«News from Home», «Un Divan à New-York», «Monsieur Aznavour», «L’Amour ouf», «The Apprentice», «Niki» : le Smash ou Pass Cinéma #2
Chaque week-end, en partenariat avec le ciné-club 27 Millimètres, La Péniche vous donne son avis sur les films à voir en salle. Cette semaine, News from Home de Chantal Akerman, Un Divan à New-York de Chantal Akerman, Monsieur Aznavour de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, L’amour ouf de Gilles Lellouche, The Apprentice de Ali Abbassi et Niki de Céline Sallette. Alors smash ou pass ?
Auteurs : Eliott Offenstadt, Anne-Sophie Neyra, Agathe Bernard-Bacot, Ambre Dangy, Melchior Martinant de Préneuf
News from Home, de Chantal Akerman, par Eliott Offenstadt
Pour ce film qui relève d’une certaine manière de l’expérimentation, toute la salle est restée. Il faut dire que le cinéma dans lequel j’ai vu ce film, le MK2 Beaubourg – et où la salle était bondée – était déjà tout acquis à la cause akermanienne, mais il faut néanmoins saluer l’exploit . Ledit cinéma présente depuis maintenant plusieurs semaines une extraordinaire rétrospective Akerman qui nous invite à dépasser le 23 quai du Commerce de Jeanne Dielman.
Adieu Bruxelles, bonjour New-York, donc, dans ce film qualifié de documentaire mais dont une forme de romanesque nous fait nous questionner sur la pertinence de l’usage du substantif. Cette hésitation est inhérente à l’œuvre de la réalisatrice et le critique Jacques Mandelbaum parle du cinéma d’Akerman comme d’un “cinéma de la lisière”.
À l’image, New York. New York à pied, New York en métro, New York en voiture, New York en ferry…
À l’audio, les lettres adressées par la mère de la réalisatrice à sa fille à New-York. Dans la vraie vie, les lettres ne sont pas restées sans réponse, mais pour nous si. Nous nous contentons des lettres de la mère comme seul grain à moudre romanesque. En parallèle de la voix, l’auditeur perçoit, en fond, le tintamarre de la ville.
Le récit d’Akerman est donc à cheval entre le vieux et le nouveau continent. Nous connaissons le vieux par l’intermédiaire des lettres et le nouveau par les images, qui ne sont pas des cartes postales mais des vues de rues lambdas, à peine la rivière Hudson et un taxi jaune.
Dans ces lettres, la mère de Chantal Akerman, Natalia Akerman, lui fait part de sa vie, lui reproche de ne pas lui écrire assez souvent et lui transmet ses pensées affectueuses. Elle lui raconte la vie telle qu’elle va, telle qu’elle est et qui paraît immuable. Une escapade familiale à Knokke, les anniversaires, les mariages, les soirées, le commerce.
Et par là, Akerman s’inscrit dans la très prolifique tradition cinématographique américaine du récit d’immigration. Ces lettres sont le récit du déracinement et de la solitude que cela crée. La Belgique d’Akerman, c’est la Grèce d’America America de Kazan (1963), la Sicile du Parrain de Coppola (1972), le Cuba de Scarface de de Palma (1983), œuvres d’un registre diamétralement différent mais qui reprennent ce topos. Sauf que là, il n’y a que méditation sur les mots et sur les lieux. Chantal Akerman nous donne, à sa manière, les pièces à monter pour son propre America America, Parrain ou Scarface.
Ce qu’il y a de magnifique, c’est que le documentaire n’est qu’un prologue à une œuvre à laquelle notre tête œuvre. En cela, le film a réussi sa mission de cinéma. Il a créé un monde par notre intermédiaire. Et juste pour cela, SMASH.
Film belge de Chantal Akerman. Avec Chantal Akerman (voix-off) (1h29). Sortie originale le 20 mai 1977. Ressortie le 25 septembre 2024.
Un Divan à New York, de Chantal Akerman, par Anne-Sophie Neyra
J’ai dû regarder Un Divan à New York en quatre fois. Quatre tentatives pour arriver jusqu’au bout d’un film qui, malgré le talent inéquivoque de Chantal Akerman, m’a semblé désespérément sans relief. Pourtant, comme dans Green Card, tout était là : une réalisatrice talentueuse, des acteurs réputés, et deux villes emblématiques comme décor. L’histoire en elle-même – un échange d’appartements (« home swap ») entre Henry, un psychanalyste new-yorkais renommé, aisé et un peu guindé, et Béatrice, une talentueuse danseuse française de Belleville – aurait pu être une exploration des contrastes, des différences culturelles, et du choc des personnalités… Oui, je vous l’accorde, il est difficile de jouer avec des dualités sans tomber dans un désir d’exagérer ou de radicaliser la pensée, un piège presque naturel lorsqu’on veut opposer deux mondes, deux âmes ou deux villes. Mais ici, on sent cette exagération à chaque tournant : tout est trop prévisible, trop convenu. Rien ne surprend, et on reste dans des schémas attendus du début à la fin.
Le film ressemble presque à un « tour d’introduction » des villes de Paris et de New York, mais un tour qui raterait complètement l’essence, la vivacité, et la magie de ces lieux. New York, avec ses grandes avenues et ses appartements élégants, ne semble être rien de plus qu’une toile de fond stérile, et Paris devient une série de clichés de quartiers bohèmes, mais dénuées d’âme. Henry, incarné par William Hurt, est présenté comme le stéréotype parfait du riche psychanalyste solitaire, l’archétype de l’homme « inconnu mais fascinant » qui écoute sans jamais se révéler. Sauf qu’ici, ce personnage ne dégage rien de fascinant – ni dans son cadre new-yorkais, ni dans son exil parisien. Hurt semble constamment déconnecté, non seulement de Paris, ce qui pourrait être compréhensible, mais même de New York, sa propre ville. Il joue sans véritablement habiter son personnage, comme s’il restait étranger à ses propres gestes, ses propres mots, ses propres choix.
Quant à Juliette Binoche, elle peine à apporter la profondeur ou la spontanéité qu’on pourrait attendre d’elle dans le rôle de Béatrice. C’est comme si son personnage était lui aussi coincé dans un moule d’excentricité un peu forcée, sans la liberté d’être vraiment elle-même. Le manque d’alchimie entre les deux acteurs est flagrant, au point où ils doivent presque annoncer qu’ils sont amoureux, puisque leurs échanges ne suffisent pas à transmettre le moindre sentiment crédible. Chaque conversation, chaque interaction sonne faux, sans la moindre fluidité, comme si chaque phrase était suspendue dans le vide pour combler un scénario qui ne parvient pas à prendre vie.
Il y a, malgré tout, quelque chose d’un peu captivant dans l’appartement de Henry, ce lieu hyper soigné qui dévoile des fragments de son monde. C’est peut-être, à mes yeux, l’aspect le plus agréable du film : cette fenêtre dans l’espace intime d’un personnage aussi rigide et, j’ose le dire, désagréable… Malheureusement, ce plaisir voyeuriste est bien maigre face à un film qui déçoit autant. J’aurais voulu être, au mieux, emportée, ou au minimum amusée – et Akerman, avec sa touche souvent poétique, aurait pu offrir cela. Mais ici, rien ne fonctionne vraiment.
Donc, PASS.
Film franco-belgo-allemand de Chantal Akerman (1h49). Avec Juliette Binoche, William Hurt, Paul Guilfoyle. Sortie originale le 10 avril 1996. Ressortie le 23 octobre 2024.
Monsieur Aznavour, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, par Agathe Bernard-Bacot
Je vous parle d’un homme que les plus de vingt ans se doivent de connaître…
Retraçant l’ascension fulgurante de Charles Aznavour, du bas de « La Bohème » arméno-parisienne jusqu’en haut du Paris des artistes, ce film offre un hommage plus que mérité à l’un des plus grands chanteurs de tous les temps. Il nous dévoile ses affinités avec sa grande sœur de la rue : Edith Piaf, son modèle : Charles Trenet, ou encore sa rencontre avec un jeune artiste encore inconnu, qui deviendra Johnny Hallyday. Il montre ses réussites et échecs professionnels comme amoureux, sa grande fécondité artistique… comme paternelle.
Alors oui, « you are for me, for me, for me, formidable », Charles mais que nous ont fait Mehdi Idir et Grand Corps Malade ? Emmenez-moi voir M. Aznavour ? Non merci.
Raconter la vie d’une telle icône n’est pas chose facile, mais M. Aznavour est l’exemple d’un biopic raté, regarder ce film c’est lire sa page Wikipédia dans une narration plate et sans originalité.
Le plus gros défaut du film réside dans les faux décors générés par l’intelligence artificielle, à l’instar d’un plan architectural. Le film n’a même pas d’intérêt esthétique, quel dommage !
Un film à éviter, PASS.
Film français de Grand Corps Malade et Mehdi Idir. Avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup (2h14). Sortie le 23 octobre 2024.
L’Amour ouf, de Gilles Lellouche, par Ambre Dangy
Deux stars du cinéma français, un réalisateur adoubé par la critique, des coups de communication massifs. Vous ne pouvez pas ne pas en avoir entendu parler mais l’avez-vous vu ?
“L’amour ouf” de Gilles Lellouche est sorti en salle le 16 octobre 2024 et on vous en parle.
Alors que le film avait été sélectionné pour la compétition à Cannes, les accueils sont mitigés.
Pour certains, c’est un excès d’artifices superflus, pour d’autres, un subtil mélange de genres bien pensés. Quoi qu’il en soit, ces 2H40 de film ne laissent personne indifférent. Ayant assisté à une projection le 17 octobre, le public était captivé : des larmes versées lors des séparations, des éclats de rire face à des répliques bien placées. Cette immersion totale, cette catharsis vécue collectivement, illustre toute la magie et la puissance du septième art dans son expression la plus accomplie.
Ce film est une adaptation du livre “L’amour ouf” de l’américain Neville Thompson, lu par Gilles Lellouche bien des années plus tôt et qu’il rêvait de réaliser depuis toujours.
Cette histoire raconte la rencontre fulgurante de deux adolescents : Jackie (Mallory Wanecque), issue d’un milieu bourgeois, et Clotaire (Malik Frikah), le « voyou » de la bande. Ils vivent toutes leurs premières expériences ensemble, mais la délinquance de Clotaire l’entraîne en prison. Douze ans plus tard, dans la deuxième partie, Jackie (Adèle Exarchopoulos) s’est résignée à une vie ordinaire sans amour véritable, tandis que Clotaire (François Civil) est libéré. Peut-on rattraper le temps perdu ? Faut-il sacrifier le présent pour raviver un premier amour ? À vous de le découvrir.
A travers un mélange de genres qui met en scène “une histoire d’amour à la fois musicale et violente” (Gilles Lellouche, réalisateur – extrait du dossier de presse), ce film, accompagné des grands titres de The Cure et Prince, peint en arrière-plan une fresque des années 80, dans une ville portuaire qui nous éloigne de la capitale.
Alors, SMASH.
Film français de Gilles Lellouche (2024). Avec Mallory Wanecque, Malik Frikah, Adèle Exarchopoulos, François Civil (2h41). Sortie le 16 octobre 2024.
The Apprentice, d’Ali Abbasi, par Melchior Martinant de Préneuf
Après plusieurs longs-métrages attestant de sa fascination pour la monstruosité, quoi de mieux que l’ascension cynique de Donald Trump comme objet du dernier film d’Ali Abbasi? Ce cinéaste danois, originaire d’Iran, suit les pas de Donald Trump (Sebastian Stan), qui grâce à sa rencontre avec l’avocat corrompu Roy Cohn (Jeremy Strong) va connaître une « success story » trépidante.
Alors qu’il se contente de récolter les loyers auprès des locataires des appartements de la société immobilière de son père, Trump fait la rencontre de l’avocat Roy Cohn, afin que ce dernier sorte l’entreprise familiale d’une mauvaise affaire qui les inculpe pour discrimination raciale. Proche des milieux néoconservateurs, réputé pour son activisme au sein du maccarthysme notamment durant l’affaire des époux Rosenberg, et redouté par toutes les cours américaines pour ses méthodes peu légales, celui-ci les tire d’affaires et décide de faire du petit Donald son poulain. Il gravit les échelons, en menant à bien ses projets immobiliers au sein d’une ville de New York dégradée qu’il souhaite gentrifier, grâce aux trois règles de vie outrepassant la morale que son mentor lui inculque : « attaque, attaque, attaque », « n’admets rien » , « ne reconnais jamais la défaite ». Absorbé par l’ambition, Trump incarne un capitalisme prédateur et trace sa route sans se soucier de son frère suicidaire, des badinages de l’amour qu’il réduit à un contrat de mariage négocié point par point avec Ivana (Maria Bakalova), et de sa forme physique qu’il assure par une opération de liposuccion. Cette bête solitaire, avide d’obtenir un pouvoir qui apparemment justifie tous les moyens, finira par dépasser le maître. Pour le juif et homosexuel inavoué qu’est Roy Cohn, la reconnaissance s’avèrera difficile, voire inexistante.
Survolté, glaçant, animé, ce film sans foi ni loi laisse assez estomaqué et est loin de faire l’apologie de la RSE des grandes fortunes du NASDAQ. Ali Abassi nous emmène au cœur de l’empire du faux, où tous les coups sont permis pour asseoir sa domination au sommet d’une tour surplombant Manhattan. S’il peut convaincre, ce biopic est avant tout conceptuel : il fixe sur un aspect et une période de la vie de Trump, quitte à grossir les traits pour servir la puissance du scénario. La mise en scène assez violente du viol d’Ivana est ainsi à prendre avec des pincettes, la véracité des faits restant incertaine à ce jour.
Alors, SMASH.
Film américain de Ali Abbasi (2h00). Avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova. Sortie le 9 octobre 2024.
Niki, de Céline Sallette, par Eliott Offenstadt
Biopic sur Niki de Saint-Phalle (Charlotte le Bon), le film présente la vie de l’actrice avant son accession à la notoriété, et en particulier l’inceste qu’elle a subi de son père (Grégoire Monsaigeon), ses relations avec son premier mari (John Robinson), sa vie cachée avec Jean Tinguely (Damien Bonnard) et ses séjours en psychiatrie.
Niki de Saint Phalle, dans l’imaginaire collectif, ce sont des sculptures colorées, notamment celles de la fontaine Stravinsky. Rien de tout ça dans le film, les œuvres ne sont pas montrées et sa vie n’a rien de colorée, elle est même très sombre. Le noir et blanc et la couleur, il n’y a pourtant rien de plus cinématographique. Mais ici, point de cinéma.
François Truffaut avait critiqué « Le Petit Noir tranquille » de Sydney Meyers (1948) en disant que le personnage était “simplement photographié, il n’est même pas filmé”. Cette phrase va bien au film du jour. Charlotte Le Bon n’a pas le droit de jouer. La réalisatrice l’enferme dans des compositions plastiques, où tout est millimétré, comme une photo de mode.
D’autant que son parcours personnel ne propose absolument aucune mise en perspective dans le cadre de son œuvre. Et si Niki de Saint-Phalle nous intéresse, c’est pour son œuvre. Donc nous aurions voulu savoir comment sa vie a influencé son œuvre. Et au bout d’une heure et trente-huit minutes, on ne le sait toujours pas.
PASS, donc.
Film français de Céline Sallette (1h38). Avec Charlotte Le Bon, John Robinson, Damien Bonnard. Sortie le 9 octobre 2024.
À la semaine prochaine pour le smash ou pass cinéma #3 où sera notamment évoquée la Palme d’or Anora.
Et pour les retardataires, le lien pour le smash ou pass cinéma #1.