« Les élèves de 3A sont les meilleurs ambassadeurs de Sciences Po » : rencontre avec le directeur de la DAIE

La plupart des 1A n’étaient pas encore nés lorsque Francis Verillaud a été nommé directeur de la Direction des Affaires Internationales et des Echanges (DAIE) en 1995. Une autre époque : Richard Descoings n’était pas encore directeur de Sciences Po, il n’y avait pas encore de Macs à la bibliothèque ni de panini savoyard servi par Barbara en cafét. Depuis, l’attractivité internationale de l’école a été complètement bouleversée, notamment grâce à la troisième année obligatoire à l’étranger, apparue au début du siècle. L’occasion d’évoquer les enjeux de cette 3A avec l’inamovible directeur de la DAIE M.Verillaud, qui fêtera bientôt ses vingt ans à ce poste.

Verillaud
Photographie : Amal Ibraymi.

Depuis votre arrivée à la DAIE, l’ouverture de Sciences Po sur l’international  a été complètement  bouleversée : quels sont les changements notables ?

Pour vous donner quelques chiffres, quand je suis arrivé, il y avait à Sciences Po 4000 étudiants et 500 étrangers. Aujourd’hui, on a 12 000 étudiants et 6000 étrangers. C’est une belle révolution.

Le fait que la moitié des élèves soient des internationaux est une manifestation très forte du caractère international de notre école. Les étrangers ne viennent pas ici qu’en échange : aujourd’hui, on vient à Sciences Po pour obtenir un diplôme d’une institution attractive sur le plan international. Nous sommes l’une des institutions universitaires françaises les plus attractives au monde.

Et puis la troisième année à l’étranger a été créée en 1999 et est devenue effective et obligatoire pour tous en 2000; une troisième année qui en dit long sur les perspectives internationales de notre établissement.

En quoi cette troisième année à l’étranger renforce l’attractivité de Sciences Po à l’international : l’institution en profite-t-elle autant que les étudiants ? 

Proposer à nos élèves cette troisième année à l’étranger implique de bâtir des échanges, de construire des partenariats : on a plus de 450 partenaires qui sont pratiquement les 450 meilleures universités du monde et qui forment les élites de leur pays. Avec cette 3A, on développe un maillage, un relationnel, qui construit l’excellence de Sciences Po depuis quinze ans.

Et puis, lorsque chaque année, on envoie des étudiants de troisième année à l’étranger, on envoie 1500 élèves qui sont 1500 ambassadeurs, les meilleurs ambassadeurs de Sciences Po. Et lorsque les élèves de nos établissements partenaires viennent à leur tour, ils se plaisent à Sciences Po, ils apprennent des choses, ils découvrent la France et l’Europe et quand ils rentrent chez eux, ils sont les meilleurs ambassadeurs de notre institution.

Cette 3A en dit par ailleurs long sur la stratégie de Sciences Po : nous n’avons pas vocation à créer de filiales à l’étranger mais au contraire, à faire confiance à des partenaires, à privilégier une attitude d’allié, de partenaire à égalité.

sciencespocolumbiaC’est aussi la démarche de nos doubles diplômes qui sont uniques au monde et qui sont conçus de telle sorte que Sciences Po et une autre université partagent leur cursus, valorisent et articulent leur cursus pour faire un seul programme. C’est par exemple le cas du double-diplôme de journalisme entre Columbia et Sciences Po qui apporte une reconnaissance mutuelle formidable aux deux institutions, il connecte Sciences Po  au monde du journalisme aux US et idem du côté européen.

L’an prochain, 83% des étudiants partiront en université contre seulement 16% en stage et moins de 1% en projet personnel :  l’université est-elle d’après-vous le meilleur choix pour sa 3A ? 

Lorsqu’on est élève du collège universitaire de Sciences Po, on n’a pas vocation à entrer sur le marché du travail. Le Master, lui, est professionnalisant mais pas le collège : dans le cadre des Masters, des stages sont prévus avec un semestre hors les murs et une année de césure, pour accroître l’insertion des étudiants sur le marché du travail.

Il est donc tout à fait suffisant de construire son insertion sur le marché du travail en master : ça n’est pas le cas au collège, et il n’est pas souhaitable que ce soit le cas. On n’apprend pas un métier au collège, mais on apprend à apprendre. On apprend à être soi-même, à se découvrir : on apprend tout ce qu’on ne pourra jamais faire après.

Dès lors, je crois que si on utilise sa 3A pour faire un stage, il faut que ce soit mûrement réfléchi. 16% est une proportion tout à fait suffisante. Ceux qui se sentent murs, ceux qui ont une idée précise de leur avenir, une idée claire, peuvent être motivés pour un stage de manière légitime  Par contre, concernant tous les autres élèves qui n’ont pas mûri de projet, ce serait très prématuré de faire un stage.

D’ailleurs, les entreprises veulent recruter des élèves spécialisés. Or, ça n’est pas le cas d’un étudiant du collège qui n’est pas du tout dans une logique de spécialisation.

Beaucoup d’étudiants rêvent d’aller en 3A à Harvard, au MIT, à Columbia ou à Berkley : quel est le profil qu’attend Sciences Po pour avoir cette opportunité ? Aux élèves de 1A qui souhaitent aller à Columbia, que leur diriez-vous pour maximiser leurs chances de réussite ? 

1527995_412846382193279_1286038296_n
Photographie : Amal Ibraymi

Avant tout, chacun doit chercher l’institution, le pays, la culture qui correspond à ce qu’il veut vraiment faire. Il faut faire abstraction de ces classements que l’on a dans la tête. Avant de viser Columbia, réfléchissez à ce que vous voulez vraiment faire, lisez des rapports. Dans certains domaines par exemple, il ne faut pas forcément viser Harvard ou Berkeley : en sciences sociales, c’est Wisconsin Madison qui est la meilleure université au monde.

En revanche, si on veut vraiment viser les meilleures universités américaines, il faut veiller à la qualité du dossier, du parcours académique ainsi qu’à la lettre qui va accompagner le dossier et qui a toute son importance.

Évidemment que pour viser les grandes universités, il faut de très bonnes notes : par exemple, à Princeton, il faut une mention très bien au bac. Mais ça ne suffit pas : il faut un vrai projet. La lettre de motivation peut faire la différence et permettre de compenser trois points d’écart de moyenne : il n’y a pas d’automatisme entre le classement et les affectations des étudiants.

Y-a-t-il toujours une sélection rigoureuse des partenaires SciencesPo pour assurer une bonne qualité d’enseignement ?  Certains témoignages de 3A, notamment sur La Péniche, laissaient penser le contraire…

En premier lieu, Sciences Po entretient des liens permanents avec ses partenaires, on parle avec nos homologues, on rend des comptes. Et puis il ne faut pas rejeter tout ce qui n’est pas du niveau de Berkeley ! Est-ce que l’on va refuser d’ouvrir des échanges en Afrique subsaharienne au prétexte que le niveau des universités n’est pas au niveau de Columbia ? Non, car ce qui compte c’est aussi l’expérience tirée de l’enseignement.

On apprend à comprendre la formation des étudiants dans un autre pays, comment sont formées les élites dans d’autres cultures : l’étudiant qui a témoigné pour La Péniche dont vous parlez a pu comprendre comment fonctionne la formation des journalistes argentins, et ça n’est pas inutile. C’est un autre monde, et la 3A est aussi là pour accepter ces autres mondes, il ne faut pas être purement productiviste

Avec votre connaissance des différents partenaires de Sciences Po et des enjeux internationaux, si aujourd’hui, vous étiez un deuxième année qui devait faire son choix d’affectation, où iriez vous ? 

J’irais en Chine. J’apprendrais le chinois et j’irais à Taiwan, à Hong-Kong ou en Chine continentale. Je profiterais certainement des nouveaux accords de Sciences Po à Nankin par exemple.

C’est là que se jouent beaucoup de choses pour l’avenir du monde : j’aimerais beaucoup apprendre le chinois. La Chine va devenir la première puissance mondiale et ne va pas régresser : le coût pour le monde de sa régression provoquerait une crise gigantesque. Aujourd’hui, la Chine n’est plus uniquement l’atelier du monde, elle est bien d’autres choses.

Ce serait aussi l’occasion de découvrir une autre culture, un autre rapport au monde, une autre civilisation. En Chine, on ne pense pas le rapport à l’espace, au temps, comme nous. La conception des choses est différente.

Pour tout vous dire, je ne me précipiterais pas aux USA car au fond, on retrouve à Sciences Po un mode d’apprentissage très occidental, des types d’approche qui ne diffèrent pas énormément des États-Unis.

Depuis une semaine, une action spontanée, indépendante de l’UNEF ou de l’UNI, fait beaucoup de bruit à Sciences Po chez les étudiants. Elle réclame que les étudiants en stage ne paient plus 100% des frais de scolarité pendant leur 3A : qu’avez-vous à leur répondre ? 

C’est une règle qui est mise en œuvre depuis longtemps en effet. Il faut savoir que les étudiants restent des étudiants de Sciences Po pendant cette troisième année et que pour mettre en œuvre ces stages, pour en assurer ce suivi, il y a des équipes qui sont mobilisées, il faut payer des personnes à Sciences Po Avenir à plein temps. 

2 Comments