Le Prix Philippe Seguin : la crème de l’éloquence

«Quand tu prends la parole, aie pitié de ceux qui t’écoutent !». L’amphi Boutmy est en ébullition ; Henri Lopès vient de résumer en un proverbe l’âme du Prix Philippe Seguin.

ppsfnl-hi-def.jpgCar rappelons-le, de la pitié, certains à SciencesPo en manquent cruellement ! Du triplettiste qui parvient – non sans un certain brio – à nous chloroformer dès la première slide de son powerpoint aux vitupérants syndicalistes auxquels seuls les premiers rangs accordent encore quelques coups d’oeil, du maître de conférence soporifique débitant son cours copyright universalis au fameux «merci, suivaaaaaaaaaaant !» d’une cafèt bondée, le monde germanoprantin semble manquer de grands orateurs capables de soulever et de transcender une jeunesse narcoleptique artificiellement gonflée par la pinte du Basile.

Pourtant, depuis 2010, le BDE et l’association Sciences Polémiques organisent conjointement le Prix Philippe Seguin pour les Arts Oratoires, concours d’éloquence qui constitue un moment incontournable dans la vie de l’institut parisien. Par leur humour, leur prestance, leurs références élégantes et leur répartie parfois impressionante d’aisance, les candidats ont ravi un public avide de jeux de mots, de piques saillantes et d’élancées lyriques et emphatiques. Le jury, loin d’être désarçonné par les private-jokes-pipistes et autres blagues salaces s’amusa à repousser les orateurs dans leurs derniers retranchements, au risque de faire peser sur l’assemblée un léger malaise ponctué par les bégaiements de la victime agonisante, suant à grosses gouttes et suppliant qu’on l’achevât. Peu importe, l’heure est à la fête, on rit de bon coeur, et on applaudit chaleureusement.

Mais l’essorage n’en est pas moins important : 148 le premier jour, les candidats ne sont plus que 16 pour la demi-finale, puis 6 à descendre les marches austères jusqu’au mythique amphithéâtre, rempli à craquer pour l’occasion : Raphaël Charpentier, Côme Dechery, Quentin Dreyfus, Grégoire Durand, Hélène Lemoine-Bugner et Ronan Maurel. Alors que résonnent encore les chants grégoriens de la campagne BDE, que se prépare dans une ambiance liturgique le pèlerinage de quelques jaunes et noirs dans une lointaine contrée, l’agitation gagne lentement les travées et les balcons de l’amphi Boutmy lorsque les éminents membres du jury prennent place au premier rang : Henri Lopès, Pierre Mazeaud (ancien président du conseil constitutionnel), Thierry Lévy, Bernard Pivot, Eugène Saccomano, Bernard Vatier, Pierre Séguin (fils de Philippe Seguin), Fabienne Servan Schreiber, Alexandre Adler, Jean Claude Le Grand, Pascal Pincemin et bien sûr Richard Descoings.

La grande finale, sur le thème des présidentielles commence. Pendant presque deux heures, les candidats haranguent la foule, la soulèvent et la transportent, en variant le ton et les figures de style, en scandant leurs grandes idées, débitant leurs paroles entre flots inintelligibles et nonchalance sonore. D’abord solennels, ils s’indignent, les bras grands ouverts avant de redonner à leur voix un timbre plus tranquille ; les applaudissements pleuvent ; mais malheur à celui qui s’égarerait dans les tréfonds obscurs de sa littérature, car le silence oppressant le tétaniserait sur le champ, et il ne récolterait en guise de bravos qu’un millier de moues dubitatives et dédaigneuses. concours d'éloquence La tension est à son comble ; après d’interminables discours plus ou moins élogieux, les membres du jury rendent leur verdict : troisièmes ex-aequo Hélène Lemoine-Bugner et Ronan Maurel, deuxième Grégoire Durand et premier Raphaël Charpentier. Cette récompense, comme nous le confiera ce dernier, est l’aboutissement d’un long parcours jonché d’obstacles, d’une participation au concours très incertaine au syndrome de la page blanche la veille de la finale, mais récompense méritée toutefois pour ce passionné des planches, qui rejoignit Sciences Polémiques à peine arrivé entre les murs de la rue saint Guillaume et qui s’adonna aux veillées oratoires (un brin sadomasochistes – mais mes lointaines humiliations n’ont rien à faire dans pareil papier) de Bertrand Périer et Antoine Vey qu’il tient à remercier sincèrement pour leur aide précieuse, leur franchise et leurs conseils avisés. Raphaël rappelle qu’il n’avait pas passé le premier tour l’année dernière – il ne faut pas désespérer ! – car c’est à force d’entrainements et de persévérance que l’on décroche le saint Graal, outre les cinq jours à Rome et le beau trophée réalisé par Bernar Venet, l’héritage de cinquante générations de grands orateurs qui ont fait la renommée de l’école.

« Quand tu prends la parole, aies pitié de ceux qui t’écoutent ». Lapéniche.net aujourd’hui prend pitié de vous, et vous rend, pour les plus studieux à l’introduction de vos mémoires et pour les un-peu-moins studieux aux commentaires oenoliques du CRIT et de la campagne BDE pour lesquels, en revanche, nous ne manquons pas d’orateurs.

3 Comments

  • lulu

    Peut-être que le caractère convenu des discours est dû au fait que le jury des sélections primait l’humour avant tout; moi je m’accroche à l’idée qu’on peut être éloquent en faisant passer des émotions qui ne sont pas nécessairement drôles, comme le pense sans doute Me Lévy.

  • Boutros Boutros-Ghali

    Le rédacteur de l’article s’est un peu trop appesanti sur l’éloquence en général pour pouvoir traiter réellement le sujet de l’article, c’est à dire le prix et les discours.
    Et il a oublié l’évènement marquant du prix : la grande bataille (de mots, mais tout de même) entre le vénérable avocat Thierry Lévy et notre cher directeur, concernant la superficialité de élèves et de l’Institut. Ainsi n’a pas été relatée la véritable honte que j’ai ressentie lorsque, applaudissant à tout rompre notre vénéré directeur, le public a confirmé ce que disait Me Levy : Sciences Po est très convenable et convenu, et ne sait rien faire d’original.
    Enfin, n’a pas été mentionnée non plus la remarquable prétention de M. Maurel, qui, rouge de colère en ne se voyant remettre que la troisième place (excusez du peu), a profité de son discours de remerciements pour invectiver l’avocat, qui – dois-je le rappeler?- est de 50 ans son ainé.