Gouverner en temps de crise, selon Édouard Philippe

Covid 19, guerre en Ukraine, crise énergétique et environnementale… face aux enjeux et menaces qui pèsent, Édouard Philippe en appelle plus que jamais au changement et à l’action.

Comment gouverner en temps de crise ?

Tel était le sujet choisi par l’association Olivaint pour sa conférence inaugurale. La question est aussi actuelle que délicate. Gouverner implique de faire des choix, mais comment savoir quel est le bon ? Comment mener à bien une politique quand de part en part le monde pour lequel on avait imaginé celle-ci se désagrège ? La prudence nous empêche-t-elle d’agir ou, au contraire, est-elle nécessaire à l’action ?

En ces temps troublés par l’avènement de régimes “illibéraux”, voire autoritaires ou totalitaires ; où des menaces d’ordre politique, géopolitique et écologique pèsent sur nous, Edouard Philippe en appelle à notre « pensée stratégique », autrement dit à se doter d’outils de réflexion et d’action nécessaires à la garantie de la stabilité.

ÉDOUARD PHILIPPE, UNE ASCENSION AU SOMMET DES INSTITUTIONS. 

Né en 1970 à Rouen, diplômé de Sciences Po et de l’ENA, Édouard Philippe devient membre du Conseil d’Etat. Le haut fonctionnaire passe d’abord dix ans dans les rangs du Parti Socialiste (PS), avant de  rejoindre Les Républicains (LR). Il participe à la création de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) aux côtés d’Alain Juppé. 

Élu Maire du Havre en 2010, député de la Seine-Maritime en 2012, il est nommé Premier ministre par le président Emmanuel Macron en 2017. Il exerce cette fonction jusqu’à sa démission en juillet 2020.

DE LA DIFFICULTÉ D’UN PREMIER MINISTRE…

Dès lors, gouverner en temps de crise est, pour lui, chose faite. De 2017 à 2020, alors qu’il est Premier ministre, les sujets épineux se sont enchaînés : de la ZAD  de Notre Dame des Landes à la pandémie de la Covid, en passant par le projet de réforme des retraites et le mouvement des gilets jaunes.

Défini par son « aversion au risque » par les animateurs de la conférence, il entame celle-ci en réfutant ce qualificatif. Prudent, certes, mais pas fondamentalement opposé au risque: 

“Le risque se mesure, et se prend”.

Édouard Philippe

… À LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DES CHOIX. 

Gouverner implique par essence de prendre des risques, il s’agit sans cesse de choisir, rappelle-t-il. 

Par conséquent, gouverner c’est aussi renoncer à des solutions qui auraient pu être meilleures. Celui qui ne renonce pas ne fait pas de choix réels. Edouard Philippe souligne aussi la nécessité de penser collectivement de manière stratégique, si l’on veut, in fine, obtenir un effet sur les politiques publiques.

Pourtant, choisir est aujourd’hui de plus en plus difficile. Nous sommes en effet confrontés à des enjeux de taille : le monde est en profonde mutation et nos repères vacillent. Dans ce contexte, la prudence n’est certainement pas à négliger.

Le maire du Havre s’est donc exprimé sur les principaux enjeux et problématiques contemporains : la crise des institutions, du système judiciaire et institutionnel, la crise écologique et la situation économique. 

SA VISION DE LA GESTION DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE 

Interrogé sur son rapport à l’écologie, il réaffirme fermement sa position défavorable à la décroissance. Pour lui, s’adapter passe certes par une forme de sobriété, mais il croit à la puissance du progrès technique, qui constitue, selon lui, un chemin préférable à celui de la décroissance. S’il est nécessaire de “changer de système”, Edouard Philippe souligne son attachement aux énergies nucléaires, celles-ci devant s’inscrire dans un mix énergétique varié et aussi décarboné que possible. Enfin, si le maire du Havre insiste sur le fait que l’écologie est un impératif essentiel, il estime qu’il n’en demeure pas moins d’autres sujets qu’il est tout aussi urgent d’adresser.

DES ENJEUX GÉOPOLITIQUES. 

D’un point de vue géopolitique, les mutations sont de taille. La Chine, par sa croissance économique vertigineuse, « déplace les équilibres » et nous confronte à de nouveaux enjeux tels que nous n’en avons jamais connus. La Russie est tout aussi alarmante: les buts de Vladimir Poutine sont obscurs. Ces “démocratures” inquiètent également – car elles révèlent une remise en question profonde de nos acquis, et du modèle démocratique, qui ne semble plus être un idéal. 

UNE OBSERVATION DES INSTITUTIONS FRANÇAISES. 

Il y a aujourd’hui une nécessité de s’interroger sur les intérêts français afin de les défendre et de les préserver, précise Édouard Philippe. Celui-ci rappelle, par ailleurs, le besoin de questionner nos institutions. Interrogé sur la situation de la Ve République, il réaffirme son attachement à un système qu’il juge relativement stable, permettant à l’exécutif de prendre clairement des décisions (en situation de majorité parlementaire). Pourtant, ces institutions qui ont su s’adapter depuis 1958, lui donnent l’impression que le système « s’ossifie », se segmente, et a, de fait, besoin d’être réformé. 

L’invité souligne le tort que l’on a à penser le système français comme indépassable, le danger se situe précisément dans cette tendance obstinée à croire que notre système serait le meilleur s’il fonctionnait de manière “optimale”. 

À titre d’exemple, il rappelle les défauts français en matière de système de santé : s’il est considéré comme l’un des systèmes les plus efficaces du monde, le modèle français ne saurait se détacher de ses nombreux défauts, (notamment les difficultés d’accès aux soins et sa couverture inégalitaire sur le territoire). Il en va de même pour les services de Justice, qu’il définit comme le maillon le plus faible du système régalien.  

Enfin, il s’agirait de se montrer extrêmement prudent face à la situation économique. Si aujourd’hui la France est encore capable de de financer son niveau de dette, cette conjoncture n’est nullement pérenne.  Chacun peut être sûr qu’il y aura « un problème ». Le pays aurait tort de croire que l’argent public est capable de tout résoudre. Édouard Philippe affirme que le pays est « shooté à la dépense publique », et incapable de répondre aux dynamiques économiques qu’il ne sait plus maîtriser, 

Face à tous ces enjeux qui nous dépassent, ces défis que nous devons relever ; le maire du Havre reste très clair: il faut, plus que jamais, « essayer d’avoir une pensée stratégique ». Conscient des difficultés et des obstacles à surmonter, il en appelle à renouer avec cette pensée qui s’est affaiblie depuis de nombreuses années mais dans laquelle il voit une réponse potentielle.

Gouverner en temps de crise implique de prévoir – et non pas de prédire l’avenir -. Il s’agit de définir une ligne de conduite claire, qui prenne en compte les enjeux à venir et qui sache s’adapter selon ses résultats.