Scène ouverte au Celebrity Center : musique, sketches et scientologie

10945917_10205614224304455_871259035_nChaque mardi soir, aux alentours de 20h, le Celebrity Center de l’Eglise de la Scientologie, rue Legendre dans le 17ème arrondissement, organise gratuitement une scène ouverte, où rencontre musicale et promotion scientologue se côtoient avec une ambiguïté certaine.  Les  journalistes  ne sont pas les bienvenus.

Ce mardi soir, il est à peine vingt-heures, les artistes  arrivent au compte-goutte. La salle éclairée n’en paraît que plus vide. De simples chaises pliables, et une dizaine de tables couvertes de nappes sombres sont disposées dans la pièce. On pourrait s’attendre à les voir agrémentées de dépliants vantant les bienfaits de la Scientologie, ce n’est pas le cas, pas cette fois.

Les artistes discutent, certains semblent être des habitués, à l’aise, prêts à peaufiner les derniers réglages micro. Une jeune femme  est assise silencieusement près d’une table, en retrait. Un des organisateurs  vient la voir afin qu’elle s’avance sur scène pour procéder à cette rapide répétition. Avant de se lever, elle précise doucement, comme pour s’excuser : « je ne vous l’ai pas dit au téléphone, mais je suis mal voyante ».

L’organisateur ne relève pas. Ashley, 22 ans, étudiante en sociologie à Paris, inscrite sur le site étoilecasting.com est habituée des cours de chants. Elle présente ses deux morceaux, Back to Black d’Amy Winehouse et Love de Nat King Cole avant de donner un rapide aperçu de sa belle voix.

 

Une atmosphère pesante

L’ambiance n’est pas celle des minutes précédant un concert. Le public est très largement composé d’artistes, même si deux d’entre eux bénéficient apparemment du soutien de leur conjoint. Une ambiance très sobre, calme, presque terne,  qui ne changera guère pendant toute la durée de la scène ouverte. Seuls quelques applaudissements discrets viendront ponctuer la soirée.  

L’un des deux organisateurs, âgé d’une vingtaine d’années, souriant et accueillant, fait alors preuve d’une grande retenue à l’annonce de la présence d’un journaliste. La méfiance ne fera qu’enfler au fil du temps. Les photos seront interdites. La deuxième scène ouverte sera même écourtée par l’interdiction formelle de parler à quiconque.  Une responsable du Celebrity Center, rapidement excédée,  n’hésitera pas à indiquer avec force la sortie, cantonnant la rencontre avec les artistes sur le trottoir de la rue Legendre.

Indiquant qu’elle souhaite « préserver les jeunes  scientologues d’une mauvaise presse », chaque phrase démontre un peu plus de suspicion.  Qualifié de « manipulateur»,  quand ce n’est pas un « menteur », le métier de journaliste ne permet pas de bénéficier de la gentillesse constante dont font preuve les scientologues à l’égard du reste du public.

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Une secte bien implantée en France

Le mythe fondateur de la Scientologie est aussi obscur qu’inventif, littéralement tiré de l’œuvre de science-fiction de Ron Hubbard, romancier, publiciste, fondateur historique de cette « religion ». Certains pays comme la Grande-Bretagne l’ont déjà reconnue comme telle. Implantée en France à travers le Celebrity Center (11 dans le monde) de la rue Legendre depuis 1985  ils revendiquent 45 000  scientologues sur le territoire national. Cours de scientologie, lutte anti-drogues, vente des livres de Ron Hubbard, et autres services comme les séances de purification constituent le gros de leurs actions.

Plusieurs rapports parlementaires classent la Scientologie en tant que secte. La Miviludes (Mission Interministérielle de lutte et de vigilance contre les dérives sectaires) n’a pas souhaité s’exprimer sur les affaires récentes mais le 16 octobre 2013, le Celebrity Center et la librairie SEL, structure au 69 de la rue Legendre, ont été condamnés en cassation à de lourdes amendes.

La récente mise en examen dans l’affaire de l’Institut Aubert, école privée d’Ile-de-France accusée d’avoir incorporé des enseignements scientologues sans en avertir les parents d’élèves, fragilise un peu plus la secte. En effet, une condamnation supplémentaire pourrait mener à la dissolution de l’organisation.

 

Une scène ouverte presque comme les autres

Du matériel de professionnel, une régie, une véritable scène, rien ne semble sortir de l’ordinaire. Plusieurs artistes n’hésitent pas à vanter l’infrastructure mise à disposition. Pour Gilbert, monteur film quadragénaire et guitariste, ce mardi soir lui offre « le plaisir de jouer sur scène avec un très bon son », le tout gratuitement.  

L’accueil est chaleureux, les artistes discutent entre eux. Le contraste entre l’entrée du Celebrity Center et le théâtre est frappant. Ici, nulle présence de la Scientologie n’est décelable, à l’exception d’un portrait de Ron Hubbard discrètement accroché au dessus du piano sur scène.

Les deux jeunes responsables de la scène ouverte traversent régulièrement la salle, affairés afin que tout se déroule pour le mieux, ils sont tous deux scientologues et gèrent bénévolement le théâtre et l’organisation des évènements. Une troisième personne les accompagne pour la régie.

Arthur, fils de scientologue, s’improvise présentateur pour la soirée et annonce le déroulement de l’ « open mic’ » : deux chanteuses, un humoriste, deux chanteurs, et un petit garçon accompagné par son père au piano. Tous ont joint le centre par téléphone ou internet afin de s’inscrire à la scène ouverte.

Le public est clairsemé, mais sans pour autant inquiéter les participants. Kevin, 20 ans, se produit sur scène depuis bientôt un an. Selon ses dires, la taille du public varie selon les scènes ouvertes.

C’est la cinquième fois qu’il vient le mardi soir, après en avoir entendu parler sur internet. Elève du cours Clément, qu’il se paye grâce à son travail chez McDonalds, il ne se formalise pas de ce public qui ne semble pas toujours au rendez-vous, seule l’écriture de son nouveau spectacle le préoccupe. « Je suis souvent le seul humoriste » déclare-t-il en détaillant la préparation de ses nouveaux sketches.

Kevin ou Ashley ne se préoccupent pas du public, seulement intéressés par le peaufinage de leur répertoire, tandis que Laurent, scientologue, vient se produire, juste pour le plaisir,  avec son jeune fils qu’il accompagne sur du Bénabar.

Avant le début de la scène ouverte, Laura, jeune employée du centre qui présente tour  à tour un « test de suivi de carrière » ainsi qu’un séminaire (moyennant la somme de 18€) en présence d’un producteur permettant d’acquérir toutes sortes de méthodes afin de présenter ses talents de manière efficace.

Son intervention se conclue par la diffusion d’un clip promotionnel signé « ScientologieFr », sur la « Connaissance ». Sans lien aucun avec la production artistique.  

 

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Un soutien aux artistes très flou

Plusieurs membres du centre l’affirment, c’est avant tout l’aide aux artistes que la Scientologie veut mettre en valeur avec ces scènes ouvertes hebdomadaires, et ce sans la moindre contrepartie.

L’adhésion aux idées scientologues n’est en aucun cas une condition de la venue régulière à ces soirées. Ce soutien aux artistes rappelé à loisir pose plusieurs questions. Un questionnaire de suivi de carrière a été présenté par une jeune employée du centre dans deux scènes ouvertes entre décembre 2013 et janvier 2014. Sous la forme d’une série de deux cent questions, sans plus de précisions, si ce n’est qu’elles permettent de faire le point sur sa carrière artistique.

Pourtant, M. Eric Roux, responsable des Affaires Publiques au sein de l’Eglise de la Scientologie n’a aucune connaissance d’un quelconque questionnaire de suivi de carrière. Cela paraît quelque peu étonnant qu’un des responsables du centre, à la connaissance de la Scientologie qu’il qualifie lui-même de très complète, ne connaisse pas l’existence d’un tel test.

D’autre part, à l’accueil la demande dudit test n’aboutit qu’à la découverte du test de personnalité avec ses deux cent questions. Avec sa bannière « Qui êtes-vous ? », le test alterne entre des questions innocentes comme « Dormez-vous bien ? » et d’autres bien plus inattendues, « Les autres vous bousculent-ils ? » ou « Vous arrive-t-il d’être dérangé par le bruit du vent ou par des craquement dans la maison ? ».

Tout nouveau venu au Celebrity Center est amené à remplir ce test, disponible aussi sur internet après une simple recherche google de « test de personnalité gratuit », et ce dès le premier lien.  Il permet de « mieux se connaître » selon l’accueil du site internet. La Scientologie propose à partir des deux cent réponses une analyse de personnalité dans ses locaux.

Roger Gonnet, ancien cadre de la Scientologie, désormais impliqué dans la lutte contre les dérives sectaires, confirme qu’un test de suivi de carrière n’existe pas à sa connaissance.« Je suis sûr à 99% qu’un tel test n’existe pas. La Scientologie ne propose qu’un test de personnalité et deux tests de QI, mais pas de suivi de carrière

« Il me paraît utile de rester vigilant »

Les artistes présents ce soir louent pourtant l’initiative du Centre, qui leur permet de se produire gratuitement.

Mayowa, habitué de la scène ouverte, est heureux de jouer chaque semaine car « les gens viennent pour la musique, contrairement aux bars » où il se produit aussi régulièrement. Même si les propositions d’achats de la Dianétique (œuvre phare de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie) sont récurrentes, il ne s’en occupe pas, et continue à se produire chaque semaine depuis quelques mois maintenant.

Mais chacun appréhende la scène ouverte différemment. Ashley, la jeune étudiante en sociologie et chanteuse de 22 ans, est venue sur les conseils d’une connaissance. Pas intéressée par la Scientologie elle ne s’offusque pas de la présentation en début de scène ouverte. Elle saisit toutes les occasions de s’exercer.

Kevin, 20 ans, humoriste, affirme à peine remarquer  qu’il se trouve dans un centre scientologue. Quand il évoque des possibles contacts avec les employés du centre, ses réponses restent très évasives.

Tous remarquent un certain prosélytisme, dont Eric Roux ne se défend pas, « comme dans toute Eglise » selon lui, mais le jugent très peu insistant.  Peu semblent se poser la question du lien entre théâtre et  Scientologie mais Gilbert, guitariste quadragénaire, habitué des scènes ouvertes parisiennes, au Tennessee ou au Pop-In,  nous met cependant en garde : « il me paraît utile de rester vigilant sur les intentions secrètes d’une mise à disposition d’une telle tribune ».

Une stratégie très moderne

Le contact entre les artistes et le théâtre peut paraître obscur. Rue89 avait déjà évoqué la stratégie numérique de la Scientologie. Beaucoup des artistes interrogés ont confié qu’ils avaient simplement tapé « scène ouverte Paris » sur Google, tombant en quatrième lien sur la page Facebook « Scène ouverte Paris » qui n’est autre que la page officielle de la scène ouverte du Celebrity Center.

Comment expliquer cette visibilité accrue du résultat ? Eric Roux évoque une « stratégie délibérée des jeunes organisateurs des scènes ouvertes », car les jeunes sont souvent « doués en nouvelles technologies ». La page Facebook est vague, la référence à la Scientologie n’est visible qu’en bas de la photo de couverture, mettant l’accent uniquement sur la scène ouverte et la possibilité d’inscription.

Même absence de référence à la Scientologie sur la page TripAdvisor, malgré plusieurs avis très positifs sur le théâtre du Celebrity Center.  Pour Roger Gonnet, ancien cadre de la Scientologie, le théâtre et ses scènes ouvertes sont un « bouton » de la société. Le « bouton » d’une société est un domaine, une préoccupation largement partagée, qui va intéresser une large part de la population. La Scientologie est « une escroquerie en bande organisée », selon lui.

« Le théâtre est un moyen de racoler des gens qui s’intéressent à l’art, ce qui représente sans doute 80 ou même 95 % de la population, voire davantage. »

Mais les scènes ouvertes offrent la possibilité à des artistes divers et variés de s’exprimer sans même adhérer aux préceptes scientologues. La majorité des participants ne s’occupent pas du peu de prosélytisme qui a été constaté. L’organisation de tels évènements, combinée à une stratégie numérique efficace, attire aussi des personnes plus fragiles qui sont alors beaucoup plus susceptibles de se laisser convaincre par des scientologues toujours agréables au sein du centre. La méfiance des responsables du centre  face à la presse invite d’autant plus à la retenue.  

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