Critique ciné : Une place sur la Terre
Après la littérature, La Péniche reprend le chemin des salles obscures avec une première critique du troublant « Une place sur la Terre » de Fabienne Godet.
Antoine est un photographe qui a mis son talent au placard pour pouvoir descendre son whisky tranquille et mieux faire la gueule. Un jour, quelques accords de Chopin joués par une voisine mélomane vont le heurter, l’attraper et le fracasser contre cette jolie jeune femme un poil neurasthénique. Lui a su apprivoiser son spleen et en rigole bien, elle le subit de plein fouet. Lui enfouit ses talents de photographe dans diverses addictions, elle s’oublie dans la musique. Cette histoire est celle de deux être écorchés, écoeurés par l’existence qui vont se découvrir, s’apprivoiser et s’éclairer mutuellement.
En haut de l’affiche, un Benoît Poelvoorde que l’on ne connaissait pas dans ce registre, lui d’habitude déconneur lunatique et qui livre ici une touchante interprétation d’Antoine, cet alcoolo dont le meilleur pote est un gamin de 8 ans qui s’habille en princesse. Face à lui, la jeune et jolie Ariane Labed, franco-grecque relativement inconnue des radars mais qui apparaît comme une vraie très bonne surprise. Elle forme avec le Belge un couple singulier, assez cohérent tant leurs parcours paraissaient devoir se rejoindre.
Brillant techniquement, ce film peut laisser à certains un goût d’inachevé, d’inabouti. Qui sont ces personnages dont on ne sait presque rien ? Pourquoi Antoine le poivrot s’occupe-t-il de ce petit Matéo ? Comment expliquer le malheur de cette jeune étudiante ? Toutes ces questions n’ont pas besoin de réponse, le but de ce film n’est ni de démontrer, ni de chercher à tout expliquer, il veut juste nous saisir par les tripes. Et il le réussit franchement. L’appareil d’Antoine se transforme donc fréquemment en caméra de cinéaste et ces plans, très poétiques et dénués de bavardage, sont chargés d’une émotion assez rare au cinéma. Pas la peine de chercher à comprendre ces personnages, donc ; mais juste se laisser porter par les vicissitudes parfois drôles, toujours inattendues de leurs existences.
Le personnage de Poelvoorde ne doit pas bien connaître ses Hitchcock, ou en tout cas n’avoir jamais vu Fenêtre sur cour. Car Antoine fait ici la même expérience que James Stewart, à savoir qu’à prendre en photo les voisins d’en face, on prend le risque délicieux de s’attacher à leur vie et d’en devenir un acteur central.