« Dis, tu veux être mon meilleur ami ? »

Charles de Gaulle et son compère allemand Konrad Adenauer,

Ne faisons pas du Traité de l’Elysée plus ce que qu’il est.

La naissance de ce texte fondamental correspond peu ou prou à celle de nos parents. Est-ce pour autant que nous-mêmes serions fondamentalement les enfants du Traité de l’Elysée ? Pas complètement,car le contexte a bien changé.

Si la signature du Traité de l’Elysée, le 22 janvier 1963, par notamment le Président de la République française et le Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, est sans le moindre doute une formidable avancée dans la mesure où elle poursuit des objectifs de réconciliation et de coopération entre deux pays qui – on le rappelle souvent sans comprendre – consacrent le rétablissement de bons rapports entre Paris et Bönn, elle consacre également une conception bilatérale de la diplomatie et une philosophie qui aujourd’hui ne nous semblent plus parfaitement adaptées. Sans évidemment tout jeter, peut-être serait-il venu le temps de nouvelles bases, à l’heure où le couple franco-allemand est, de façon contrainte ou volontaire, amené à se redéfinir.

Deux chrétiens-démocrates reprennent les affaires en main

Car ce que ce traité illustre avant tout, c’est bien la conception de l’Europe et de l’amitié franco-allemande partagées par les deux hommes d’État. Le Général Charles de Gaulle et le Docteur Konrad Adenauer ont en effet de nombreux points communs. Nés à la fin du XIXème siècle, ayant connu la première guerre mondiale et résisté contre le nazisme durant la seconde, également opposés au communisme, l’un et l’autre sont des chrétiens-démocrates d’une envergure et d’une intelligence bien supérieures à celles de leurs adversaires politiques de l’époque.

En matière d’affaires étrangères, leurs objectifs, s’ils sont similaires, diffèrent quant aux méthodes. D’une part, le Général, patriote, a à coeur de conserver la souveraineté française dans le monde et s’y emploie au moyen de grand coups d’éclats stratégiques et de spectaculaires déclarations désireuses de marquer l’indépendance de son pays face aux grands – États-Unis, Royaume-Uni, Union soviétique. D’autre part, „der Alte“ feint de renoncer à ce qu’il appelle la “grandeur politique” pour se concentrer sur de petits objectifs autonomes – et bien souvent il atteint ses buts. Il parvient entre autres, ce qui surprendra ses contemporains, à rétablir des discussions avec l’État d’Israël, à obtenir la libération de nombreux prisonniers en territoire soviétique, et surtout à lancer le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest qui, dans le cadre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord qu’elle intègre en 1955, disposera d’une Bundeswehr déployant le contingent le plus important numériquement devant le Rideau de fer – mais néanmoins pas à cent pour cent débarrassée d’anciens officiers proches de l’ex-pouvoir national-socialiste.

Très bilatéral, pas très européen
Deux domaines de coopération, surtout, sont évoqués par le Traité : les affaires stratégiques (diplomatie et défense) et l’éducation – un des aboutissements les plus connus étant bien sûr la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Certes, des jumelages de villes, des associations, cercles amicaux, lycées franco-allemands, et donc le rapprochement des citoyens et des sociétés civiles n’a pas été entièrement oublié. Mais cela n’est pas le plus important. Les modalités essentielles, ce sont des concertations bilatérales avant toute décision d’ampleur en matière de politique étrangère, des sommets réguliers comme le Conseil des ministres franco-allemand depuis 2003 et des mises en scène d’amitié – qui d’ailleurs agacent de plus en plus ouvertement Berlin dans la mesure où, sur les grands sujets, plus aucun cap commun n’est, à défaut d’être respecté, même défini, un comble alors que le Traité formule explicitement l’objectif de “parvenir, autant que possible, à une position analogue”.

Plus curieusement, alors que l’on présente le fameux “couple” comme un moteur pour la construction de l’Union européenne – ce qu’il se s’agit d’ailleurs pas de nier, le texte ne contient que très peu d’allusions au projet communautaire dans le texte, il y est écrit que les consultations préliminaires porteront “entre autres sur les sujets suivants : problèmes relatifs aux communautés européennes et à la coopération politique européenne ; relations Est-Ouest, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique ; affaires traitées au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et des diverses organisations internationales auxquelles les deux gouvernements sont intéressés, notamment le Conseil de l’Europe, l’Union de l’Europe Occidentale”. On déplorera pour finir les voix discordantes de Paris et de Berlin en ce qui concerne l’actuelle intervention militaire au Mali.

Benoît Rinnert est le rédacteur en chef du Parvenu (http://leparvenu.net/)

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