Ne me libérez pas, je m’en charge.

Portrait de Michel Vaujour, un film de Fabienne Godet. Ne me libérez pas

Il se tient là, assis face à nous, tranquille, de sa voix grave et douce, l’œil profond et impérieux, humain. Dans Ne me libérez pas, je m’en charge, Michel Vaujour se confie, revient sur sa vie, son expérience en prison, ses raisons, sa vision du monde. Michel Vaujour ou l’homme qui aura passé 27 ans en prison, qui se sera échappé plus de trois fois, dont une à grand renfort d’hélicoptère pour une évasion spectaculaire de la Santé. C’est la liberté et un goût pour l’aventure qui animèrent l’homme.

Et l’aventure il en a fallu pour monter ce documentaire. Les producteurs ne concevaient pas qu’un film de pratiquement deux heures concentré uniquement sur un entretien avec Michel Vaujour puisse trouver son public. Alors que le Mesrine grand public et spectaculaire lorgnait sur le grand banditisme comme un divertissement, Ne me libérez pas, je m’en charge s’attache à l’homme derrière le bandit. Aucune scène spectaculaire, aucune mise en scène, juste une vie broyée par l’emprisonnement.

Durant deux heures, le spectateur suit le récit de cet homme magnifique, au charisme incroyable teinté par moment d’une aura quasi mystique et pénétrante. Au détour de quelques rencontres, on découvre la mère de Michel Vaujour, petit bout de femme incroyable, les amis, les neveux. Tous portent un regard sur la vie de l’ancien prisonnier, une émotion saisissante pour un être exceptionnel de volonté.

Fabienne Godet, la réalisatrice, voulait à tout prix se centrer sur l’homme, reconstruire avec lui sa vie pour comprendre ce que peut ressentir un jeune adolescent en lutte, en quête d’identité, un jeune homme révolté, un homme mis en prison, dans les QHS (les quartiers haute sécurité) où les pièces jaunes restent allumées sans interruption, où la moindre petite pousse d’herbe, signe d’espoir et de vie, est immédiatement arrachée par les matons. Si elle avait pu, Fabienne Godet se serait sans doute effacée entièrement de l’image, pour laisser le public prendre sa place, se sentir proche et découvrir que derrière ces détenus, il y a des personnes.

Reprenant un fil chronologique, Michel Vaujour évoque les êtres qui ont compté, qui lui ont permis de tenir dont Gilles ou Jamila, celle qui fut enfermée pour avoir essayé de le sortir de prison, ses premières tentatives d’évasion où il utilisa un Babybel pour faire l’empreinte d’une clef, la balle qu’il reçut en pleine tête, les petits instants en pleine nature à écouter la vie, à goûter la liberté. Nous sommes en 2003 lorsque Michel Vaujour sort enfin. Le documentaire s’arrête, il n’est plus nécessaire d’aller plus loin.

Bouleversant, parfois dur, le film ne cherche jamais à être moralisateur, simplement à laisser la parole à Michel Vaujour, et le spectateur ne peut que ressortir en ayant une foule de questions.

Si ce film requiert d’entrer dans son atmosphère particulière, il devient au bout d’une demi heure envoûtant, troublant et esthétiquement très réussi. Sur le papier, on pouvait redouter deux heures de tête à tête et de confession, à l’écran, on ne peut être que subjugué par cet homme dont parlèrent tant les journaux. Un homme simple, humble, loin de l’image du grand bandit, un homme qui finit par avouer qu’une partie de lui est mort en prison, mais qu’il continue de vivre et d’avoir un goût pour la vie, un homme qui accepte l’idée d’un de ses amis lui disant que sa sortie de prison est comme une naissance, un homme réfléchi et qui paraît profondément gentil, lui qui s’est efforcé tout au long de sa vie de ne pas recourir aux armes à feux et qui utilisait de fausses armes en savon.

Lors de l’avant première à SciencesPo, mercredi premier avril, Michel Vaujour, Fabienne Godet et le producteur avaient fait la gentillesse au Cinéclub du BDA de se déplacer pour répondre aux questions.

Michel Vaujour était comme à l’écran: sans haine, tranquille, apaisé, répondant aux questions avec sincérité et sans fard. Parlant de l’idée de mort prégnante en prison ou encore de l’amour pour la vie, Michel Vaujour est revenu notamment sur certains problèmes des prisons dont le fait de considérer les individus uniquement comme des détenus et jamais comme des personnes, le pire étant que la prison soit un univers clos, fermé au regard du public, et que cette ouverture sur le public serait sans doute déjà un moyen d’améliorer les situations en brisant les rapports de force. Si le documentaire ne cherchait pas à dénoncer explicitement l’état des prisons, le contexte de sortie (la France n’étant pas un très bon élève Européen sur la question) ramène à se demander ce qu’il est possible de faire.

Belle projection et beau moment dans l’amphithéâtre Boutmy hélas bien vide, puisque, si une quarantaine de personnes avaient assisté à la projection, seulement une vingtaine était présente pour accueillir l’équipe du film. Les journalistes (dont TF1) étaient censés être présents, mais face à ce manque de public, la production a été contrainte d’annuler leur participation, l’entrée dans SciencesPo étant par ailleurs quelque peu difficile. Le cinéclub remercie encore la production pour la projection et l’intervention de Michel Vaujour.

Vous n’avez pas pu venir, rassurez-vous, le film sort mercredi 8 avril en salle et c’est sans aucun doute un documentaire à ne pas rater !

http://www.hautetcourt.com/fiche.php?pkfilms=149

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