Revue Ciné : Semaine N°2

Cette semaine, plein gouvernail sur le documentaire attendu de Yolande Zauberman, Would you have sex with an arab?, avec une critique grand format pour l’occasion.

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Would you have sex with an Arab?, de Yolande Zauberman

« The bride is beautiful but she’s married to another man ». C’est ainsi que des émissaires Juifs ont décrit la future terre d’Israël, une terre déjà mariée à des populations arabes. Aujourd’hui, malgré les exodes, un israélien sur cinq est arabe. Comment Israël accorde-t-elle les enfants de ses deux religions? Is the bride ready to marry its people?

C’est autour de cette problématique que Yolande Zauberman construit son documentaire, interrogation simple mais qui révèle la complexité de relations jamais apaisées. Ce film est intimiste, les plans impudiques, la parole libérée. La beauté est là, franche et directe, et la musique donne sa force aux images. Si chaque interview est lourde de sens, le ton reste léger. Les histoires d’amours impossibles se meurent ou s’écrivent dans la mélancolie et la contestation. Le parallèle avec Roméo et Juliette est suggéré, évident.

« Would you have sex with an Arab or an Israeli ? » : dans chaque « camp » la question interpelle, dérange, désole. Beaucoup réalisent, face caméra, la vaste hypocrisie d’un conflit sans fondement théologique et dénoncent parfois un « lavage de cerveau ». Si la paix ne se fera pas dans les lits, on assiste passionnés à l’opposition du désir et des dogmes politiques, conflit entre l’individu et sa société.

« Is it time to forgive ? Should we forget ? » se demandent plusieurs jeunes. Ce film bouscule et éclabousse, la profondeur rencontre l’honnêteté. L’amour des emvideo-youtube-nJCuXSc7NE8.jpgcouples mixtes devient militant, cri du cœur pour la liberté. Bien entendu, les témoignages sont surtout ceux des personnes ouvertes à la discussion. On se laisse surprendre amusés lorsque l’alcool ou la drogue deviennent les outils d’une nouvelle franchise, d’une spontanéité libérée de tous carcans.

Car c’est bien dans l’Israël underground que nous entraîne Yolande Zauberman. Là, au fil des boîtes et clubs de strip-tease, les jeunes libérés, homosexuels, ou transgenres interrogent la norme dominante. La marginalité devient avant-garde, énergie créatrice. Subversif et brillant, ce documentaire pose des questions au lieu d’imposer des réponses. En 1h25 vous ne verrez ni propagande, ni condamnation. Ce film est engagé, mais avec subtilité. Humaniste, il interpelle pour amorcer le changement, sans jamais le vanter. Visionnaire, il touche les cœurs et libère les esprits.

Après une relation avec un Arabe, une jeune Juive déclare: « making love was making peace . It was purely politics ». Ce documentaire poignant vous plonge au sein de romances devenues révolutions. Immanquable, cette œuvre est une révolte.

Pierre-Yves Anglès

Bateau Mouche

The We and the I, de Michel GONDRY

Le Bronx, un dernier jour de cours, un bus, des lycéens. Alors que le bus sillonne le quartier en avançant vers le nord, tel un banc de saumons remontant le Saint Laurent, le groupe d’adolescents s’approprie le véhicule. Les tyrans, les têtes de turc, les lolitas, les fratries, et bien sûr les autres usagers, les petits vieux : tous sont présents, assurant un rôle. Mais alors qu’au fur et à mesure que l’on avance et que le bus se vide, celui-ci se charge alors en tensions, émotions et réflexions plus profondes, les relations entre les lycéens effectuant elles aussi un cheminement bien particulier.

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Dans ce bus magique, le décor est posé, minimaliste, laissant toute à la place à l’esprit si particulier de GONDRY, Spielberg des clips musicaux, docteur honoris causa de la rêverie. Les acteurs, tous novices, castés dans le Bronx, assurent leur propre rôle, et c’est sans doute cela qui ajoute une saveur particulière au film. On se retrouve alors dans ce bus magique, comme un autre passager, à assister à leurs interactions, stupides mais codées, voire lourdes de sens. On s’attache à ces ados superficiels un peu idiots, on s’en étonne. Ils nous surprennent, à changer de rôles et de peau comme des caméléons. On passe du rire à des moments plus graves, plus intenses. Et pourtant, on ne voit pas le temps passer : on passe un agréable voyage.

Ici, on retrouve plus le côté farceur que rêveur de Gondry, et pourtant les petits détails esthétiques sont là, appréciables. L’esprit est plutôt Be kind, rewind que The eternal sunshine of spotless mind, et il s’y prête mieux. On pourra discuter sur l’intérêt d’un tel film, et l’utilité de le voir une deuxième fois – mais est-ce que l’essence d’un film se prête à de telles considérations, la question est surtout là. On ne rit pas aux éclats, mais on passe un bon moment, et on a l’impression, l’espace d’1h45, d’avoir vécu avec ces lycéens, d’avoir compris leurs joies et leurs peines. Bref, ce film, dans tout l’esprit de Gondry, est un Kiss Cool, petit instant de fraîcheur et de douceur estivale en cette rentrée ; doux et agréable, mais disparaissant vite, laissant alors un subtil goût en bouche.

Palmyre Bétrémieux