Lis Tes Ratures : Les Livres à lire pour briller en société avec Apollinaire

Vous êtes convié à un dîner mondain chez des amis germanopratins. Installé, vous réalisez que les convives ripaillants parlent fort et s’invectivent, disputant le bout de gras ainsi que le prochain Goncourt. Anxieux que vous êtes de faire bonne figure en si bonne compagnie, vous ne parvenez malheureusement pas à en placer une, vos maigres souvenirs du dernier Stendhal lu en passant dans le métro étouffés par les cent cinquante pages de Droit ouzbek que vous avez ingurgité la veille, ainsi que par votre voisin de droite qui éructe à qui mieux-mieux son avis pédant sur le dernier Christine Angot, « Fooormidable, vraiment Fooormidable ».

La Loose.

Lecteur soucieux de préserver ton image de sciences-piste érudit, La Péniche pense à toi et poursuit donc sa rubrique en ce frileux début de second semestre, à marche forcée, puisque vous aurez le droit à un opus par semaine, les mondanités n’attendant pas notre dilettantisme éditorial.

La rédaction

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Second Episode, Alcools de Guillaume Apollinaire

Petite question pour les fins observateurs – et les autres – de notre quartier germanopratino- sciencespiste : vous rendez-vous fréquemment au Bizuth ? Oui ou non, avez-vous déjà remarqué la plaque de marbre un peu au-dessus du lieu, celle qui est souvent cachée par les arbres touffus du Boulevard Saint Germain ? Si c’est le cas, vous devriez deviner de qui nous allons évoquer l’oeuvre aujourd’hui…

Avant vous, chers lecteurs, il y avait un homme qui se plaisait à fréquenter notre beau quartier, et par extension, notre belle capitale. Il aimait tellement – briller ? – à Saint Germain des Près qu’il décida d’occuper un appartement sur le Boulevard Saint Germain… non loin de la rue Saint Guillaume. Euphémisme, puisque sa demeure s’y trouve même juste en face. Au-dessus du Bizuth actuel, il y a une petite plaque de marbre, où est inscrit : « Dans cette maison vécut et mourut (Janvier 1913 – 9 Novembre 1918) le poète Guillaume Apollinaire. »

Maintenant que l’épitaphe a levé le voile d’un suspense insoutenable, Le Pont Mirabeau doit certainement surgir à votre esprit : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine », « Vienne la nuit sonne l’heure / Les jours s’en vont je demeure »… Vous pourrez jeter un coup d’oeil au Pont Mirabeau, celui en pierre : les derniers vers du poème y sont gravés. Si c’est le plus célèbre du recueil Alcools, paru en 1913, bien d’autres poèmes dévoilent la conception de la création de Guillaume Apollinaire. Celui-ci soulève une question essentielle : existe-t-il une limite entre poésie et prosaïsme ? Où commence véritablement la poésie ?

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Apollinaire a longtemps hésité sur le titre à donner à son recueil. « Vent de Rhin », en hommage à son expérience germanique ? « Eau-de-vie », en lien avec la création poétique ? C’est finalement « Alcools » qu’il retient : la poésie est autant ivresse que source de vie. Mais c’est aussi une flamme, peut-être même une brûlure, qui entraîne parfois violence et exubérance.

Dans Alcools, la poésie est tout d’abord un outil nouveau au service de l’exaltation de la vie moderne. En toile de fond, le poète est un démiurge dont l’art est capable de recréer une unité dans le monde. Ainsi, cette poésie, marquée par le cubisme, promeut la simultanéité des espaces temporels. Porté par son lyrisme hybride, l’artiste bouscule les repères poétiques, tant dans le fond que dans la forme.

Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire par Giorgio de Chirico, 1914.
Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire par Giorgio de Chirico, 1914.

Prenons Zone, par exemple. Le dernier poème écrit par le poète, mais le premier du recueil. Le manifeste de sa philosophie de la poésie. A mi-chemin entre tradition et innovation, ce poème mêle les alexandrins, les interjections lyriques, la religion et les moutons à la Tour Eiffel, aux rues industrielles, aux prospectus, et aux sténodactylographes. En ce début de XXe siècle, la modernité est rayonnante et bouleverse la ville traditionnelle. La beauté et la grâce de l’industrie sont révélées par Apollinaire, à l’instar d’un Monet qui peint une locomotive ou d’un Delaunay qui prend pour modèle la Tour Eiffel.

Glissons maintenant vers Mai, un poème très doux, bercé par les clapotis de l’eau, les rires des jeunes filles, et les pas des tziganes. Le paysage que nous offre Apollinaire est très contrasté, et reflète ses états d’âme ; les bourgeons côtoient des ronces et des ruines, la liberté du poète s’oppose à la captivité des ours des tziganes, et la fraîcheur du mois de Mai fait faner les pétales du laurier.

Si nous nous attardons sur Nuit Rhénane, nous avons affaire à un lyrisme d’une autre saveur : il est enivrant. Et pour cause, la poésie est une ivresse, tout comme l’ivresse de l’alcool, libératrice, inspire le poète. Les chants, les fées, le Rhin, le vin, et l’or fondent avec délicatesse dans la bouche de celui ou celle qui déclame ces vers. Le poète est porté par son enthousiasme – il est étymologiquement habité par les dieux – et incarne la passerelle entre le monde de Dionysos et celui d’Apollon. L’ivresse – du vin ? de la poésie ? – est telle que Nuit Rhénane se termine par un sursaut du poète :

« Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ».

N’est-ce pas Rimbaud qui rêvait d’une poésie qui soit le produit « d’un immense dérèglement de
tous les sens » ?

Clara Duchalet.

6 Comments

  • Jean-Baptiste Cham

    Je ne suis pas un élève de Sciences Po, tout juste quelqu’un qui vient de passer les épreuves anticipées de français du bac, arrivé un peu par hasard sur ce site.

    Permettez au néophyte que je suis de répondre aux critiques du premier intervenant.

    L’intérêt de cet article, eh bien c’est sans doute de parvenir à expliquer en quelques lignes pourquoi le recueil /Alcools/ se situe entre tradition et modernité, à la fois par ses thèmes et par son écriture.

    Et d’attirer l’attention d’un lecteur potentiel sur la section « Rhénanes » qui fait du Rhin et de ses paysages un lieu de sortilèges. Pour ma part, j’apprécie aussi particulièrement « Nuit rhénane » (avec l’admirable premier vers « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme »).

  • Clara Duch

    Aux adorables commentaires anonymes : le premier paragraphe est à prendre à la légère ! Il introduit (avec humour n’est-ce pas) tous les articles de la rubrique. Celle-ci est simplement destinée à faire naître des envies de lecture, et non pas à présenter des thèses. Navrée que les mots « dîner mondain » (entre autres) de la rédaction aient pu irriter les sensibilités. En espérant panser tes blessures intellectuelles.

  • 3A

    Sans vouloir être désagréable… quel est l’intérêt de cet article? faire de l’analyse à la petite semaine d’un recueil formidable, niant ainsi sa force et sa complexité? réduire une oeuvre à des clichés médiocres du style « la póésie est autant ivresse que source de vie »? Dans ce cas, tu aurais pu t’abstenir.

    Je ne sais pas exactement quelle est ta vision des dîners mondains, mais dans ceux que je fréquente, on préfère les gens qui confessent n’avoir pas lu un ouvrage que les baratineurs qui prétendent tout connaître et énoncent des évidences en se donnant des airs de philosophes ratés.