«Juré n°2», «Miséricorde», «The Substance», «Here – Les plus belles années de notre vie» : le Smash ou Pass Cinéma #4
Chaque week-end, en partenariat avec le ciné-club 27 Millimètres, La Péniche vous donne son avis sur les films à voir en salle. Cette semaine, Juré n°2 de Clint Eastwood, Miséricorde d’Alain Guiraudie, The Substance de Coralie Fargeat et Here – Les plus belles années de notre vie de Robert Zemeckis. Alors smash ou pass ?
Auteurs: Agathe Bernard-Bacot, Eliott Offenstadt, Anne-Sophie Neyrat
Juré n°2 , de Clint Eastwood, par Agathe Bernard-Bacot
Après Anatomie d’une chute (2023) et Le Procès Goldman (2023), l’univers judiciaire est très à la mode.
Justin Kempf (Nicholas Hoult) a tout pour être heureux : une femme qu’il aime et un enfant qu’elle s’apprête à mettre au monde… Tout bascule lorsqu’il apprend qu’il est sélectionné comme juré.
Arrivé au procès, il se rend compte avec stupéfaction qu’il est impliqué au cœur du crime. Il se retrouve alors confronté à un grave dilemme : la sincérité (pour sauver un coupable en réalité innocent) ou le mutisme (pour éviter la prison à perpétuité) ? L’acquittement sur la base du “doute raisonnable” est manipulé par des intérêts personnels dissimulés.
Je vous rassure, ceci n’est pas un spoiler. Le parti pris de Clint Eastwood n’est pas de raconter linéairement une histoire mais de jouer sur la torture psychologique qui hante le personnage Justin Kempf.
La vie d’un homme est en jeu et pourtant les jurés montrent une conscience civique vacillante, un avis influençable, voulant à tout prix en finir avec le procès le plus tôt possible pour rentrer chez eux.
Par un clin d’œil à Douze Homme en colère, le réalisateur nous fait entrer dans le huis-clos confidentiel de la salle des jurés propice à la découverte de la vérité. Pourtant, parfois il vaut mieux ne pas la connaître… Rien n’est exagéré, le décor épuré laisse place au cas de conscience écartelant et au jeu d’acteur fin de Nicholas Hoult.
Alors Smash !!
Film américain de Clint Eastwood (2024). Avec Nicholas Hoult, Toni Collette, Zoey Deutch (1h54). Sortie le 30 octobre 2024.
Miséricorde, d’Alain Guiraudie, par Eliott Offenstadt
Jérémie (Félix Kysyl), à la dérive, sans emploi et en train de rompre avec sa fiancée, revient dans le village où il a semble t’il vécu dans son enfance à la mort du père d’un ami à lui qui était boulanger. Vivant chez la veuve, il retrouve autour de lui un nombre restreint de personnages, la mère (Catherine Frot), le fils (Jean-Baptiste Durand), le voisin bourru (David Ayala) et l’abbé (Jacques Develay). Et il décide de rester sans que personne ne sache pourquoi.
La thèse du réalisateur est que le désir est partout, dans un sens ou dans un autre, réciproque ou non, ou bien sans que l’on sache très bien. Du Monde à Télérama, c’est avec Théorème (1968) de Pasolini que Miséricorde est comparé. Un visiteur vient bouleverser un monde. Dans Théorème, c’est la maison bourgeoise, de la bonne au père de famille. Dans Miséricorde, c’est un village du sud-ouest de la France, de la mère de famille à l’abbé.
L’autre cinéaste à qui l’on peut comparer Guiraudie, c’est Bunuel. Les personnages ont leur propre partition sans vraiment tenir compte des autres, comme dans Le charme discret de la bourgeoisie, et il y a ce côté burlesque. Chez Guiraudie, des visiteurs nocturnes rendent visite à Jérémie, donnant au film cet aspect burlesque.
Mais tout le charme (indiscret) de Pasolini et de Bunuel, c’était qu’ils faisaient des films de gauche contre la bourgeoisie. Et le désir ou les apparitions soudaines étaient un moyen de les critiquer, d’aller contre les faux semblants. Vous vous noyez dans les faux semblants ? Cet inconnu sera à l’origine d’un vrai drame familial défend Pasolini. Vous jouez un jeu social ? Alors vous voilà sur un théâtre clame Bunuel dans Le charme discret de la bourgeoisie (1972).
Guiraudie traite quant-à-lui le désir pour le désir, joue avec la présence des acteurs, sans qu’on ne comprenne vraiment pourquoi.
Alors Pass.
Film français d’Alain Guiraudie (2024). Avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jean-Baptiste Durand (1h43). Sortie le 16 octobre 2024.
The Substance, de Coralie Fargeat, par Anne-Sophie Neyra
The Substance est facilement le film le plus puissant de cette année. Elizabeth Sparkle (Demi Moore), icône de fitness télévisée, énergique et enveloppée de paillettes se fait renvoyer de son travail le jour de son 50ème anniversaire. Son boss (Denis Quaid) lui explique qu’elle a « passé l’âge ».
Moore reçoit ensuite une invitation mystérieuse :
AVEZ-VOUS DÉJÀ RÊVÉ D’UNE MEILLEURE VERSION DE VOUS-MÊME ?
Vous devriez essayer ce nouveau produit : The Substance
CELA A CHANGÉ MA VIE.
Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite…
Il suffit de partager le temps.
Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre.
Un équilibre parfait de sept jours.
Facile n’est-ce pas ?
Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?
La version que Moore génère grâce à The Substance s’appelle Sue (Margaret Qualley). Sue a tout ce que Moore avait mais n’a plus – un corps parfait, une peau sans ride, une innocence, un sourire…
The Substance ne se contente pas de nous inviter à réfléchir aux attentes de la société envers les femmes, à leur rapport à elles-mêmes, aux hommes, ou encore à l’industrie du divertissement. The Substance nous projette ces réalités en pleine face, dans un tourbillon oppressant qui ne laisse aucune échappatoire.
Conseil : ne pas manger avant.
Donc, SMASH
Film franco-américain de Coralie Fargeat (2024). Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid (2h21). Sortie le 6 novembre 2024.
Here – Les plus belles années de notre vie, de Robert Zemeckis, par Eliott Offenstadt
L’homme de Retour vers le futur (1985) et de Forrest Gump (1994) sort encore un film tous les deux ans. Le dernier a avoir marqué les esprits est Alliés (2016)
Cette fois, Zemeckis sort un film à concept. Un plan fixe (du moins pendant la quasi-intégralité du film) qui nous emmène dans le salon de la maison-témoin de l’American dream, en nous montrant tous ceux qui ont occupé les lieux. Donc, des dinosaures, des Indiens d’Amérique, et des couples tout au long des XXe et XXIe siècles.
Ce ne sont pas toujours les bons concepts qui font les bons films. Le film enfonce des portes ouvertes et ces portes ouvertes enfoncées sont des plus inesthétiques.
À chaque époque son cliché. Le vétéran loser. Le vétéran ivrogne. La femme qui veut s’émanciper mais qui n’y arrive pas. La femme qui veut s’émanciper et qui y parvient. La famille afro-américaine limitée à son expérience des dangers liés au racisme de la police. Les Indiens d’Amérique remis à leur place dans l’histoire. Aucun sens du tragique pour les situations tragiques et aucun sens du comique pour les situations comiques.
Et avec cela, une esthétique affligeante que l’on doit à l’intelligence artificielle. Cette dernière nous permet par exemple de voir Tom Hanks plus jeune. Le réalisateur avait un des meilleurs acteurs d’Hollywood sous le coude, et à la place de le faire jouer tout seul – il est en tout à fait capable, je ne m’en fais pas du tout pour sa palette de jeu – on lui adjoint l’intelligence artificielle. Que dire…
Autant dire qu’on reste totalement impassible devant l’écran, et éventuellement on rêve à prendre la Delorean de Retour vers le futur, remonter au début de la séance, et de retourner chez soi revoir une dixième fois Forrest Gump.
Alors, Pass.
Film américain de Robert Zemeckis (2024). Avec Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany (1h44). Sortie le 6 novembre 2024.
À la semaine prochaine pour un smash ou pass particulièrement éclectique.
Et pour les retardataires, le lien vers le Smash ou Pass #3.