Petits meurtres entre amis sciences-pistes

gossip_girl.jpgOn a entendu la semaine dernière, nombre d’étudiant(e)s, mains plaquées sur le visage, s’exclamer à haute voix : « Non, je te crois pas ! », « C’est pas vrai ! », « Mais comment tu sais ça ? ». S’il est des choses qui déchaînent intérêts et passions ce sont bien sûr les ragots, les potins, les racontars, les rumeurs, can-cans et autres (anglicisés pour leur donner un supplément cool et élitiste) tips et gossips. A Sciences Po on ne se satisfait apparemment plus des plateformes traditionnelles de déballage de vie privée (Cafet’, Jardin du 27, Basile, Abbaye et autre Bizuth), non, à Sciences Po, le progrès ça nous connaît, on innove. Ainsi a-t-on pu voir s’atteindre le paroxysme de la tchatche : Sciences Po Gossip.

Le concept est simple et largement inspiré de la série américaine éponyme : un groupe Facebook sur lequel un administrateur (caché derrière une fausse identité) recense des informations concernant un petit cercle d’étudiants popu’ (comprenez « connus ») de Sciences Po. Les informations suscitées – que la rédaction de LaPéniche.net et moi même refusons naturellement de diffuser – sont d’un intérêt et d’une véracité discutables. Cependant c’est dans le mode d’obtention des informations que « Sciences Po Gossip » fait polémique : point d’investigation, point de reporter, c’est en définitive le seul fait de la « délation » ou « calomnie », le premier terme étant un peu trop contestable, qui constitue la source d’information. Vous, moi, n’importe quel étudiant peut, en un simple mail à l’administrateur répandre les frasques inventées ou véridiques des soirées arrosées.

Il y a donc, au delà du simple déballage public de la vie privée de certains, une forme de complaisance à parler des autres, à parler de soi. Ce que nous apprend « Sciences Po Gossip », c’est la fragilité des liens d’amitiés ainsi qu’un nombrilisme qui détonne et qui nous pousse à poser les pieds sur terre. Fragilité des liens d’amitiés tout d’abord. Qui mieux que vos proches amis peut renseigner une telle structure ? Qui s’intéresse aux ragots d’un inconnu ? D’autre part, n’est-il pas dangereusement nombriliste (de la part des étudiants qui représentent ce que certains se plaisent à appeler « l’élite de la Nation ») de se tourner sur soi-même, de se cloisonner dans un petit monde fait de soirées arrosées et d’acrobaties sexuelles ? Limité certainement, dangereux non.

En effet, ce qu’il y a de rassurant dans cette histoire c’est la terrible banalité dans laquelle elle nous plonge : à Sciences Po, l’on a beau entretenir une certaine image de soi fondée sur une ouverture au monde et à l’autre, on en demeure pas moins une bande de jeunes gens de 18-22 ans préoccupée par des sujets de son âge. Il y a clairement du bon dans tout ça.

On peut cependant formuler un certain nombre de bémols qui nuancent cette précédente affirmation. Il est tout d’abord vrai que tous les étudiants ne se sont pas intéressés d’une façon homogène à ce phénomène (d’une durée brève, guère plus de 3 jours) qui par ailleurs nécessitait la possession d’un compte facebook (oui, une irréductible minorité de Boutmy résiste encore et toujours à l’envahisseur américain) ainsi qu’un goût certain, si ce n’est pour le gossip en tant que tel, du moins pour les phénomènes sociétaux microcosmiques du genre. Par la suite, on peut retourner le problème et reprendre cet argument qui dit « de toute façon les gens dont on raconte la vie sur ce site sont des gens qui montrent leur vie ! Ils cherchent à faire parler d’eux, ils n’ont que ce qu’ils méritent », incluant une sorte de fatalité (je n’irais pas jusqu’à dire judéo-chrétienne) à avoir une vie sociale exubérante. Mais avoir une vie sociale, ce n’est pas être une mauvaise personne.

Mais il est un fait qui, définitivement, enterrera toute plaisanterie au sujet de « Sciences Po Gossip » : diffuser des ragots c’est avant tout trahir la vie privée d’une personne qui a, comme tout un chacun, besoin de garder au fond de lui un certain nombre de choses. En alimentant de telles structures, en leur donnant de la crédibilité, (en leur consacrant des articles !!) l’on contribue à dépouiller l’être de son mystère.

Enfin, l’on notera, et non simplement pour la forme, que le ton employé par « Sciences Po Gossip » pour traiter ses informations alimente une vision archaïque de la femme : a-t-on milité en faveur de la liberté sexuelle dans les années 60 à 70 pour voir s’organiser un best-bitches contest (comprenez « concours de la plus belle salope »), en 2009 dans le temple de l’ouverture d’esprit ?

8 Comments

  • SD

    Elle est super ton idée de la BBC (« best-bitches contest »), je créé immédiatement un groupe dans facebook parce que j’ai déjà quelques noms …
    Sérieusement, les cancans ont un « pouvoir égalisateur » qu’il serait dommage de négliger.

  • Valentine

    On ne peut pas leur faire de la pub puisque le groupe n’existe plus. Et d’ailleurs on ne sait même pas qui c’est (pas que je sache en tout cas).

  • HrN

    Pondre un article sur ce micro-événement, c’est lui donner un peu trop d’importance je trouve. Qui ça intéresse de savoir que X à voulu régler ses comptes avec telles personnes sur un groupe Facebook qui à duré 3 jours ?

  • Benoît

    Effectivement, c’est intéressant. Bien sûr, la curiosité atteint ses limites face au respect de la vie privée, d’autant plus vite que cette curiosité, sous couvert d’anonymat, vise des objectifs assez obscurs: faire parler de soi? nuire aux autres? partager sa passion pour tout ce qui relève du ragot? L’article le relève aussi, c’est cette banalité terrible, presque rassurante, qui nous permet de parler en 10 minutes et deux parties/deux sous parties du conflit Israélo Palestinien tout en se réjouissant du moindre ragot, de la moindre petite infirmation colportée. Qui a dit que nous étions élitistes? Trivialité, nous voici!

  • Julien Palomo

    C’est tout simplement d’une bassesse insigne : si les responsables de ce groupe Fb lisent LaPéniche.net, et qu’ils tombent sur ce commentaire, qu’ils sachent que je m’efforce de les trouver. A bon entendeur.