Ils ont quitté Sciences Po par choix

Un article écrit avec Clara Marchaud

Malgré leur réussite à un processus de recrutement très sélectif, ils sont quelques uns chaque année à choisir de quitter Sciences Po. L’administration estime à 8% d’une promotion « la mobilité sortante » à la fin de la troisième année. Si ce chiffre semble recouvrir également les départs contraints, il est loin d’être négligeable. Les témoignages rapportés mettent en lumière des aspects méconnus de la prestigieuse école.

© Un dessin d’Albane Miressou-Got

Des cours trop « théoriques » ou « libéraux » ?

La critique de l’enseignement de Sciences Po, tant dans sa forme que dans son contenu se fait forte parmi les témoignages recueillis. Ainsi, Lucie a terminé son bicursus lettre qui lui a paru comme un « ingurgitement de connaissances » où seules les notes comptaient. C’est cette prétention de l’institution à croire « que l’on peut avaler et comprendre autant de faits historiques, économiques et sociologiques » qui l’a déçue et qui est pour elle est symptomatique du système éducatif français. Arrivée à Sciences Po dans l’optique « d’y trouver un certain épanouissement intellectuel », c’est pendant sa troisième année en Suède et avec l’expérience d’un autre système éducatif qu’elle s’est décidée à poursuivre un master en dehors.

Si le format d’apprentissage s’apparente à du « matraquage de connaissances superflues », la critique vise également le contenu des enseignements pour Juliette, qui a abandonné son bicursus philosophie à la fin de sa première année après une longue réflexion. Elle critique en particulier les cours d’économie « purement théoriques et du coup assez creux » qui ne permettaient « aucune réflexion sur les autres système d’échanges possibles ». Des cours « complètement enfermés dans une vision néo-liberale et européano-centrée » pour la jeune étudiante qui avoue cependant n’avoir assisté qu’à la moitié des cours.

Même son de cloche du côté de Marie-Lou, qui a quitté le programme Europe-Afrique sur le campus de Reims pour suivre une licence d’histoire. « La microéconomie, le cours concernant les institutions politiques, la macroéconomie, c’était trop conceptuel, ça me paraissait tellement éloigné de la réalité, de l’humain. »

 

« Sciences Po n’était juste pas mon monde »

Comme élément qui l’a motivé à partir, Marie Lou met également en avant « le sentiment de faire partie d’un petit-monde, un monde de privilégiés ». Elle qui voulait intégrer Sciences Po depuis la classe de quatrième et qui venait d’un « milieu rural et plutôt modeste », ne se sentait pas à sa place dans une école qui revendique ouvertement son élitisme.. Après avoir visité les locaux de l’université de Tours ou Reims, elle a « eu envie de passer par la fac pour se former dans l’université lambda », « celle de monsieur tout le monde, ou plutôt  de l’enfant de caissier, de la coiffeuse ou du cadre moyen ». Elle a décidé de renoncer à « la voie royale » pour ne pas perdre de vue ses idées et rester utopique, fidèle à un projet « alternatif » dont elle préférait être « l’un des acteurs plutôt qu’un simple observateur » ou « l’opposant ».

Pour Louise, ancienne étudiante en bicursus philosophie qui a quitté la formation au cours du premier semestre pour continuer sa licence de philo, le problème était le fossé social entre elle et l’institution. « Sciences Po n’était juste pas mon monde. » Dans sa famille, peu de gens avaient fait de longues études. La plupart des étudiants à Sciences Po n’étaient pas de son milieu social « ce qui rendait l’insertion difficile ». Le prix des soirées d’intégration qui ne rentraient pas dans ses finances ne rendait pas les choses plus faciles. Ce sont ses professeurs de lycée qui l’ont incitée à entrer dans l’école car elle était « bonne élève », alors qu’elle n’a appris l’existence du bicursus « qu’au mois d’avril de terminale ». Aujourd’hui encore elle a l’impression que Sciences Po l’avait choisie plutôt que l’inverse. « Dès la première semaine, je ne me suis pas sentie là où je devais être ».

Contactée, Cornelia Woll, directrice de la scolarité, n’est « pas convaincue » de l’existence de ce problème d’intégration pour certains étudiants. Soulignant la diversification de l’origine sociale des étudiants, elle reconnaît ce phénomène de « mobilité sortante » mais relativise : le choix de quitter Sciences Po « ne saurait être pris comme une généralité ». Face aux critiques portant sur le contenu de l’enseignement, Madame Woll ne nous a pas donné de réponse.

Si le choix de quitter Sciences Po peut être le résultat d’un rejet ou au moins d’une critique de l’enseignement, l’élément déclencheur peut être un évènement personnel. Pour Alexandra*, étudiante roumaine qui a quitté le campus de Dijon il y a presque cinq ans, c’est le décès d’un proche qui a « changé son mode de pensée ». Après un semestre, elle a quitté le cursus pour retourner à Timisoara suivre une formation en management de l’intégration européenne. Même si elle a regretté d’être partie au début, elle avoue « s’identifier mieux à la vie de chez elle » en Roumanie.

 

 Ceux qui quittent Sciences Po pour autre chose

Si certains quittent l’école par choix négatif – rejet de l’enseignement et de son modèle -, d’autres étudiants font un choix positif et quittent l’école pour un autre établissement, dans les sciences sociales ou dans l’art.

C’est le cas de Thomas, qui a quitté Sciences Po après sa première année pour intégrer le programme Philosophy, Politics and Economics à Oxford. Pour lui, « pas de vraie déception » de Sciences Po : il y est allé après avoir été refusé dans l’université anglaise une première fois. Thomas a cependant été accepté en janvier 2015, il a donc fini sa première année à Paris avant de partir pour Oxford, qui lui « correspond beaucoup mieux ».

Comme Thomas, Florian a quitté Sciences Po pour intégrer une autre formation qu’il juge meilleure. Après son bachelor sur le campus franco-allemand de Nancy, il est rentré en master recherche à la Paris School of Economics (PSE). « Les cours d’Etienne Wasmer et de Yann Algan (ndlr: cours d’économie de première année) m’ont vraiment plu, et je faisais une licence d’économie en parallèle. » Après un stage d’assistant de recherche, son choix s’est porté vers PSE, « très reconnue à l’international » alors que le master de Sciences Po est selon lui très peu sélectif et faiblement reconnu. Il ne regrette cependant rien de Sciences Po, « qui ouvre plein d’opportunités et permet de se construire. »

L’établissement, qui travaille actuellement à une réforme du Collège Universitaire, s’inscrit dans la dynamique d’une plus grande séparation du bachelor et du master. Ainsi, pour Madame Woll, cette possibilité de quitter Sciences Po à la fin de sa troisième année « montre la force de notre formation de premier cycle et la valeur de ce diplôme. »

De même que Florian, Caroline n’a pas continué en master à Sciences Po. Voulant vivre en Allemagne, elle s’est rendu compte que Sciences Po lui « fermerait plus de portes que cela ne [lui] en ouvrirait, car Sciences Po n’est pas reconnu » outre-Rhin. Sa troisième année en échange lui a fait réaliser « que l’élitisme de Sciences Po n’était pas que bénéfique » et même « un peu malsain ». Si sa famille l’a soutenue dans ce choix, ce fut différent avec ses amis.« J’avais l’impression qu’ils ne me comprendraient pas. » Caroline est aujourd’hui ingénieur commerciale en volontariat international en entreprise en Allemagne, et compte intégrer un master franco-allemand à la rentrée prochaine.

 

Quitter Sciences Po pour le conservatoire

Nicolas et Pierre ont tous les deux quitté Sciences Po pour se consacrer à leurs arts respectifs au conservatoire : Pierre a quitté le campus de Nancy pour un conservatoire en violoncelle. Nicolas, en bicursus Lettres, est parti au bout d’un mois pour une formation de théâtre. Ce dernier aurait bien voulu poursuivre les deux de front car il voit Sciences Po comme « une école formidable ». Mais avec son bicursus et ses 18 heures de cours au conservatoire, « ce n’était pas gérable ». Pierre n’est pas du même avis : certes « tout n’était pas à jeter », « certains profs étaient passionnés et passionnants, mais d’autres… une sorte de bouillie intellectuelle, de médiocrité, d’ennui ». « Si je n’avais pas été musicien je serais probablement resté à Sciences Po (…) Je garde un très bon souvenir de mes deux années là-bas. »

Parmi les témoignages que nous avons pu récolter, la part des élèves en double cursus qui quittent Sciences Po est plus élevée. Pour Cornelia Woll, cette mobilité « s’inscrit plus logiquement dans leur parcours » du fait de cette ouverture vers une autre formation.

C’est l’admission au conservatoire qui a provoqué le départ de Nicolas. Il a donc voulu « saisir cette chance » car il est rentré à Sciences Po « avec déjà l’idée de faire du théâtre ensuite. » C’est une rencontre avec un professeur du conservatoire de Berlin qui a décidé Pierre à partir rapidement. « Il m’a dit que c’était déjà très tard pour reprendre des études de violoncelle, trop tard peut-être. » Ayant une famille de musiciens, son départ été « plutôt bien compris ». Ce qui n’est pas le cas de Nicolas. « Avec mes parents c’est une catastrophe et ils me le font encore payer aujourd’hui… »

Enfin, certains étrangers qui étudient dans les campus délocalisés ont le sentiment de s’être trompé de filière. Patrik*, slovaque arrivé à Dijon en 2012, est parti au second semestre car l’enseignement ne lui correspondait pas. Il ne critique donc pas l’école, il a « simplement choisi la mauvaise école ». « C’est de ma faute », précise-t-il. Il s’est accroché pendant tout le premier semestre, « travaillant du matin au soir pour rattraper » et essayer de saisir quelque chose. Mais à ses difficultés scolaires s’ajoutèrent des problèmes personnels, ce qui « aggrava la solitude » et il finit un jour par « s’effondrer ». Il est aujourd’hui en dernière année de bachelor d’économie à l’Université de Prague.

 

Note : Les témoignages recueillis ne sont en aucun cas représentatifs.

* Les prénoms ont été modifiés