Nihon Hidankyo: la Mémoire pour la Paix
Attribuer le prix Nobel de la Paix peut être une tâche compliquée. Si le lauréat remporte environ un million d’euros, ce qui n’est pas négligeable, c’est surtout la portée symbolique et médiatique du prix qui importe: désigner qui oeuvre le plus pour la paix aujourd’hui c’est lui donner une exposition à l’internationale. Surtout dans le contexte géopolitique actuel, où de nombreuses associations et organisations non gouvernementales œuvrent au milieu des guerres et des génocides. Cependant, l’association lauréate cette année ne s’engage pas contre la guerre au niveau matériel et humanitaire, mais effectue, depuis des décennies, un travail de mémoire autour de la violence de la guerre. Cette année, le comité Nobel norvégien a décerné le Prix Nobel de la Paix à l’association japonaise Nihon Hidankyo.
Auteur: Martin Omnès
Nihon Hidankyo a été fondée en 1956, après les essais de bombe H dit “Castle Bravo” aux Etats-Unis, par des hibakusha, survivants d’Hiroshima et de Nagasaki. L’association agit d’abord pour la reconnaissance de droits spécifiques aux victimes des bombes nucléaires. En 1956, elle pousse le gouvernement japonais à ouvrir le premier hôpital destiné aux hibakusha à Hiroshima. La même année, le gouvernement japonais accorde la gratuité des soins aux survivants des bombes A, qui ne sont plus nombreux onze ans plus tard.
Si ce combat tombe peu à peu en désuétude après la signature du traité de non-prolifération (TNP) en 1968, l’association obtient en 2010 le prix du militantisme social décerné lors du sommet des lauréats du Prix Nobel de la Paix. Avec les tragiques événements de Fukushima en 2011, les voix anti-nucléaires renaissent, et Nihon Hidankyo devient au Japon un symbole de ces mouvements. 2024 apparaît comme la concrétisation de tous ces efforts, comme décrit par le comité Nobel qui attribue le prix pour “ses [l’association] efforts en vue d’un monde sans armes nucléaires et pour avoir démontré par des témoignages que les armes nucléaires ne doivent plus jamais être utilisées ».
Rien n’est anodin dans cette nomination. Le comité Nobel montre sa volonté de valoriser un combat aujourd’hui central. Transcendant les conflits et la menace nucléaire qui a été brandie au quatre coins du monde. Cela est visible à travers la Russie au ralenti depuis deux ans en Ukraine, l’incertitude du nucléaire au Moyen-Orient, ainsi que le leader nord-Coréen Kim-Jong Un qui a réaffirmé il y a peu sa détermination à appuyer sur le bouton rouge.
Enfin, Nihon Hidankyo n’est pas qu’une association anti-nucléaire. À travers les témoignages de ses membres, enfants en 1945 pour nombre d’entre eux, elle dénonce la violence à laquelle sont exposés, voire sont victimes, ceux qui incarnent le futur. En menant la guerre contre des enfants, c’est l’avenir même qui s’assombrit. Toshiyuki Mimaki, coresponsable de l’association, a d’ailleurs comparé la situation à Gaza avec les crimes commis au Japon en 1945: “À Gaza, des enfants en sang sont tenus [dans les bras de leurs parents]. C’est comme au Japon il y a 80 ans”.
À travers cette nomination, le comité Nobel invite les grandes puissances à se rappeler des crimes du passé pour ne pas les reproduire. Août 2025 marquera les 80 ans des bombes d’Hiroshima et Nagasaki, restant à ce jour les bombardements les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. Dans le contexte actuel, le travail de mémoire semble plus qu’essentiel pour mettre un terme aux drames auxquels on assiste.