LE MAG – Rencontre avec Mourad Merzouki, directeur du CCN de Créteil et du Val-de-Marne
Mourad Merzouki est le deuxième chorégraphe issus du monde hip-hop à la tête d’un Centre Chorégraphique National. Directeur du CCN de Créteil et du Val-de-Marne, Mourad Merzouki développe une danse de l’ouverture, à la gestuelle libre et aux inspirations plurielles. Le nom de sa compagnie fondée en 1996, Käfig, signifie « cage » en allemand et en arabe. C’est bien de cette cage que Mourad Merzouki s’extrait sans cesse pour placer ses spectacles à la croisée des langages artistiques.
Constatez-vous une baisse de fréquentation de la MAC depuis les attentats ?
La semaine ayant suivi les attentats, il y a eu quelques désistements. Mais finalement, ceux-ci ont été très peu nombreux, le public était au rendez-vous.
Les artistes ont-ils un rôle particulier à jouer dans la manière d’aborder les questions posées par le terrorisme ?
L’art et la culture en général permettent à chacun de mieux comprendre le monde. En tant qu’artiste, on prend du recul au quotidien, c’est ce qu’on essaye de transmettre aux spectateurs. L’art rassemble, et dans la situation actuelle c’est très important.
La danse a-t-elle une fonction intégratrice ? Travaillez-vous beaucoup au contact des jeunes de banlieues ?
La danse rapproche les uns et les autres. Elle permet de s’exprimer, de créer puis de transmettre une émotion. La danse est vitale pour notre société. C’est un véritable théâtre de vie. Ce qui me plait, à la fin d’une représentation, c’est de constater que mon spectacle a pu mélanger tous les publics, que les jeunes et les moins jeunes se côtoient dans la salle. La force du hip-hop est de désacraliser la danse. Et c’est en cela que le hip-hop permet d’ouvrir une porte vers la culture à ceux qui n’y ont pas accès. La MAC étant une scène de banlieue, on crée en effet beaucoup de rendez-vous pour les jeunes des quartiers. Je suis très attentif à imaginer des projets avec des personnes qui ne vont pas au théâtre.
Votre art se situe au carrefour de plusieurs disciplines. On se souvient de Boxe Boxe et du lien que vous releviez entre la danse et les arts martiaux. Aujourd’hui, votre prochain spectacle fait intervenir une troupe de cirque. Pourquoi ressentez-vous ce besoin de nourrir vos chorégraphies d’autres disciplines ?
Mon histoire est faite comme cela. Dans ma jeunesse, je me suis d’abord initié aux arts du cirque, puis je me suis tourné vers les arts martiaux. Ce sont ces disciplines qui m’ont peu à peu orienté vers le hip-hop. La découverte de la danse contemporaine n’est venue que tardivement. Je suis très curieux d’imaginer un dialogue entre les disciplines, de comprendre comment évoluent la danse, le théâtre, les arts martiaux… Ce sont ces enjeux artistiques et humains qui me poussent à créer, à aller vers des terrains inconnus et à expérimenter de nouvelles manières de travailler. J’aime prendre des risques pour nourrir mon travail.
La danse contemporaine s’est rapidement ouverte au hip-hop. A l’inverse, vous intégrez dans vos spectacles des pratiques de danse contemporaine. Le hip-hop en général s’est-il ainsi enrichi ce soit enrichi des éléments chorégraphiques de la danse contemporaine ?
Je ne suis pas le seul à venir du monde hip-hop et à m’intéresser à la danse contemporaine aujourd’hui. Certains chorégraphes partagent ce même désir d’ouverture. Ces deux types de danse se sont énormément enrichis mutuellement. Je crois qu’il ne faut surtout pas enfermer le hip-hop, mais au contraire, lui permettre de se renouveler en permanence. Bien sûr, quand on danse le hip-hop dans la rue, il faut rester brut. Mais pour passer de la rue à la scène, il est nécessaire de se remettre en question.
Le hip-hop a-t-il assez de visibilité dans le domaine de la culture ?
En 30 ans, le hip-hop a bien évolué dans son rapport avec les institutions. En France notamment, le hip-hop est bien accompagné par rapport à d’autres pays. Mais il ne faut pas baisser les bras, on doit continuer de défendre cette discipline.
Comment pourrait-on définir la danse contemporaine aujourd’hui ?
Par définition, la danse contemporaine est la danse d’aujourd’hui. Le hip-hop peut donc être considéré comme tel. Néanmoins, la dynamique cet art né dans la rue est différente de celle de la danse contemporaine liée à la scène. Chacune de ces danses possède sa propre gestuelle. Elles ne partagent ni les mêmes énergies ni la même physicalité. Pourtant, cela ne doit pas empêcher d’imaginer aujourd’hui un dialogue fécond entre ces deux danses.
Les spectacles de danse sont de plus en plus complets, alliant vidéo, théâtre, chant… Est-ce qu’il s’agit d’une forme de libération de la danse ou bien d’une nécessité ? La danse a l’état pur existe-elle encore ?
Aujourd’hui, les artistes effacent de plus en plus les barrières entre les disciplines. Et parallèlement, le public est très demandeur de cette manière de faire des spectacles. C’est la société actuelle qui entretient cette tendance, et qui nous pousse à travailler sans cesse dans de nouveaux espaces, avec d’autres personnes. Les castings d’aujourd’hui le montrent bien : on demande de plus en plus aux comédiens de savoir danser, aux danseurs de chanter…
Quels sont les prochains thèmes que vous souhaitez aborder dans vos spectacles ?
Je travaille actuellement sur une reprise de « Terrain vague », spectacle que j’avais créé en 2006 en partenariat avec le cirque Fratellini. Cette fois, j’ai entrepris de faire évoluer la mise en scène, initialement frontale, vers une représentation sous chapiteau à 350°. C’est un véritable défi, qui fait intervenir quatre danseurs et huit artistes de cirque. Par la suite, je compte surtout me consacrer à la diffusion de mes spectacles. En 2016, nous fêterons les 20 ans de la compagnie Kafïg. C’est l’occasion de partager mes créations et de prendre un peu de recul.