Interview : Edith Chabre, responsable du Master Carrières Judiciaires et Juridiques, et Isabelle Aubin, étudiante

Si vous êtes empreint d’un esprit de justice, rêvez de défendre la veuve et l’orphelin et n’êtes pas attiré par les sirènes rémunératrices du master Droit Eco… alors le master CJJ est fait pour vous.

  • LaPéniche.net : Quel est l’objectif du master Carrières Judiciaires et Juridiques (CJJ) et à qui s’adresse-t-il ?

Edith Chabre : Il s’agit de donner aux étudiants suffisamment de bases de droit pour pouvoir exercer des métiers tels que magistrats de l’ordre judiciaire, avocat civiliste ou pénaliste, commissaire de police ou officier de gendarmerie. Ils peuvent ainsi se présenter aux concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature, de commissaire de police et officier de gendarmerie, ou à l’examen d’entrée au Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA).

  • LaPéniche.net : Quel est le contenu de ce master et qui en sont les enseignants ?

Edith Chabre : Le master CJJ est dirigé par Dany Cohen, et les enseignants sont pour la plupart de jeunes magistrats, des avocats, membres du Conseil d’Etat ou professeurs de droit. Le master est composé de quatre semestres dont un semestre de stage obligatoire. Les matières enseignées sont variées et constituent les bases de tout approfondissement en matière juridique, comme le droit des obligations, droit des personnes et droit des biens, droit de la famille, droit pénal, droit procédural… (cf. maquette pédagogique)

  • LaPéniche.net : A qui s’adresse le master CJJ? Existe-t-il une sélection à l’entrée ?

Edith Chabre : Le master s’adresse à tous les étudiants intéressés, qu’ils aient fait du droit auparavant ou non. Il existe un cycle préparatoire (commun à celui du master Droit Economique), obligatoire pour les élève n’ayant jamais fait de droit. En trois semaines et 45 heures il leur permet de rattraper les connaissances fondamentales nécessaires à l’enseignement en master de droit, soit les fondements de l’organisation judiciaire, les sources du droit… Le cycle préparatoire n’est pas obligatoire pour les élèves issus de premier cycle ayant déjà fait du droit.

  • LaPéniche.net : Combien d’étudiants suivent-ils actuellement le master CJJ ?

Edith Chabre: En première année (M1) ils sont actuellement 24, en seconde année (M2) ils sont 20. C’est un master qui est traditionnellement assez restreint, ce qui est plutôt un avantage puisqu’il prépare à des concours extrêmement sélectifs, et n’a pas vocation à changer.
Sur les 24 étudiants en M1, 6 viennent de la procédure d’admission en master, dont plusieurs n’ayant jamais étudié de droit.

LaPéniche.net : Quels sont les résultats et débouchés de ce master ?

Edith Chabre : Le master CJJ est un master qui a de très bons résultats. L’année dernière, sur 139 places à l’ENM, 19 admis venaient de Sciences Po, dont 3 qui ont réussi le concours directement à la sortie du master, 11 qui ont suivi une prépa après le master CJJ, et 5 qui provenaient d’autres masters. C’est un master très exigeant, qui se rapproche de la formation classique des facultés de droit tout en gardant certains aspects professionnalisant.


Interview d’Isabelle Aubin, étudiante en Master Carrières Judiciaires et Juridiques

  • LaPéniche.net : Quel a été ton parcours avant d’intégrer le master CJJ?

Isabelle : Je suis entrée à Sciences Po en 2ème année, après une classe préparatoire littéraire. En rentrant de mon année à l’étranger, j’ai fait le choix du master Affaires Publiques, ne sachant pas très bien vers quel master m’orienter. En ce sens mon parcours est assez atypique par rapport à celui d’autres étudiants du master CJJ. Rapidement, j’ai senti que je n’avais pas ma place en Affaires Publiques : à titre d’exemple, mon cours d’introduction au droit pénal était celui qui me passionnait le plus ! Du coup, j’ai demandé un changement de master vers le master CJJ, car le droit avait toujours suscité mon intérêt. Ce changement m’a été accordé par l’administration de Sciences Po, et c’est ainsi que les portes du master CJJ m’ont été ouvertes.

  • LaPéniche.net : As-tu participé au Cycle Préparatoire? Si oui penses-tu qu’il a été suffisant pour les étudiants n’ayant jamais fait de Droit auparavant? Sinon as-tu eu des échos sur celui-ci?

Isabelle : Du fait de mon parcours un peu spécial, je n’ai pas pu participer au Cycle Préparatoire, puisque j’ai intégré le master CJJ en cours d’année. Toutefois, au regard des échos que j’ai pu avoir et de ce que je constate au sein du master, je pense que le Cycle Préparatoire est largement suffisant pour les étudiants n’ayant jamais fait de droit auparavant. Je pense d’ailleurs que Sciences Po prépare de plus en plus ses étudiants de premier cycle à la perspective du master CJJ, en proposant par exemple en deuxième année des cours d’introduction au droit civil. Quoi qu’il en soit, il est vrai que le master CJJ constitue en soi un changement radical par rapport au droit tel que nous avons pu l’étudier en premier cycle. Nos conférences sont presque toutes des conférences de droit, il faut donc aimer ça…

  • LaPéniche.net : Comment s’organise la scolarité au sein de ton master?

Isabelle : Le master CJJ se divise en 4 semestres, comme tous les masters de Sciences Po. La 4ème année est une année très lourde, puisque c’est au cours de cette année qu’il nous faut acquérir et maîtriser les connaissances fondamentales du droit civil qui nous seront si précieuses dans la préparation des concours, sans oublier les quelques notions tout aussi essentielles de procédure (procédure civile et pénale). Ceci est d’autant plus difficile à gérer qu’en plus de ces nombreuses matières à travailler, il faut compter les troncs communs et les langues, ce qui se traduit par de nombreux galops (6 au 1er semestre) et de nombreux examens à la fin de ce semestre (8 au 1er semestre) ! Quant à la deuxième année, elle commence par 6 mois de stage, que les étudiants font généralement en juridiction ou en cabinet d’avocats (mais pas uniquement). Quant au deuxième semestre, il apporte quelques compléments par rapport aux enseignements de première année, mais il est globalement moins exigeant au niveau de la charge de travail, ce qui s’explique par le fait que beaucoup d’élèves du master CJJ préparent à ce moment le concours de l’ENM ou le Barreau.

  • LaPéniche.net : Quelles matières sont étudiées et que penses-tu de ces enseignements?

Isabelle : Puisque nous sommes censés être prêts pour les différents concours qui sont ouverts à nous (ENM, CRFPA, commissaire de police, officier de gendarmerie, administration pénitentiaire), la 4ème année est là pour nous préparer aux diverses épreuves de ces concours : droit civil (droit de la famille, droit des biens, droit des obligations, droit des personnes, preuve, prescription et régime des obligations), procédure (civile et pénale), droit communautaire et européen, droit pénal général et droit public. La 5ème année vient quant à elle compléter ces enseignements purement juridiques en y ajoutant du droit du travail, du droit pénal spécial et du droit public approfondi. Nous avons également accès à des matières qui visent à enrichir notre culture juridique et à nous faire réfléchir sur des thèmes d’actualité en rapport avec le droit : grands débats juridiques, libertés publiques et droits fondamentaux, grands enjeux de la justice, sans oublier les électifs qui nous sont proposés et qui traitent tous de sujets extrêmement intéressants (prisons françaises et étrangères, histoire et actualité du procès…). D’une manière générale, ces enseignements ont tous une utilité dans notre parcours, d’autant plus que nos professeurs sont, pour la plupart d’entre eux, des praticiens (magistrats, avocats), ils sont donc à même de nous aider au-delà d’un strict plan académique.
Certaines matières pourraient en revanche être renforcées au niveau des horaires (je pense par exemple au droit civil, qui est une branche du droit tellement large), d’autant plus que l’organisation des séances façon Sciences Po (avec des exposés à chaque cours) ne se prête peut être pas totalement aux exigences des concours que nous préparons. En effet, pour certaines matières, je pense que nous aurions beaucoup à gagner si les conférences étaient organisées sous la forme de cours magistraux. Il faut savoir que nous faisons parfois en 28h ce que les étudiants des facultés de droit font en 280h… autant dire que la tâche à accomplir est immense, ce qui se ressent bien évidemment au niveau de la charge de travail !
Enfin, je dirais que notre master ne cesse d’évoluer : de nouveaux enseignements ont été ajoutés cette année, comme par exemple les conférences d’actualité législative et jurisprudentielle de 5ème année, la conférence de théorie du droit civil (4ème année) ou l’indispensable enseignement de preuve, prescription et régime des obligations.

  • LaPéniche.net : Devez-vous présenter un projet collectif, si oui quelle forme celui-ci prend-il?

Isabelle : Un projet collectif est bien sûr obligatoire pour les étudiants du master CJJ. Du fait de mon parcours, j’ai réussi à valider le projet collectif que j’avais fait lors de mon passage au sein du master Affaires Publiques. Ce que je peux dire néanmoins, c’est que le projet collectif du master CJJ doit avoir un rapport avec le monde judiciaire ou un aspect juridique. A titre d’exemple, certains élèves de 4ème année préparent actuellement des projets en collaboration avec le Centre d’histoire de Sciences Po sur l’évolution du métier de juge de l’application des peines et du sens de la peine. D’autres sont en train de constituer des dossiers de presse sur des établissements pénitentiaires afin d’interroger des directeurs de prison et des psychiatres intervenant en milieu carcéral, de façon à se pencher sur leur parcours personnel, et ce dans une perspective historique.

  • LaPéniche.net : Trouvez-vous facilement des stages? Le contact quotidien avec des professionnels qui enseignent à Sciences Po est-il déterminant pour la recherche de ces stages?

Isabelle : Je pense que nous sommes effectivement assez favorisés par le fait que nos enseignants sont pour la plupart des professionnels intervenant dans le monde judiciaire. Certains de nos professeurs sont en effet assez disponibles pour nous aider à trouver des stages. En revanche, je n’irais pas jusqu’à dire que ce contact quotidien avec des professionnels est déterminant. Beaucoup d’élèves trouvent des stages par eux-mêmes assez facilement, en faisant des candidatures spontanées auprès des juridictions ou des cabinets d’avocats. J’avais pour ma part fait une candidature spontanée au Ministère de la Justice pour travailler à la Direction de l’Administration Pénitentiaire, qui a été acceptée sans trop de difficultés.

  • LaPéniche.net : Que penses-tu de la position de ce master par rapport à l’offre formative plus classique dispensée par des facultés de droit?

Isabelle : Nous avons incontestablement une valeur ajoutée par rapport à la formation dispensée dans les facultés de droit : une formation pluridisciplinaire, pour laquelle Sciences Po est réputée. Je pense notamment à ceux qui sont issus du premier cycle et qui ont pu y suivre des enseignements très diversifiés, sans oublier la valeur ajoutée non négligeable des troncs communs qui nous sont offerts en master. Toutefois, je n’ai pour ma part jamais mis les pieds dans une faculté de droit donc je ne permettrais pas de porter un jugement sur l’enseignement qui y est dispensé. Une chose est sûre : Sciences Po parvient chaque année à faire entrer un nombre important de ses élèves à l’Ecole Nationale de la Magistrature notamment. A titre d’exemple, au sein de la promo 2007 un élève est entré à l’Ecole Nationale Supérieure de Police et 11 élèves à l’Ecole Nationale de la Magistrature. C’est bien la preuve que ce master fonctionne ! Ce que je « regrette » toutefois un peu, c’est encore une fois la vitesse avec laquelle nous devons accumuler les connaissances : nous devons faire en 2 ans (voire 1 an et demi, si l’on ne compte pas les 6 mois de stage) ce que les étudiants de facultés de droit font en 4 ans.

LaPéniche.net : Quelle est l’ambiance générale de ce master?

Isabelle : Dans la mesure où nous sommes un petit master (environ 25 élèves), je dois dire que l’ambiance est assez différente que celle que nous avons pu connaître auparavant ! Comme nous suivons tous nos cours ensemble, que nous n’avons pas vraiment de cours magistraux (en raison de notre petit nombre) et que nous nous voyons tous les jours, l’ambiance au sein du master est vraiment très agréable. Nous sommes assez soudés, et en résumé je dirais que les CJJ aiment organiser des petites soirées entre eux, s’entraider, et manger des crêpes ensemble !… Il faut savoir des fois mettre son code civil de côté et se détendre…

LaPéniche.net : Y a-t-il une forme de sélection au sein de ce master restreint?

Isabelle : Je ne pense pas qu’il y ait une sélection, dans la mesure où le master est encore assez peu connu, même s’il tend à prendre de l’importance. Je sais seulement que les personnes du master qui sont entrées à Sciences Po à Bac +3 ont, pour la plupart, déjà fait du droit auparavant, mais je suis bien incapable de vous donner les critères que retient le jury d’entrée !

LaPéniche.net: Certains étudiants poursuivent-ils des formations parallèles?

Isabelle : Très honnêtement, je connais assez peu d’étudiants qui arrivent à gérer le master CJJ avec une formation parallèle. Encore une fois, la charge de travail de ce master est assez importante et demande par conséquent pas mal de temps. Cependant, quelques personnes suivent à côté des cours à la fac (cours de droit, mais pas uniquement) ou travaillent comme assistants de justice.

Merci à Edith Chabre et Isabelle Aubain pour avoir répondu à LaPéniche.


Retrouvez les interviews de Pierre Charpentier, président de l’association du Master Affaires Publiques, d’E. Baldini & de L. Robert pour le Master Finance & Stratégie, de Laurent Bigorgne à propos du réaménagement des Masters à Sciences Po , de Cécile Leclair et d’une étudiante pour le Master Stratégies Territoriales et Urbaines, d’Edith Chabre, responsable du master Droit Economique et enfin le Compte Rendu de la réunion sur le Double Diplôme HEC-Sciences Po.

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