Happy Birthday Mrs. Makropoulos

C’est l’événement de cette saison à l’opéra de Paris : L’affaire Makropoulos, de Leos Janacek, mis en scène par Krzysztof Warlikovski. Gérard Mortier tient ici son pari de remettre sur le devant de la scène l’opéra du XXème siècle. En sortant de Bastille, on ne peut que s’en réjouir, et souhaiter que d’autres, et ses successeurs les premiers, l’imitent.

L’Affaire Makropoulos, opéra écrit en 1926, est ici mis dans une perspective moderne mais toutefois quasi-intemporelle, tant l’on se retrouve dans les années 1920 avec le livret, dans les années 1950 avec les références multiples à Marilyn Monroe, mais également aujourd’hui même, par l’utilisation d’accessoires contemporains. Quoi de mieux pour un livret ayant pour trame la recherche de la vie éternelle. Les décors sont donc somptueux et massifs, utilisant au mieux les possibilités offertes par les dégagements latéraux de Bastille, tout en ne laissant pas le grandiose l’emporter sur un sens aigu de l’esthétique. Ainsi, l’apparition en fond de scène d’Emilia Marty dans la main d’un King Kong gigantesque n’a pu que nous émouvoir, tout comme l’idée géniale de Warlikovski de diffuser, pendant l’ouverture et les entractes, des extraits de l’inoubliable Sunset Boulevard, de Billy Wilder.

Il faut noter également une direction d’acteurs de première qualité, avec notamment une présence remarquable d’Angela Denoke et Charles Workman, tous deux très touchants. Il faut dire que ceux-ci font également dans cette œuvre une performance vocale remarquable, servie il est vrai par un Orchestre de l’Opéra de Paris toujours irréprochable. Il est pour la première fois sous la direction de Tomas Hanus ; sa performance et son inspiration ici nous font espérer le revoir bientôt dans la fosse de Bastille. Les autres interprètes ne sont pas en reste : on saluera ici la mezzo Karine Deshayes, qui nous enchante tant par sa voix que par sa présence scénique, mais aussi Vincent Le Texier, local de l’étape, qui campe un Jaroslav Prus rude voire primitif.

Le thème, vieux comme le monde, de la recherche de longévité est ici traité avec un certain humour. Le livret, bien qu’adapté d’une comédie, a pourtant plus des allures de tragédie. Les acteurs-chanteurs (on ne s’y retrouve plus) et la mise en scène parviennent à donner à l’opéra de Janacek une dimension plus ironique. Cette mise en scène est l’œuvre de Krysztof Warlikovski, celui-là même qui, l’an dernier, au même endroit, avait perturbé le public au point de lui déplaire par son inventive mise en scène d’Iphigénie en Tauride, mais qui fut cette fois très bien accueillie. Une fois la surprise passée de voir surgir sur scène une rangée de vespasiennes surmontées d’écrans plats, une salle de bain, ou encore une piscine coupée en deux, on se laisse séduire. Et l’on parvient, par ces éléments de l’intime, à entrer soi-même dans cette intimité des personnages, qui se mettent à nu (parfois même au sens propre), ce qui contribue à retrouver d’une certaine manière la portée philosophique de la pièce de Karel Capek, dont est tiré le livret, que Janacek avait quelque peu délaissée.

Grâce à cette mise en scène, l’œuvre de Janacek prend de l’ampleur. L’élixir de vie dont il est question dans la pièce de Capek, semble avoir été trouvé, pour Warlikovski, par Marilyn Monroe, star éternelle, et par l’art, notamment cinématographique ou, dans une acception plus large, par l’image. Marilyn est présente d’un bout à l’autre, tant dans l’image que prend Emilia Marty que dans les multiples références qui y sont faites dans le décor. Le cinéma et l’image également, par l’actrice Marilyn, par le décor qui recrée une salle de cinéma, par les images diffusées, mais aussi par le jeu d’acteur des chanteurs. Si la perspective de vivre 337 ans comme le personnage principal de cette œuvre est définitivement inenvisageable, l’on semble nous dire que l’art et la célébrité parviennent à donner une vie après la mort non pas à des individus mais à leur image, intrinsèquement éternelle, qu’ils ont contribué à créer pendant leur première vie de simples mortels. Là semble être le seul élixir de vie à notre disposition. Une longévité qui passe toutefois par une étape incontournable : la mort.

L’Affaire Makropoulos : Opéra Bastille, Paris 12ème ; Séances les 27, 30 avril, 4, 8, 11, 14, 16, 18 mai à 20 heures ; 1h35 sans entracte ; Places de 5€ à 130€

Direction musicale : Tomas Hanus ; Mise en scène : Krysztof Warlikovski ; Chef des Choeurs : Peter Burian

Emilia Marty: Angela Denoke ; Albert Gregor: Charles Workman ; Jaroslav Prus: Vincent Le Texier ; Vítek David: Kuebler ; Krista Karine: Deshayes ; Janek: Ales Briscein ; Maître Koleanaty: Paul Gay ; Hauk-Sendorf: Ryland Davies

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