
MAZAN, PROCÈS DE LA RUPTURE : À VOIX HAUTE, MADAME GISÈLE PÉLICOT ! (1/3)
Dans la série VIOLENCES ET JUSTICE, UN COMBAT A DOUBLE EPREUVE
Le 19 décembre 2024, cinquante et un hommes sont reconnus coupables devant la cour criminelle du Vaucluse d’avoir violé ou agressé sexuellement une femme qui s’est vue, pendant près de dix ans, droguée à son insu par son mari. Dominique Pélicot recrutait sur Internet ces inconnus qu’il invitait à se rendre à son domicile dans la petite ville de Mazan. Il est aujourd’hui condamné à vingt ans de réclusion. Ainsi s’est clôturé ce procès « hors normes », dont l’ampleur du retentissement éveille aujourd’hui des déterminations nouvelles quant à la marche vers un changement de regard collectif sur des violences et des crimes que la justice ne punit encore que faiblement. « Je n’exprime pas ma colère, ni ma haine, mais une détermination à ce que l’on change la société », annonce, à la barre, celle dont le monde entier salue aujourd’hui la bravoure. Elle aura offert à toutes les femmes son combat, voilà un nom et un visage que nous ne sommes pas prêts et prêtes d’oublier, celui de Gisèle Pélicot.
Autrice : Calypso Joyeux
Blandine Deverlanges a 56 ans et habite Avignon. Féministe radicale, c’est en 2019 qu’elle fonde une antenne d’Osez le féminisme dans le Vaucluse. Au même moment, dans les grandes métropoles françaises, les messages féministes recouvrent les murs de l’espace public d’épaisses lettres noires. Le retentissement provoqué par le mouvement des collages est tel qu’il permet une mise à l’agenda de la question des féminicides et des violences sexistes et sexuelles. Blandine Deverlanges créée alors le collectif Les Amazones d’Avignon. Celui-ci décore les statues, manifeste au sein des rassemblements féministes, multiplie les démonstrations symboliques et s’empare du collage comme moyen d’expression politique privilégié. A l’occasion du procès des viols de Mazan, les Amazones ont su faire entendre leur voix.
Les féministes avignonnaises découvrent l’histoire de Gisèle Pélicot sur les pages du journal La Provence. Dès le mois de février 2024, à un moment où n’avait été envisagé que le procès puisse se tenir autrement qu’à huit clos, le collectif fomente l’architecture d’actions d’ouverture et de fermeture. Les débats commencent le 2 septembre 2024. Blandine Deverlanges raconte : « Nous constatons rapidement qu’il n’y a que peu de retentissement. Zéro public, quelques médias, mais surtout des médias étrangers, très peu de médias français. On s’est dit qu’il allait falloir faire du bruit. »
La salle d’audience
Le procès des viols de Mazan est unique en ce qu’il réunit un nombre d’accusés inhabituel : cinquante et un. Joignons à cela les présences des parties civiles, des médias et du public, dont les effectifs s’intensifient au fur et à mesure de l’avancée des débats. Un rassemblement qui annonce déjà la couleur d’un épisode d’une ampleur inédite.
BD : « Le Tribunal d’Avignon n’est pas très grand. La salle où se sont tenues les audiences peut contenir une centaine de personnes. Les trois premières semaines, la totalité des violeurs étaient présents. Dans cette salle, il y avait les six juges (cinq travaillent, le dernier reste présent au cas où il y en ait un qui canne), trois-quatre avocats pour le parquet, Gisèle, sa famille, ses avocats, sa psychologue, soit entre trois et six personnes en permanence. Tout le reste, c’est les cinquante et un violeurs. Dix-huit dans une boîte en verre, Dominique Pélicot dans une boite à part, trente-deux autres qui comparaissaient libres. A côté, il y avait une salle pour les médias, ainsi qu’une salle de retransmission pour le public, d’une soixantaine de places, avec une file d’attente. Les médias préféraient se joindre au public plutôt que rester dans leur petite salle à eux. Par exemple, j’ai très souvent été assise à côté de Laure Daussy, de Charlie Hebdo. Dans le public, il y avait environ 95% de femmes, et toujours entre deux et quatre hommes. Parmi ces femmes, trois ou quatre vieilles qui suivent tous les procès, des étudiantes en droit, les familles des accusés, et puis nous, les militantes féministes. C’était très compliqué parce que nous ne savions jamais vraiment à côté de qui nous étions assises. On se retrouvait parfois à côté de filles qui étaient désespérées de voir leur père sur le point d’être condamné. Ça, c’était surtout au début. Plus le procès avançait, plus la proportion de femmes en colère, dans le public, grandissait. »
Les couloirs du Palais de justice
Parmi les accusés, trente-deux sont autorisés à comparaitre libres. Ceux-là circulent librement dans les couloirs, si bien que leur visage devient rapidement familier aux féministes présentes chaque jour, au Palais de Justice.
BD : « Il faut s’imaginer que ceux qui comparaissaient libres entraient en même temps que nous, faisaient la queue au même portique de sécurité, allaient aux mêmes toilettes, et buvaient leur café, à la même machine. C’est extrêmement traumatisant. Je me suis retrouvée une fois aux toilettes avec sept violeurs. Et puisqu’ils étaient nombreux, tout le temps entre eux, avec leurs avocats qui les faisaient passer pour des victimes et leur disaient qu’ils allaient ressortir libres, ils avaient de plus en plus la gagne, et se montraient de plus en plus agressifs. On a commencé à avoir des confrontations dans le tribunal, avec des moments de tension, où les violeurs criaient, passaient, en nous faisant des bras d’honneurs ou en nous envoyant des bisous. Le paroxysme a eu lieu fin septembre [2024]. J’étais à l’extérieur du tribunal, devant le Palais de Justice. Il y a eu une suspension d’audience. Tous les fumeurs sont sortis et se sont positionnés sur les escaliers : les journalistes, les accusés, les avocats, les policiers. A une dizaine de mètres de cela, j’ai vu que les choses commençaient à s’assombrir. Un accusé a fulminé les médias d’arrêter de le filmer : « J’ai le droit à ma vie privée, vous vous rendez compte, ma mère ne va pas bien, laissez-moi. ». Des femmes se sont énervées et l’une d’elles lui a lancé « Vous n’aimeriez pas qu’on ait fait ça à votre mère. ». L’accusé est sorti de ses gonds et s’est mis à hurler « Tu vas voir, je vais aller la violer, ta mère », devant les télés qui filmaient la scène. A ce moment-là, pour le défendre, son avocate a avancé que la jeune femme qui avait pris la parole « l’avait un peu cherché, quand même ». Voilà l’ambiance. »
Avec la médiatisation du procès, les accusés dissimulent progressivement leur visage sous des cagoules et des lunettes de soleil, par crainte d’être reconnus et identifiés. Au fil des audiences, l’impression de masse qui survient lorsque l’on tourne le regard vers la défense se voit renforcée par un sentiment d’appartenance commune grandissant au sein du groupe des accusés. Issus de tous milieux sociaux et origines, les cinquante et un violeurs ont entre 27 et 74 ans et la diversité de leurs trajectoires trace une large cartographie de la société. Leur point de rencontre semble tenir à leur consommation de contenu pornographique sur internet, ainsi qu’à la consultation du site coco.fr, utilisé pour entrer contact avec Dominique Pélicot.
L’action des Amazones
« Le soutien de ces femmes et de ces hommes qui sont derrière moi. », GP.
Les Amazones d’Avignon suivent de près les quatre mois de procès. Leur mobilisation s’est organisée autour de plusieurs actions. Tout d’abord, les féministes avignonnaises ont mis en place une présence à l’intérieur du tribunal, dans la file d’attente et dans la salle de retransmission d’audience. Chaque jour, elles assurent un rôle d’informatrices et une posture de soutien pour les nombreuses femmes, parfois venues de loin, qui viennent assister à ce procès historique.
BD : « Il faut savoir qu’il y a, dans certaines villes, des tribunaux modernes, qui transmettent sur leur site web les informations nécessaires au suivi d’un procès : les noms des accusés, les horaires d’audience, les lieux. À Avignon, il n’y a rien. Alors même qu’il s’agit d’informations publiques. Aux Amazones, nous nous sommes empressées de remédier à ce problème en publiant les noms des accusés. Pour le reste, nous nous tenions constamment informées. N’ayant pas accès à une information publique solide, les femmes qui souhaitaient assister au procès nous contactaient sur Instagram. Elles étaient nombreuses et venaient de partout, même de l’étranger. Elles posaient une ou deux journées de RTT, prenaient un train pour assister au procès. Alors, nous les renseignions, nous les accueillions. Nous ne les laissions pas toutes seules. Il ne faut pas sous-estimer le traumatisme que peut représenter le fait d’assister à une audience. Tu vois des images que tu n’as pas envie de voir, tu comprends des choses que tu n’as pas envie de comprendre. Donc nous étions là. Nous accompagnions aussi certaines femmes des accusés. Elles étaient appelées à témoigner mais n’étaient pas du tout suivies, n’avaient pas d’avocat. Le discours que nous avons toujours tenu, c’est celui qui ouvre nos portes à toutes les femmes. Alors, c’étaient bien sûr Gisèle, Caroline [la fille de GP], sa famille, mais il y avait aussi toutes les autres femmes, celles qui venaient, celles qui témoignaient. »
Surtout, les Amazones n’ont cessé de placer au cœur de leur mobilisation, leur principal moyen d’expression militante. Trois ou quatre nuits par semaine, les féministes avignonnaises se réunissent pour coller, sur les murs de la cité des Papes, des messages revendicatifs.
BD : « On collait au procès. Au fur et à mesure que le procès avançait, surgissaient des thèmes qui semblaient pertinents. Un soir, nous avons fait un collage sur des mots prononcés par Gisèle en audience, parce qu’il y avait toujours, dans son discours, une posture absolument remarquable. Nous avons collé : “Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée”. Nous avions choisi le lieu de collage parce que nous savions que Gisèle passait devant tous les midis. Le lendemain, j’étais avec la télévision suisse et je leur montrais le mur sur lequel reposait notre œuvre. A ce moment-là, Gisèle est arrivée. Je suis allée la voir pour lui parler du collage et je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo. C’est un moment qui m’a énormément émue. Elle était avec ses avocats, son fils, et son beau-fils, qui étaient en larmes. Et elle, sur cette photo, elle sourit et regarde l’objectif. »

Gisèle, la combattante
« Je suis comme un boxeur qui tombe et à chaque fois je me relève. », GP.
Force tranquille, la coupe au carré brun, les yeux prêts à faire la guerre, dissimulés derrière d’opaques lunettes rondes, Gisèle Pélicot se distingue et marque. En refusant que le procès se déroule à huis clos, elle a offert son histoire au monde entier et s’est inscrite en figure de proue de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les applaudissements qui saluent le courage de la septuagénaire traversent les murs de la salle des pas perdus du Palais de Justice d’Avignon pour répandre l’onde du procès de toute part. Sur les façades des grandes métropoles internationales, les fresques et les collages à son effigie se multiplient. Au cours du mois de janvier 2025, une activiste britannique a même initié une pétition pour qu’elle reçoive le Prix Nobel de la Paix. Toutes les conditions semblent réunies pour élever Gisèle Pélicot au rang d’icône féministe.
L’affaire Pélicot se distingue en ce qu’elle implique deux visages qui tranchent. Si la presse s’est d’abord tournée vers celui du « monstre de Mazan », « pervers XXL », dont l’ampleur et l’atrocité des crimes commis faisaient de lui un accusé « hors normes », un renversement radical s’est rapidement opéré vers celle qui s’est engagée de son propre chef au cœur du procès, et a affronté ses agresseurs. Alors que la majorité des procédures judiciaires engagées pour des affaires de viol sont classées sans suite et demeurent dans l’ombre, Gisèle Pélicot parle fort et se tient debout : sa voix a déjà marqué l’histoire.
BD : « Il y a plusieurs ruptures. Gisèle est là où on ne l’attend pas. On attend des victimes de viol qu’elles aient honte, qu’elles se taisent, se cachent et attendent que la douleur passe. Gisèle a fait tout le contraire. Quand elle a refusé le huis clos, quand elle a annoncé ne plus vouloir « qu’elles aient honte », en parlant de toutes les femmes victimes de viol, elle a pris tout le monde à contrepied. Ce qu’il faut savoir, c’est que le procès a démarré il y a quatre ans, en 2020. Quatre ans, c’est inhumainement long. Lorsqu’elle prend la parole à la barre pour la première fois, après quatre années de silence, elle déclare « Je suis un champ de ruines ». Gisèle est une femme détruite. Mais en même temps, ces quatre ans lui ont sans doute permis de rassembler les morceaux, de bénéficier d’un accompagnement psychologique, d’avoir envie de se battre et les ressources pour le faire : en bref, d’être à nouveau vivante. »
Gisèle Pélicot soumet au monde un portrait de la victime de violences sexistes et sexuelles qui rompt avec les représentations traditionnellement admises : celui de la victime qui refuse la honte. En témoigne, le choix de conserver le nom de « Pélicot » pour le procès – la septuagénaire a pourtant repris son nom de jeune fille – afin que ses petits-enfants, loin de craindre l’association à Dominique, soient fiers d’être liés au combat de Gisèle. Pour Blandine Deverlanges, elle est moins une icône qu’une figure d’inspiration pour les femmes et les féministes, dont celles-ci peuvent se saisir comme moteur d’impulsions.
BD : « Je pense que si Gisèle se définit sans doute comme féministe aujourd’hui, ce n’était certainement pas le cas il y a cinq ans. Il y a différentes raisons qui mènent quelqu’un à devenir féministe : elle a connu la plus dure, la plus violente. Je pense que c’est plutôt une figure pour les féministes, une figure de courage, de douceur, d’intelligence, d’inspiration, pour les femmes, qui ressentent à son égard une gratitude immense. De la même façon que je ne suis pas d’accord avec le fait de dire que Gisèle est devenue une icône. Les icônes, ce sont des femmes mortes. Gisèle est bien vivante, et c’est parce qu’elle est vivante que tout ça a été possible. Puis il y a le côté religieux. On ne réfléchit pas devant une icône : on prie. Ce qu’elle nous force à faire, Gisèle, c’est à réfléchir. »
La culture du viol appelée à la barre ?
« Pour moi, c’est le procès de la lâcheté. Il est grand temps que la société ouvre le regard sur cette société machiste, patriarcale, où l’on banalise le viol. », GP.
Pour beaucoup, le procès des viols de Mazan n’est pas seulement l’affaire du jugement de cinquante et un violeurs. La diffusion publique des images de la procession infernale de ces hommes ordinaires et des atrocités qu’ils ont commises, a offert au procès un écho public et levé le voile sur les significations sociétales qu’il révèle. Des analyses inédites se multiplient sur les plateaux de télévisions et les pages des journaux. Tous se saisissent de lexicologies et concepts nouveaux, jusqu’alors cantonnés aux sphères féministes. Le procès des viols de Mazan déborde, pour placer à la barre du Tribunal d’Avignon, la « domination masculine » du quotidien, le manque de considération collective de la portée des violences sexistes et sexuelles, la « culture du viol », qui imprime nos consciences et nos imaginaires.
Avec le procès Pélicot, le concept de « culture du viol » a connu une véritable démocratisation. Apparu dans les milieux féministes radicaux dans les années 1970, les débuts de son utilisation en Europe remontent au début des années 2000. La « culture du viol » renvoie à l’ensemble des comportements qui banalisent, excusent, normalisent, plaisantent de, encouragent parfois même, le viol, au sein de notre société. Elle entretient des mythes qui distinguent les « vraies » des « fausses » victimes, affirment que la violence est sexuellement excitante pour une femme, réduisent le viol à une pénétration violente par un homme dangereux, en proie à des pulsions sexuelles irrépressibles. La réalité est bien distincte de ces fabulations : là où la légende situe le viol dans une ruelle sombre, commis par un.e inconnu.e, 91% des auteur.ice.s de viols ou tentatives de viols sont, dans les faits, des proches de la victime. Le procès Pélicot témoigne de la prégnance de la culture du viol dans notre paysage quotidien. Le viol n’est pas un phénomène de marge et si celui-ci est en mesure de s’imposer aussi massivement, c’est sans doute parce que les violences sexuelles ne sont pas appréhendées comme il le faudrait par la sphère publique.
BD : « Lorsqu’on a une lecture féministe de la situation, on comprend très vite que c’est la culture du viol qui a permis que tout ça se passe : la consommation de pornographie, la minimisation des violences, le fameux empowerment par le libertinage, l’inversion de la culpabilité, le refus d’entendre les victimes. D’une certaine manière, le procès a été le lieu d’une prise de conscience pour le grand public de l’ampleur des violences masculines, et celui de la découverte du concept de culture du viol. Dans sa plaidoirie finale, Stéphane Barbonneau, avocat de G. Pélicot, dit : « Cette ville d’Avignon [est devenue] pendant le temps de ce procès le fer de lance de l’étude et de la déconstruction de la culture du viol, il suffit à chacun de sillonner ses rues pour s’en rendre compte ». Ici, il fait référence à nos collages, qui ont toujours eu pour vocation de lutter contre la culture du viol. Mais on aurait pu espérer avoir un fonctionnement de la justice qui en soit exempt. »
Si l’affaire des viols de Mazan constitue, à plusieurs égards, un point de rupture dans la considération des violences sexistes et sexuelles, celle-ci ne doit pas occulter que le contenu et la marche du procès sont restés enlacés à un schéma de fonctionnement empreint de patriarcat qui génère un traitement biaisé des violences. Alors même que la diffusion des images conservées dans l’ordinateur de Dominique Pélicot faisait office de preuve édifiante, la majorité des accusés ont refusé de reconnaitre qu’ils avaient commis un viol, dissimulant leur acte par un prétendu « piège » dans lequel ils seraient tombés, une « absence d’intention », une « erreur ». De son côté, le système de justice ne semble pas non plus avoir rompu avec la culture du viol.
BD : « Pendant le procès, la culture du viol est restée présente à tous les étages. Chez les avocats, lorsqu’ils cherchaient à démontrer que Gisèle Pélicot était consciente parce qu’elle avait bougé les hanches. Chez certains juges, qui posaient des questions sur les « rapports sexuels » qu’elle aurait eu avec ces hommes. Tu n’as pas de rapport sexuel quand tu es dans le coma. C’est un viol. Les juges ont pu également poser des questions aux accusés ou à leur compagne sur leur satisfaction sexuelle, la fréquence de leurs rapports comme si cela avait une incidence, comme si une insatisfaction sexuelle pouvait justifier un viol. On même a eu une femme qui s’est excusée auprès de Gisèle en lui annonçant que si elle avait mieux satisfait son compagnon, il ne serait pas allé la violer. C’était l’apogée de la culture du viol. Et puis, il me semble qu’on on a aussi raté l’occasion de faire le lien entre la pornographie et la violence sexuelle. Or c’est évident et extrêmement prégnant dans cette affaire – il n’y a qu’à regarder la consommation de contenu pornographique des accusés ; un certain nombre d’entre eux détenaient même des images pédopornographiques et zoophiles. Nier qu’il y a un lien, c’est complètement absurde. Pareil pour la question de la prostitution, qui est une violence sexuelle, et qui est illégale en France. En salle d’audience, ces hommes affirmaient régulièrement avoir recours à ce genre de pratiques. Pas une seule fois un juge n’a rappelé qu’il s’agissait d’un délit. »
Vers le réarmement des victimes de violences
« J’ai confiance en un avenir dans lequel chaque femme et hommes puissent vivre dans le respect. », GP.
Le procès des viols de Mazan ouvre une voie vers la modification du regard collectif sur le traitement des violences sexistes et sexuelles. Il provoque le questionnement, la remise en cause des rapports entretenus entre les hommes et les femmes. Il rappelle l’importance de la pédagogie et avertit quant à la prégnance et la portée des fantasmes véhiculés par nos imaginaires. Surtout, il rassemble et réarme les victimes de violences. « Ce qui est scandaleux, ce n’est pas de dénoncer le viol, ce qui est scandaleux, c’est le viol lui-même. », clamait une autre Gisèle, en 1978, à Aix-en-Provence, à l’occasion d’un autre procès historique, qui jugeait une autre affaire de viol. Halimi refusa le huit clos et médiatisa l’affaire. Gisèle Pélicot convertit à son tour la justice en instrument de débat public. Quarante-six ans plus tard, « la honte [est en train de] change[r] de camp ».

