de pensée aussi inféconds témoignerait de leur incapacité à exercer le métier de haut-fonctionnaire…

  • Oubli

    Sur les 10 qui restent, 7 sont normaliens, tous viennent de la prépa Paris I- ENS, qui s’impose comme la concurrente majeure de Sciences Po. « La diversification » au profit des IEP de province n’est donc qu’un fantasme.

  • Etudiant

    Et j’ai l’impression que ce ne sont pas forcément les meilleurs, les plus pragmatiques ou les plus ouverts qui présentent les concours.
    Ca doit être différent pour ceux qui le réussissent effectivement.

  • gauss

    Oui on a du mal à comprendre comment les organisateurs d’un concours administratif se plaignent du manque de prises de positions politiques de ses candidats quand on sait que les fonctionnaires sont soumis à un devoir de réserve. Pour autant que je sache, la république française est encore démocratique, et l’Ena n’est pas officiellement l’école des futurs élus.

  • Article superficiel

    Tout à fait d’accord avec le commentaire de « c’est plus compliqué ». L’article aborde le problème superficiellement.
    Un chiffre que M.Descoing met que très peu en avant est le nombre d’étudiants de sciences po premier cycle ayant finalement réussi à intégrer l’ENA. Chiffre qui amènerait sans doute à relativiser la qualité de la formation à Sciences Po ou mettrait en lumière le fait que les étudiants se détournent de la filière administrative traditionnelle.

  • C'est plus compliqué

    Il va falloir nuancer le tableau s’agissant du résultat de sciences po qui est plutôt très décevant:

    1/ L’an dernier, je crois que c’était 37/40 donc c’est 7 de moins. C’est bien pour la diversification des parcours des admis mais beaucoup mons bien pour les élèves de sciences po

    2/ Sur les 30, une grosse partie ne vient pas du 1er cycle sciences po, beaucoup (+de 50% je crois) ont fait HEC, l’ENS ou une licence avant.

    3/ Sur les 30, la majorité vient de 5A et pas de la prépa concours, ce qui est significatif des problèmes d’organisation de cette prépa (calendrier scolaire pas adopté au calendrier des concours; suivi des élèves par les enseignants quasi-inexistants et nombreux reports de cours; gros retards dans les corrections de copies; absence d’entraînement aux épreuves l’été, favorisant ainsi le marché des prépas privés à 3000€ (ipesup). [Heureusement que la responsable du secrétariat se dévoue pour les élèves car c’est bien la seule.]