Boris Vian au théâtre

Boris_Vian_2.jpgIl est des anniversaires que nous ne devrions jamais oublier. Parmi ceux-ci, celui du cinquantenaire de la mort de Boris Vian. Cinquante ans en effet que ce chantre de l’absurde et de l’innocence éternelle, ultime réconciliateur de thèmes à jamais inconciliables, est succombé d’une crise cardiaque en assistant, désespéré, à la première de l’adaptation cinématographique de son roman J’irai cracher sur vos tombes . Sa mort à elle seule suffirait à justifier le mythe de cet homme brillant et imprévisible. Mais ce serait ne pas lui rendre justice, car son œuvre, souvent condamnée par son temps, a su traverser les époques. Elle a parlé, et parle encore, à des générations d’idéalistes cyniques, de jeunes révoltés ou résignés mais toujours sensibles et rêveurs. Pour vous mettre en jambe, écoutez cette petit merveille musicale ironique et tendancieuse à souhait: Fais moi mal Johnny!

Boris Vian s’accroche à l’imaginaire, mais livre dans son œuvre une vérité bien plus grande et touchante que de nombreux auteurs réalistes. C’est le cri d’une génération snob et hautaine qui pourtant ne veut pas renoncer à ses rêves. Ou comment concilier l’inconciliable… Dans son roman L’Ecume des jours, sont rassemblés tous les éléments fondamentaux de sa vie : le jazz, l’amour, la mort, la maladie, le travail, de nouveau le jazz… C’est la raison pour laquelle Béatrice de la Boulaye et son Jazz Band Théâtral ont décidé d’adapter pour la première fois au théâtre ce célèbre roman de Boris Vian.

edj_theatre_bis.jpgSur scène, une construction de cubes de couleurs. À droite, le laboratoire du son où l’un des acteurs interprète tour à tour Chloé de Duke Ellington ou la gentille petite souris grise colocataire de Colin (à l’aide d’un tableau de jeu pour enfant). À gauche, le vestiaire où se pressent les multiples costumes loufoques utilisés lors du spectacle. Deux actes plus ou moins bien définis composent cette pièce.

Dans le premier, où se noue l’histoire d’amour entre Colin et Chloé, c’est toute la magie et l’atmosphère presque enfantine du roman de Boris Vian qui sont parfaitement illustrées. Les acteurs s’interpellent, commentent le succès de leurs plaisanteries auprès du public. Les vêtements sont démesurés, rigides, et donnent ainsi aux acteurs des attitudes empotées et affectées dignes d’un dessin animé.

Dans le deuxième, la scène en décrépitude est peu à peu envahie par un énorme nuage de plastique, les tapis de couleur recouvrant les cubes sont arrachés un à un. Dans le roman, les murs se rapprochent, les pièces rétrécissent et s’assombrissent. Au théâtre, l’atmosphère se fait de plus en plus oppressante et, compatissant avec la douleur de Chloé, le public peine à respirer. C’est là l’une des grandes réussites de cette mise en scène : Béatrice de la Boulaye et son équipe sont parvenus à concrétiser dans un espace tangible, les impressions dont est empreint le texte. L’ironie absurde du début comme l’étouffement humide ecume_de_jours_bis.jpgdans lequel se conclut le roman.

Boris_Vian_1.jpgLa plupart des thèmes développés par Boris Vian sont repris sur scène, en particulier celui du travail et de son non-sens. « Pourquoi les gens travaillent-ils ? Pour oublier qu’ils seraient plus heureux s’ils ne travaillaient pas! » La voix du cynique jeune homme de bonne famille élevé entre un père rentier et une mère surprotectrice se conjugue à celle de l’idéaliste forcené nous racontant l’hypothétique bonheur de vivre d’amour et d’eau fraîche dans un appartement où règnent le soleil et les souris. Le travail est ici présenté comme un monde hostile où n’est possible aucun épanouissement personnel. Sur scène, le ton se fait agressif, porté par de grands mégaphones qui rappellent ceux des usines.

Si le spectacle est enthousiasmant, il donne peu de place au jeu des acteurs. En effet, ceux-ci ont tendance à se reposer sur une mise en scène aux nombreuses fioritures qui ne les pousse pas à se mettre en danger dans leur interprétation. Pourtant, L’Ecume des jours au théâtre demeure un joli succès où s’expriment toutes les angoisses, la joie de vivre et la complicité de jeunes comédiens malicieux.

Et pour finir avec un grand classique: le Déserteur.

2 Comments

  • Anne-Sophie

    Comme Florian, petit regret concernant l’absence de la dernière scène…
    Et je ne suis pas du tout d’accord avec l’auteur de l’article concernant les acteurs – c’est eux qui font tout.
    L’actrice qui joue Alise est merveilleuse (gros plus pour sa voix magnifique, à peine voilée et si audible), et bien sûr comment oublier Colin, tellement juste…
    L’actrice qui joue Isis ne m’a pas du tout plue par contre, j’ai trouvé que vocalement, ça n’était pas ça.
    Sinon la mise en scène est globalement vraiment culottée, il y a du réussi et du moins brillant mais ça reste tellement audacieux et original que je pardonne largement. Très très bon pari, de monter Vian avec des moyens limités (parce qu’à part des gros cubes, des costumes étonnants et un dispositif musical… C’est très léger !) mais autant d’imagination. D’autant que c’est la première création de cette envergure pour Béatrice de la Boulaye.
    Bravo à la Péniche en tout cas, de sortir un peu des sentiers battus de Chaillot and co… Qui présentent de très belles choses mais peuvent aussi s’avérer désolants. Dejazet est un joli petit théâtre privé qu’il fait quand même bon découvrir!

  • Florian

    Hey, Marion, je suis allé voir cette pièce cette semaine.
    Effectivement, très réussie, le rythme est très soutenue et la mise en scène intéressante.
    J’ai un peu regretté que les textes issus du livre, magnifiques (mais difficiles), soient parfois lus un peu vite, ce qui faisait perdre pas mal de leur saveur.
    En terme en prise de risque des acteurs, j’ai trouvé que l’actrice qui joue Isis se met quand même bien en risque sur la fin, dans une scène vraiment difficile dont elle se sort bien. Globalement, la fin est épatante de justesse (et donc de tristesse). J’aurais juste préféré qu’on ait droit à la scène finale du livre, où la petite souris demande au chat de la manger…