Réponse à la Tribune sur le rapport Sicard et l’euthanasie: Moi aussi je veux mourir dans la dignité

En réponse à la tribune publiée hier, « Madame Rosa et le droit à disposer d’elle-même », nous publions aujourd’hui la tribune de William Augu qui reprend les notions de « droit à décider de sa propre mort » et de dignité humaine.

Moi aussi je veux mourir dans la dignité

Dans sa tribune « Madame Rosa et le droit à disposer d’elle-même », Manon Chonavel introduit un peu d’une belle littérature – et je l’en remercie. Affecté par cette tribune et désirant y réagir, je commence aussi la mienne avec une non moins belle référence de notre patrimoine littéraire :

« Car les faibles vous seront toujours un fardeau insupportable, un poids mort que vos civilisations orgueilleuses se repassent l’une à l’autre avec colère et dégoût. »
(Bernanos, Le Journal d’un curé de campagne).

Invoquer la dignité humaine pour justifier la mort volontaire ne mène à rien d’autre qu’à l’introduction d’une plus grande confusion de l’esprit et le dévoiement du principe de dignité. La dignité humaine ne trouve pas sa source dans sa bonne santé. Celui qui est malade, qui est paralysé, qui souffre, bref, qui est faible, n’est pas moins digne que son médecin en bonne santé. Les avocats de l’euthanasie ont-ils seulement connu la maladie, la souffrance, et leurs conséquences ? Quand une personne souffre terriblement, qu’elle ne peut se mouvoir, se déplacer, effectuer les gestes les plus simples du quotidien de l’homme seul (se laver, se nourrir et tout le reste), a-t-elle moins de dignité que les autres ? Il est amusant de voir que la virulence des activistes de l’euthanasie est, dans la très grande majorité des cas, inversement proportionnelle à leur âge et à la qualité de leur santé.

En tout cas aucun homme ne peut dire d’un autre qu’il est moins digne que lui. La dignité humaine c’est la valeur de l’homme, en soi, du fait de son être. Cessons donc de parler de dignité dans cette affaire. Tout le monde est d’accord pour « mourir dans la dignité » (la belle affaire !) ; les pro-euthanasie en ont fait leur slogan sans jamais définir ce que cela voulait dire. La dignité n’est pas mesurable et estimable quantitativement, pour bien des raisons mais peut-être à commencer par celle que nous donne un constat évident : l’être humain est un sujet mystérieux. Bien des questions sur l’être humain n’ont pas de réponse, à commencer par celle de la vie humaine. Notre propre vie ne nous appartient pas. Nous ne choisissons pas de naître, et quand, et comment ; de même en est-il de la mort dans la mesure où l’Homme ne se tue pas lui-même. Peut-être cela devrait-il inciter à une certaine humilité et à ne pas céder à une tentation prométhéenne de vouloir tout contrôler.

La question difficile qui nous pousse à réfléchir sur la fin de vie est celle de la souffrance des personnes empêchées et affaiblies par la maladie ou le grand âge. La société qui réfléchit sur ce sujet ne peut que difficilement estimer cette souffrance – il est évidemment impensable de la nier ou de l’ignorer – dans la mesure où en faire une mesure précise est difficile autant pour les médecins que les pour patients. Le candidat Hollande avait parlé du critère de souffrance « insupportable », ce qui est bien difficile à déterminer. Outre l’état actuel de la médecine qui permet d’atténuer considérablement la douleur physique, la souffrance dépend beaucoup de l’attention et de l’affection que témoignent le personnel soignant et les proches au malade. Il est évident qu’une personne ne puisse pas être complètement libre, exercer pleinement sa liberté, si elle est soumise à une souffrance violente. Dans une matière aussi grave de vie et de mort, il est difficilement acceptable d’accéder aux demandes d’un patient dont le discernement est altéré. Cela n’interdit pas de tout faire pour diminuer la souffrance et que les analgésiques aient un effet secondaire de d’accélération de la fin de vie, ce qui compte c’est que celle-ci ne soit pas intentionnellement provoquée. C’est ce que permet la loi Léonetti qui favorise l’allègement des souffrances dans le respect de la vie humaine.

Une question différente mais non moins intéressante est celle que Manon Chonavel illustre avec ces termes : « ce n’est que justice que chacune et chacun puisse faire valoir un droit de contrôle sur ses derniers instants ». Nous sommes au cœur de la question de notre liberté humaine. Cette vision des choses est emblématique d’un individualisme qui exalte la liberté – un ultralibéralisme appliqué à cette question de société en somme – au point de ne pas tolérer que la fin de vie soit régie par le temps, la nature, et, en creux, par la société dont la loi interdit qu’on y mette un terme volontairement et prématurément. A cela il faut opposer que si quelqu’un veut se suicider, c’est sa liberté. Mais ce n’est pas son droit ; il ne peut pas obliger la société de l’y aider ou de faire quelque chose qui est contraire au respect de la vie (droit à la vie, dont on peut d’ailleurs se demander comment il s’articulerait avec l’autorisation des injections létales et autres méthodes de suicide assisté/d’euthanasie) et de la dignité humaines, ainsi qu’à son développement.

Le système actuel, essentiellement encadré par la loi Léonetti, ne serait pas satisfaisant. En premier lieu, une telle critique est bien vite prononcée et peu fondée puisque, comme il l’est rappelé dans la tribune de Manon Chonavel, l’application de la loi Léonetti est encore à poursuivre. Celle-ci passe par une extension et une généralisation des soins palliatifs. Au-delà des mesures techniques à adopter ou à ne pas adopter et pour que soit effectivement appliquée la loi Léonetti, ce dont je ne suis pas spécialiste, cette dernière législation me paraît tout à fait satisfaisante dans la mesure où elle équilibre bien le respect de la vie et la nécessité de soulagement de la souffrance. Manon Chonavel constate que le suicide assisté ne sera pas « pour tous », et dénonce une hypocrisie en ce que le rapport Sicard refuse toujours l’euthanasie, alors qu’en Belgique et au Pays-Bas tout cela est possible. Ces pays sont loin de constituer un modèle que la France devrait sagement suivre, ainsi pour la Belgique trois euthanasies par jour sont-elles pratiquées et le parti socialiste belge envisage-t-il d’étendre l’euthanasie aux mineurs et aux personnes inconscientes!

Toute opposition à l’euthanasie serait extrémiste, religieuse, le fait d’une minorité, que sais-je encore ? C’est pourtant affaire de justice sociale, de solidarité de toute la société en général et des proches en particulier avec les personnes handicapées, âgées, affaiblies, à l’égard de qui il faut agir en priorité. On ne peut pas, à travers l’euthanasie, reporter sur ces personnes notre peur de souffrance et de la mort, que notre société veut à tout prix cacher et auxquelles nous ne voulons pas être confrontés parce que nous sommes incapables de les regarder en face, de les accompagner, parce que nous ne savons pas répondre et accompagner la souffrance de ceux qui nous sont chers et qui vont mourir, parce nous voyons en eux notre propre faiblesse.

Moi aussi je veux mourir un jour dans la dignité, accompagné jusqu’au bout par la société solidaire, et non livré à moi-même et à ma souffrance.

William AUGU

8 Comments

  • Yakro

    Moi qui étais naturellement « pour » l’euthanasie, j’ai trouvé les propos de cet article extrêmement respectueux de la condition humaine. Ce souci de répondre à une question sensible de manière juste et éthique est assez impressionnant. Il va me faire réfléchir.

  • ASPII

    Excellent commentaire, Alex ! J’aime particulièrement l’emploi du terme « branchitude morale » car c’est ce qui paralyse de nombreuses personnes pour exprimer une opinion contraire à ce que beaucoup veulent entendre, surtout à Sciences Po… Osons penser différemment !

    Et sinon, bravo aux auteurs des deux tribunes, qui permettent par leurs arguments réfléchis de provoquer un débat sain et équilibré.

  • Alex

    Ca fait du bien de voir qu’à SciencesPo. il reste quelques personnes qui ne sont pas aveuglément vautrées dans la défense du catéchisme libéral, du genre « euthanasie pour tous », « GPA pour tous » etc.
    Qu’on soit pour ou contre, ce sont des sujets suffisamment importants pour ne pas qu’on les soutienne uniquement parce que la branchitude morale l’exige, sans réfléchir, et en n’ayant pour seul soucis que celui de se donner l’impression qu’on est de gauche -lorsqu’on commence soi-même à en douter au regard de ses idées économiques.