La chronique sonore du Mag

Pour sa première revue de l’année 2013, les rédacteurs du Mag mettent à l’honneur Paul Kalkbrenner, dont l’album sorti en fin d’année donne lieu à d’enthousiasmants concerts-marathons, ainsi qu’à l’attendu Woodkid qui sort (enfin) son premier album.

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Paul Kalkbrenner, Das Gezebel, Paul Kalkbrenner Musik // Techno de masse

Lorsqu’il annonce aux alentours de septembre 2012 la sortie de son prochain
album accompagnée d’ une tournée européenne, tous les fans de musique électronique se sont réveillés. On ne présente plus Paul Kalkbrenner, musicien charismatique qui nous a tous transportés avec la bande originale du film « Berlin Calling » et notamment le désormais culte « Sky and Sand ».

Ainsi, les attentes pour ce nouvel album étaient grandes. Et nous ne sommes pas déçus. Au contraire, les nouveaux sons que Paul K fait parvenir à nos oreilles plaisent tout en étant relativement différents de ce à quoi on aurait pu s’attendre. Les titres jouent sur une forte basse, sont plus toniques, plus emballants mais toujours aussi prenants. On pense notamment au morceau « Das Gezabel », déjà culte, qui nous transporte progressivement dans le rythme, jusqu’au moment où les mélodies se combinent pour finalement exploser toutes ensemble et faire ressortir un son énergique. Même si l’on peut reprocher à Paul K la brièveté de certains titres et un petit manque d’unité, son album demeure magnifiquement orchestré et livre des mélodies qui se déchaînent et nous ravissent.

La réussite de ce nouvel opus établi, il restait à savoir si notre fameux Paul Kalkbrenner allait pouvoir assumer son statut, sa popularité et son talent lors du concert donné au Zénith le 2 mars. Et là encore, quelle claque, quel bonheur ! Improvisant, rallongeant chaque morceau tout en effectuant des transitions parfaites, notre bien aimé Paul Kalkbrenner a livré une prestation de haut vol. Complice avec le public, impliqué dans chaque détail mélodique –ceci étant notamment visible par des grimaces sur scène dont lui seul à le secret-, il a mixé pendant près de 2h40, quasiment sans interruption. Le plaisir qu’il a procuré a largement été rendu par une foule en délire, scandant son nom, dansant, criant, le rappelant, certains allant même à se dénuder pour ses beaux yeux. Voyant le bonheur de ses fans qui en demandaient toujours plus, Paul K est revenu quatre fois sur scène, interprétant d’anciens titres tels que « Sky and Sand », « La mezcla » ou encore « Aron » avant finalement s’échapper, certainement fatigué par ce magnifique concert.


En qualité certes déplorable, un aperçu de l’ambiance au concert du 2 Mars.

Vous l’avez compris, ce nouvel album de Paul K est à écouter absolument. Devenu un DJ incontournable, Paul K s’apprécie chez soi, en soirée mais aussi et surtout en live.

Elie de Gourcuff

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Woodkid, The Golden Age, Green United Music // « Album-concept » ?

L’enfant de bois a frappé. Attendu, scruté, le bougre ne déçoit pas avec ce nouvel album – The Golden Age – qui succède à un premier EP, mise en bouche loin de nous avoir rassasiés. Pourtant, Woodkid alias Yoann Lemoine divise : artiste génial et polyvalent pour certains, opportuniste pour d’autres, qui a raison ?

Se pencher sur le cas de Woodkid dépasse le cadre d’une banale critique musicale : graphiste, réalisateur de clips avant d’être musicien, il est un faiseur d’esthétique au sens le plus brut. Révélé par ses collaborations avec les plus grands – Katy Perry (Teenage Dream), Lana del Rey (Born to die), Drake et Rihanna (Take Care), ou encore la très stimulante Nolwenn Leroy (Faut-il, faut-il pas ?), Lemoine cultive des visuels toujours très propres et a sans aucun doute contribué à faire du clip un élément à part entière de l’art musical. Bien sûr, les gardiens du temple de la hype pourraient lui reprocher ces collaborations, l’accuser de prostituer son talent, de se livrer à l’ennemi en quelque sorte… Mais dans une période où les genres se décloisonnent, où Jay-Z sample en toute impunité Véronique Sanson, où tout est permis somme toute, Woodkid rêve légitimement de grandiose, d’un grandiose à lui.

La mutation de Lemoine en Woodkid s’opère à travers une stratégie de communication parfaitement ficelée, les titres sont livrés au compte-goutte, indissociables des clips qui les accompagnent. Devenu artiste pour lui-même, Woodkid ne fait pas les choses à moitié, nous abreuve d’une esthétique en noir et blanc aux accents fantastiques. Sans jamais se mettre en avant, il frôle les vingt millions de vues sur Youtube avec le clip d' »Iron » qui mêle hiboux, tatouages et chevaliers. « Run Boy Run », puis récemment « I Love You » suivent avec la même dimension prophétique, quasi-biblique : on y croise d’immenses temples, des volatiles, des créatures végétales, des enfants en culotte courte, des paysages hyperboliques, des regards perdus et des peaux ridés. Un univers qui rappelle Tolkien, des images qui se succèdent avec toujours en écho la dualité entre un monde adulte corrompu et des rêves d’enfants qui déjà s’effondrent, l’œuvre de Woodkid est en ce sens bien totale. On en vient même à se demander si ces quasi courts-métrages illustrent la musique, ou si c’est l’inverse qui se produit.

Qu’en est-il alors du tant attendu nouvel album, The Golden Age ? Sans surprise, Woodkid livre un objet très propre, où son grain de voix si particulier côtoie des orchestrations grandiloquentes. Cuivres, cordes, timbales en berne, Woodkid sort le grand jeu. Avec une ambition et une démesure qui peuvent agacer, mais explicitement assumées, l’album vogue entre mélodies romantiques et retentissements chevaleresques. « The Golden Age », titre magnifique qui ouvre l’album (du même nom) prédit un déclin irrémédiable et nous fait craindre une dégringolade de suppliques et de larmes mais Woodkid nous rassure par la suite. Des passages presque militaires (« The Other Side », qui clôt l’album), d’autres plus larmoyants, les titres s’enchaînent avec cohérence, même si ce sont les « tubes » déjà connus qui nous restent en tête.

Alors oui, Woodkid est ambitieux. Ambitieux sans prendre de risque inconsidéré mais en sculptant un univers personnel, il assume le côté prétentieux de son art. La recette fonctionne, et il parvient (jusqu’à quand ?) à ne pas lasser son auditoire. Un fabulateur qui a choisi le grandiose dans une France normale, qui raconte des épopées lyriques à une génération que l’on dit apathique, et reste méconnu malgré sa très grande popularité sur le net, voilà qui intrigue.

Shakespeare écrivait que l’ambition n’était que « l’ombre d’un rêve » : on espère pour Woodkid que le sien se prolongera.

Jusque là en écoute gratuite sur l’iTunes Store, l’album de Woodkid, produit par les excellents The Shoes, sort officiellement ce lundi 18 mars.

Clément Lo Hine Tong

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