
François Hollande : « Il ne faut pas chercher toujours la perfection, mais le progrès »
Dans un contexte de questionnements quant à l’intégration européenne, l’avenir de l’État français mais aussi d’un monde très instable, l’ancien président de la République François Hollande exprime ses positions sur les maux actuels du monde et livre ses pensées quant à l’avenir institutionnel de notre pays.
LA PÉNICHE. – L’administration, vous en êtes issu, vous la connaissez. Votre successeur a souhaité réformer la haute fonction publique, en remplaçant l’ÉNA par l’INSP, avec un concours d’entrée modifié, la suppression du classement de sortie et la fusion des grands corps de l’État en un unique corps des administrateurs de l’État. Cette réforme va-t-elle dans le bon sens ?
François HOLLANDE. – Des réformes, il en faut quand il s’agit de mieux faire travailler l’administration et d’assurer aussi une diversité dans son recrutement et notamment pour les emplois de dirigeant de ces administrations. Je ne vais pas mettre en cause la volonté d’ouvrir l’ENA et même d’en changer le nom – si tant est que cette terminologie le nom change l’institution. En revanche, il n’était pas bon de fusionner les corps de l’État et de remettre en cause des carrières qui se déroulaient – qui s’effectuent d’ailleurs toujours – pour la diplomatie, pour la préfectorale, ou encore pour les finances. Former des spécialistes n’empêche pas les mobilités indispensables.
Le système de cooptation n’est pas le bon.
De la même manière, si les grands corps doivent évoluer et s’ouvrir davantage, le système de cooptation n’est pas le bon. Il existait des classements, ils pouvaient toujours être discutés – notamment les disciplines qui étaient proposées pour les réaliser. Aujourd’hui, c’est chaque corps qui organise lui-même les modalités et l’accès, sans qu’on en connaisse les modalités. Je continue de penser qu’il faut garder le principe de l’examen, du concours et donc du classement.
Ne pourrait-on pas penser qu’il est plus logique que les hauts-fonctionnaires candidatent auprès des administrations qui les choisissent, et pas l’inverse ?
C’est légitime que l’administration puisse avoir ses préférences mais elle n’est pas une entreprise privée qui est rompue aux séances de recrutement. L’État ne va pas quand même avoir recours à des chasseurs de tête pour embaucher tel ou tel fonctionnaire. La motivation, la vocation, ça compte. J’ai connu des élèves de l’ÉNA (ou l’INSP) qui passaient le concours pour être diplomate, préfet, ou être au Conseil d’État par exemple et, s’ils n’y arrivaient pas forcément, ils ne désespéraient pas pour autant de la fonction publique.
À propos de nos institutions, certains pensent que la Cinquième République est à bout de souffle. Dans votre livre Les Leçons du pouvoir, vous suggériez par exemple de supprimer la fonction de Premier ministre et de présidentialiser davantage le régime. Y êtes-vous toujours favorable ?
La constitution de la Cinquième République s’est révélée plutôt souple et plastique. C’est encore vrai aujourd’hui. Elle permet qu’un gouvernement qui n’a pas de majorité puisse durer et à un président désavoué après une dissolution d’aller au bout de mandat. S’il faut une évolution institutionnelle, un véritable régime présidentiel mérite d’être considéré. Il donnerait paradoxalement beaucoup plus de pouvoir au Parlement, mais il présenterait l’inconvénient – et je le mesure – de verticaliser encore davantage la fonction présidentielle. Si on ne veut pas aller jusque-là, je préconise de revenir à ce moment-là aux origines même de la Cinquième République, avec un chef de l’État en surplomb qui fixe les grandes orientations, agit sur le plan international, et assure comme chef des armées la défense du pays et avec un gouvernement disposant au sein de l’exécutif d’une plus grande autonomie. Dans cette configuration, le scrutin proportionnel pourrait sûrement trouver sa justification avec la formation de coalitions, le temps des majorités absolues serait révolu.
C’est donc quelque part un changement d’avis, étant donné que vous vous disiez n’être pas favorable à la proportionnelle parce que cela favoriserait les extrêmes par le jeu des coalitions…
La politique évolue plus vite que nos esprits. Aujourd’hui, l’extrême droite a maintenant avantage à garder le scrutin majoritaire, et les partis républicains ont intérêt à la proportionnelle.
L’évolution de nos institutions peut aussi passer par l’Europe. Vous exprimiez l’idée d’avoir un budget militaire commun avec l’Allemagne, et même de partager notre siège aux Nations Unies…
Je n’ai jamais été jusque-là. Je récuse l’idée possible de partager le siège des Nations Unies, dans le cadre d’une réforme du Conseil de sécurité pourtant souhaitable. En revanche, je milite pour un rapprochement entre la France et l’Allemagne, sur le plan militaire (ce que font les Allemands en se réarmant en ce moment), ce moteur franco-allemand doit assurer la sécurité du continent.
L’Europe de la Défense ne se fera pas à 27.
Au niveau européen, cela ne nous conduirait-il pas à long terme à un État fédéral ?
Non, l’Europe de la Défense ne se fera pas à 27. Elle passera par des coalitions d’États qui iront plus vite que d’autres, pour régler les urgences et préparer les choix à long terme. Toute l’Europe ne peut pas aller au même rythme.
L’Europe peut-elle encore s’élargir en intégrant l’Ukraine, par exemple ? Vous disiez en 2023 à propos des accords de Minsk qu’ils avaient aussi permis de gagner du temps pour permettre à l’Ukraine de se réarmer pour se défendre. Cela veut-il dire que vous ne croyiez déjà plus ou pas à une paix durable entre l’Ukraine et la Russie ? En espérant que la fin de la guerre arrive vite, intégrer l’Ukraine dans l’UE permettrait-il de solidifier la paix ?
Accueillir dans le moyen ou long terme l’Ukraine dans l’UE, c’est une perspective pour consolider l’économie ukrainienne et réaffirmer l’ancrage démocratique de l’Ukraine. Mais l’UE n’est pas une alliance militaire, donc l’adhésion de l’Ukraine ne donnera aucun moyen supplémentaire à ce pays – si tant est que le processus d’adhésion débouche rapidement. Avec Minsk, l’Ukraine n’a pas gagné du temps, elle a fait en sorte de se réarmer pour prévenir le pire. C’est la Russie qui l’a ensuite envahie, ce n’est pas l’Ukraine qui a porté une attaque à l’égard de la Russie – et la Russie n’avait rien à craindre de l’Ukraine. Voilà pourquoi il est si important de donner des moyens militaires au pays agressé.
En France, des manifestations se sont tenues le 22 mars 2025 contre le racisme et différentes formes de discrimination ; le même jour un rabbin a été agressé à Orléans. Comment expliquer le fait que, aujourd’hui, en France, il y ait autant actes racistes et antisémites (plus de 1570 en 2024) ?
Une propagande agressive, hélas, s’est diffusée depuis des années contre l’État d’Israël. Cette propagande laisse penser que tout juif est un soutien du gouvernement de Netanyahou et est donc responsable de ce qu’il se passe à Gaza. Cette présentation fallacieuse et les menées complotistes n’est pas pour rien, quoiqu’en disent ses auteurs, dans la multiplication des actes antisémites. Lesquels s’alimentent des clichés traditionnels de l’extrême droite.
Pendant des mois après les attaques terroristes du 7 octobre, la population de la bande de Gaza a été bombardée par le gouvernement de Netanyahou. La perspective d’une paix s’est-elle éloignée après qu’il a rompu le cessez-le-feu en reprenant les bombardements ?
Oui, l’appui américain de Netanyahou par Trump explique pour beaucoup ce qu’il s’est produit ces derniers jours, c’est-à-dire la suspension de la trêve. Or tout devrait être fait pour convaincre le gouvernement de Netanyahou de préparer un accord plus large pour l’avenir de Gaza, et d’une manière générale de la Cisjordanie, avec de la Palestine dans son ensemble. Le rôle de l’Europe et des pays arabes est précisément d’exiger du Hamas de libérer les otages le plus vite possible – et de convaincre le gouvernement israélien de revenir à la raison et de ne pas entrer dans la logique de l’évacuation de la population de Gaza comme Trump en a scandaleusement fait l’hypothèse.
Il faut être ferme à l’égard de l’Azerbaïdjan, tenté par une reprise du conflit.
Il est d’autres conflits, d’autres situations dont on parle moins, celle des Arméniens par exemple. Actuellement, se tiennent en Azerbaïdjan des simulacres de procès des anciens responsables de l’Artsakh (Haut-Karabakh), qu’on aperçoit même sur les images avec des dents manquantes qui témoignent de la torture qu’ils subissent dans ces prisons… Comment la France peut-elle les aider ? Du côté de l’UE, est-ce cohérent et moralement acceptable de qualifier Vladimir Poutine de « dictateur » – ce qu’il est – et Aliyev de « partenaire fiable » et donc d’acheter du gaz azéri mais pas russe ?
En effet, d’autant que le lien entre l’Azerbaïdjan et la Russie est assez évident et que Poutine, en lâchant les Arméniens, a laissé les Azerbaïdjanais occuper des territoires sur lesquels ils n’ont aucun droit. Des négociations pour un traité de paix sont en cours, que l’Azerbaïdjan fait traîner, tenté par une reprise du conflit. Il faut donc être ferme à l’égard de l’Azerbaïdjan. Or, acheter de gaz russe, acheter du gaz à l’Azerbaïdjan, c’est entretenir les revenus de pays qui ne respectent pas le droit international.
Quelles réponses internationales serait-il possible de donner aux régulières cessions de micro-territoires arméniens et à la présence de soldats azéris sur le territoire arménien – sans même parler du cas du Haut-Karabakh ?
Le Haut-Karabakh a toujours été un territoire discuté. Il est occupé sans connaitre le souhait de la population concernée puisqu’elle a été évacuée. Mais au-delà du Haut-Karabakh, il y a maintenant des zones qui sont occupées par l’Azerbaïdjan en toute illégalité.
Il y a eu une part de naïveté sur ce qu’était la coalition des forces qui avait pris le pouvoir en Syrie.
Concernant la Syrie, la dictature de Bachar el-Assad a été renversée par une coalition de rebelles, incluant des djihadistes, des anciens d’Al-Qaïda, des terroristes – en tout cas considérés comme tels par une cinquantaine de pays. Quelques mois plus tard, 1300 civils ont été massacrés en quelques jours. Les responsables politiques occidentaux de manière générale se sont-ils réjouis trop vite ?
Il y avait des raisons de se satisfaire de la chute de Bachar el-Assad. Il a commis des crimes effroyables et a été pour partie à l’origine de la création de Daesh. Néanmoins, il y a eu une part de naïveté sur ce qu’était la coalition des forces qui avait pris le pouvoir. Dans cette coalition nous trouvons à la fois des vrais opposants au régime depuis toujours, des terroristes repentis – dont le chef actuel du gouvernement – des Turkmènes qui s’en prennent aux Kurdes… Ces derniers jours des exactions contre les Alaouites ont été relevées. Je suis à la fois très attentif à ce que ne se reproduisent pas des règlements de comptes et à ce que soit stabilisé le nouveau régime. Il n’est pas possible de lever les sanctions si on n’a pas ces garanties-là. Les Français ont un lien historique et humain avec la Syrie. Elle doit être sévère si des exactions sont commises, protectrice s’il faut accueillir des populations qui pourraient être victimes de ces agressions et aussi disponibles pour assurer la mutation démocratique de la Syrie.
Il ne faut pas chercher toujours la perfection, mais le progrès.
Ayant exercé la fonction de président de la République, seriez-vous d’accord pour dire que « le mieux est l’ennemi du bien » ?
Oui, c’est un principe qui se révèle assez juste dans beaucoup de domaines, c’est-à-dire qu’il ne faut pas chercher toujours la perfection, elle n’est pas nécessairement de ce monde. Il faut chercher le progrès, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’est-à-dire penser que le progrès est un chemin linéaire – même s’il peut y avoir quelquefois des bifurcations. Faire que nous puissions faire avancer l’humanité étape par étape. Tel est l’enjeu de la politique.
Le gouvernement de François Bayrou peut-il parvenir à progresser d’ici à 2027 sur des sujets importants, comme l’éducation, la sécurité ou la retraite ?
Il n’a ni ces objectifs ni les moyens d’y parvenir… Dans sa situation politique, les grandes réformes me paraissent difficilement à sa portée. À partir de là, il lui revient de gérer le pays au mieux, d’éviter les régressions et de donner sa chance au dialogue social, ce qui s’est ouvert pour les retraites. Quand un gouvernement n’a pas de majorité, il lui revient de s’appuyer sur la société, c’est elle qui va lui donner la force dont il manque.
D’ailleurs, sur la retraite, certains ont été étonnés qu’après votre quinquennat, vous vous inscriviez dans un programme ou une ambition de la ramener à l’âge de 60 ans…
Non, je n’ai jamais pris cette position. J’ai fait voter la réforme dite Touraine dont l’objectif était d’allonger la durée de cotisation – c’est à mon avis le meilleur des systèmes dans un régime de répartition –, garder l’âge de 62 ans – même si on sait qu’un certain nombre de nos compatriotes partent après – mais permettre aussi à ceux qui ont travaillé longtemps de partir avant. C’est pour cette raison que la borne d’âge n’est pas le système le plus juste.
Si vous pensez que la démocratie ne va pas bien, qu’il y a un risque pour l’avenir du pays, alors engagez-vous.
Auriez-vous des conseils à donner aux jeunes qui veulent s’engager dans la chose publique ?
Oui, adhérer à un parti politique. C’est ce que vous avez de mieux à faire. Si vous pensez que la démocratie ne va pas bien – ce qui est vrai –, si vous pensez qu’il y a un risque pour l’avenir du pays, alors engagez-vous.
Propos recueillis le 24/03/2025 par Albert Ghazaryan.

