Le Grand Oral de Par Jupiter ! – Coup de foudre à Sciences Po
Ce soir n’est pas un soir comme les autres pour les élèves de Sciences Po : l’amphithéâtre Boutmy est plein. Ce soir, les salades de quinoa restent orphelines en vitrine de la cafet, les exemplaires de l’Humanité sont oubliés en Péniche, même le local de l’UNEF est devenu silencieux. Au milieu des élèves rassemblés, la tension est palpable, et les questions demeurent sans réponse : “Quel est l’avenir du service public?” ? “Guillaume Meurice est-il célibataire ?”
Un homme s’avance sur l’estrade. Cravate bleu foncée et cheveux gominés, il ouvre le Grand Oral par son discours introductif. Soudain, un cri s’élève depuis les coulisses. On reconnaîtrait cette voix entre mille : c’est celle de Guillaume Meurice, qui manifeste son impatience. C’est ainsi que nos invités du jour entrent en scène, le triumvirat le plus adulé à Sciences Po depuis le combo Malette en cuir-Mocassins-Machiavel : Charline Vanhoenacker, Alex Vizorek, et Guillaume Meurice. Ovation d’un public enchanté : face aux “gosses de riches” comme à la radio, ces trois là sont sans concession. D’une constante bonne humeur et d’une inaltérable spontanéité, tous trois sont comme des enfants qui se coupent la parole et n’attendent pas qu’on leur demande leur avis pour sortir la meilleure vanne possible. Un peu trop même, si bien que les orateurs de Sciences Polémiques semblent se demander s’ils réussiront à garder le contrôle de leur présentation. Mais c’est aussi ça que sont venus voir les étudiants présents en nombre: de l’impertinence, et des personnalités qui se fichent des règles de la maison.
Une émission d’emmerdeurs
“Le djihadisme ça fait de belles émissions », “Les gens sont fous de Moscovici”, “La dictature au Brésil, c’est frais”… Alex Vizorek, Guillaume Meurice et Charline Vanhoenacker ne sont pas les invités auxquels le Grand O nous a habitués. On note avant tout de la part du public un soutien historiquement haut et un ego historiquement bas : les sciences-pistes se sont montrés tout frétillants à l’idée de faire les frais des fameuses punchlines des humoristes. Et effectivement, il semblerait que l’émission Par Jupiter ! ait été transposée en Boutmy, et que c’est le public qui ait joué le rôle d’invité d’honneur, en en prenant pour son grade.
À invités spéciaux, procédures spéciales pour Sciences Polémiques : une fois n’est pas coutume, c’est un trio d’orateurs qui débute la joute. « C’est facile de taper sur les classes bourgeoises quand on est fils de cheminots, hein Guillaume ». Puis viennent les allusions au DUT en gestion des entreprises et des administrations de l’humoriste, où reproduisant l’exemple paternel il “prenait beaucoup de rails.” L’attaque suivante est pour Vizorek, à propos de son spectacle “Alex Vizorek est une oeuvre d’art”. Un nom étonnant “pour quelqu’un qui a un visage si peu symétrique !”. Charline Vanhoenacker quant à elle semble échapper à l’acharnement des orateurs. “Vous êtes l’étoile angulaire de la galaxie jupitérienne”. Mais Guillaume Meurice, fidèle à lui-même, s’empresse de remettre la balle au centre : « C’est beau, ça. Ça veut rien dire, on voit qu’on est à Sciences Po ».
Les chroniqueuses se succèdent : Capucine Delattre avec la revue de presse de La Péniche, Noure Fredj et Ysé Vennemani pour l’Interview Politique de Sciences Po TV, puis Manon de Cabarrus pour la chronique « Disruption ». Plus tard dans la soirée, c’est au tour de la triade de France Inter de jouer un sketch en reconstituant une rentrée solennelle par un mois de septembre 1998. « Sciences Po, c’est avant tout l’humain » grince Alex Vizorek avec la voix de Richards Descoings. Guillaume Meurice achève de faire rire la salle : « Vous êtes peut-être les futurs Présidents de la République, essayez de rester toujours aussi cons ».
On craignait pour les étudiants chargés de mener la soirée. Et pour cause, le trio infernal de France Inter ressemble plus aux cancres intenables du fond de la classe qu’aux ministres disciplinés, mais finalement, sur les ondes comme sur l’estrade, les attaques personnelles de l’équipe ne riment jamais avec agressivité ou vulgarité, et la soirée se déroule entre éclats de rire et boutades bienveillantes.
Il faut de tout pour faire un monde
Entre une demi-douzaine de punchlines, le trio se confie sur le quotidien du journalisme et leur usage de l’humour. Les deux Belges, à défaut de savoir expliquer leur système politique, observent la politique française qui leur paraît plus élitiste et plus sacralisée. A la question “C’est quoi la Belgian Touch?”, la Belge explique: « C’est la prise de recul. On a une grille de lecture différente« . Le sujet du traitement des événements dramatiques par les humoristes est rapidement évoqué lors de l’interview politique. “Si on était Brésiliens, on ne pourrait sûrement même plus faire ce qu’on fait là” note Alex Vizorek.
Les trois complices répondent aussi aux critiques et notamment à ceux qui les accusent de se prétendre subversifs. Vizorek, lui, déclare “[ne faire] que ce qui [le] fait rigoler”. Meurice renchérit : “On a même créé un escape game de la Macronie« . Est-ce au détriment du message? Non, il ne s’agit pas de se prendre au sérieux. Charline Vanhoenacker a une vision un peu différente puisqu’elle choisit généralement son message avant de chercher à faire rire. De même, sur le financement du journalisme, la position du trio n’est pas uniforme. Vizorek se sent prêt à “accepter l’argent” tant qu’il garde sa liberté de parole, à la différence de Guillaume Meurice, qui refuse tout sponsor d’un groupe dont il ne partage pas les valeurs.
Le public est conquis, mais il s’agirait de ne pas rester trop sérieux trop longtemps. À la demande d’un étudiant, les voici qui se mettent donc à chanter l’Internationale en Boutmy, suivi par une partie de l’assemblée. Et Alex Vizorek de lancer : “Et donc pour les autres : ‘Maréchaaaal…«
C’est dans un appel général à aller boire une bière que ce Grand Oral pas comme les autres s’est terminé. Si la mauvaise nouvelle de la soirée est que non, Guillaume Meurice n’est pas célibataire, la bonne reste qu’il est possible de devenir célèbre sans se prendre au sérieux, que le journalisme n’est pas qu’une affaire de grandes écoles et de beaux diplômes, et que même si tu n’es pas drôle, “être gênant ça fait partie du truc”. Entre les cours d’économie et de politique comparée donc, l’amphithéâtre Boutmy aura ainsi hébergé pendant deux heures un cours magistral sur l’humour, magistralement simple et beaucoup trop court.
Alice Bergoënd, Astrid-Edda Caux et Aude Dejaifve