Blogbuster #1 : Initiations
Pour ce premier opus des « Blogbusters », LaPéniche a sélectionné pour vous trois récits de trois de nos expatriés, sur trois continents différents : Lou fait l’expérience rocambolesque des transports indiens, Arnaud décrypte les Babouchkas russes, et Sami raconte ses angoisses lors de sa première rencontre avec un militaire libanais.
• Le bus de nuit selon Le Routard : « Evitez de prendre le bus, surtout la nuit. Les chauffeurs de bus la nuit, c’est de la folie furieuse. Outre l’état des routes (pas top), les conducteurs, pour tenir le coup, se shootent tous plus ou moins au ‘’bhang’’. Le jeu de mot est facile, mais en pratique ca fait ‘’boum’’. Résultat : en moyenne 10 morts chaque nuit. » Maman, ne t’inquiète pas, si j’écris cette anecdote, c’est que je suis toujours en vie. Bon vous avez compris, j’ai pris un bus de nuit pour rentrer d’Amritsar. Sauf qu’en réalité, l’anecdote se situe ailleurs : au beau milieu de nulle part, voilà le bus qui s’arrête sur le bord de l’autoroute. Panne. Tout naturellement le chauffeur ouvre le moteur (dont la trappe se situe au milieu du bus), farfouille dans le cambouis, resserre un ou deux boulons, bref s’improvise mécanicien. Exténuées par les 8 heures de route bien agitée dans un bus bondé et brinquebalant, par les klaxons incessants et les arrêts intempestifs, tout ce qu’il nous reste à faire est de rire en se demandant : « Il se passe quoi si on redémarre pas ? ». On est finalement repartis, hésitant à applaudir mais se contentant de notre adage « Sois Occidentale et tais-toi ».
(Pour ceux qui aiment les photos, Lou a fait une petite compilation des panneaux les plus absurdes qu’elle a pu rencontrer )
La « Babouchka », ta place de bus tu lui donneras.
S’il ne devait manquer qu’une seule sainte sur les splendides icônes orthodoxes, c’est bien celle là. Personnage emblématique de la société, cette retraitée débordante de bonhomie et de « smetana » (crème à 90% de matière grasse) représente à elle seule un trait culturel. Ah, et pour la bonhomie, je plaisantais, ça n’est malheureusement pas toujours le cas.
Grand mère qui a vécue les queues interminables de l’époque soviétique, la disparition d’un pays, la dévaluation du rouble une bonne centaine de fois et les récits des guerres tchétchènes, vous ne représentez pas grand chose face au bon mètre cinquante de cette grand mère souvent affublée d’un voile à fleur. Non seulement recueil de la mémoire collective russe (certaines ont survécus au siège de Leningrad), mais aussi garante de l’ordre de la société (ce sont souvent elles qui gardent les petits enfants), vous leur devez un respect entièrement mérité. Ce respect sacré s’exprime quasi immanquablement par votre lever au garde à vous pour lui laisser votre place dans les transports en commun, place que vous venez tout juste d’acquérir après trois quart d’heures debout en face d’un névrosé. Normal me diriez vous. Mais ne vous attendez pas dans la plupart des cas à un quelconque remerciement ; c’est un devoir en Russie. Si jamais vous étiez trop distrait ou endormi pour le remplir, vous pouvez compter sur l’intégralité du bus pour vous le rappeler avec un oeil assassin, ou tout simplement par un coup de parapluie bien ajusté de la part de la dite Babouchka.
(Pour ceux qui voudraient en savoir plus, Arnaud a également écrit une anthropologie des jeunes femmes russes qui vaut son pesant de matriochkas)
Cinq heures du matin, j’arrive enfin à Beyrouth. Le thermomètre affiche 25°: j’ai faim, j’ai soif, et puis j’ai trop chaud. Pas le temps de me plaindre, je dois me rendre à l’ambassade française où m’attendent deux camarades. Des camarades qui m’accueillent pour la nuit, donc des amis. Arrivé sur place, personne, pas un chat. Ou si, justement, des chats il n’y a que ça, partout, mais aucune trace de mes amis. Sur le mur, face à moi, une horloge. Cinq heures vingt, toujours personne. J’attends. Je n’aime pas attendre, mais j’attends. De l’autre coté de la rue, j’aperçois des sacs de sable qui feraient de bons sièges. Je m’y assois et sors mon manuel d’arabe. Pour passer le temps, le manuel. Par habitude, je commence à réciter l’alphabet:
– Alif, Ba, Ta, Tha, Jim, Ha (je bute toujours sur la prononciation de cette lettre). Ha. Ha. Ha (pas d’amélioration notable).
Puis, un bruit. Quelque chose comme: Grrr…Grrr…Grrr… A trente mètres de là, une cahutte. Les grincements viennent de là-bas, j’en suis sûr ! Qu’on se le dise, je n’ai pas peur. Non non, je n’ai vraiment pas peur. Mais tout de même, j’aimerais bien vous y voir moi, seuls, dans une rue déserte, et obscure, à cinq heures du matin, dans un pays que vous ne connaissez pas. Ah ! vous feriez moins les malins, j’vous l’dis moi. Puis ces TIC-TAC d’horloge trop bruyants, ces RSHH de chats qui se battent, ces VROUM de voitures qu’on entend au loin, sans parler de ces satanés GRRR, là, juste là, quelques mètres derrière moi. Pas rassurant tout ça ! Je m’approche finalement de la source du bruit. A l’intérieur de la cabane, une ombre aux contours peu nets. En m’avançant davantage, plus de doute, plus d’ombre: un militaire. Il se balance sur une chaise dont les pieds frottent contre le gravier (Grrr…Grrr…Grrr…). Il me voit et se lève. Je le salue, un peu nerveusement, et en arabe bien sûr. Il me regarde, jette un coup d’oeil à mes valises, mais ne me répond pas. Etant particulièrement serein et confiant de tempérament, je conçois alors très clairement la suite des évènements:
Ce militaire va très probablement me kidnapper, me passer à tabac, peut-être même me violer. Puis il me séquestrera dans une cave, au fin fond de la Bekaa, avant de me couper une main ou une oreille qu’il recouvrira de papier bulle et enverra dans une boîte en plastique à ma famille. Ma mère sombrera alors dans l’alcool, ma soeur dans la prostitution, mon frère dans le chômage. Quant à moi, on me réservera une place de choix au journal de treize heures, juste après un reportage sur la foire annuelle aux andouillettes de la ville de Troyes. A SciencesPo, certains de mes bons camarades auront la merveilleuse idée de créer un groupe facebook « Pour la libération de Sami Ouchane ». Puis ils organiseront des chaines humaines devant la Mairie de Paris et vendront des gâteaux à l’entrée de la Sorbonne, pour me manifester leur soutien. Je mourrai trois semaines plus tard, d’une gangrène, ou bien d’autre chose, pourvu que ce soit long, et douloureux aussi. Pour venger ma mort, l’Etat français rétablira le service militaire et déclarera la guerre au Liban. Israël profitera de la situation pour envahir, une fois de plus, le pays. L’Iran, quant à elle, estimera que le moment est enfin venu d’attaquer Israël. Puis, comme une guerre ne vient jamais seule, la Russie attaquera la Chine, la Chine l’Inde, l’Inde le Pakistan, le Pakistan la Turquie, La Turquie Chypre et Chypre le Vanuatu. Les Etats-Unis se retireront de l’ONU et déclareront la loi martiale. En à peine deux mois, le monde aura sombré dans le chaos et il ne restera sur Terre que le peuple helvète, dernier vestige de ce que fut un jour la « civilisation humaine ».
Le bruit de ses pas me ramène finalement à la réalité. Il s’approche de moi, mes yeux restent bloqués sur l’arme qu’il tient à la main. Je sens que les prochains mots vont être décisifs. Ca y est, je suis prêt, prêt à entendre ce qu’il va me dire, il peut y aller. Après un trop long échange de regards furtifs, il se décide enfin à m’adresser la parole:
– « Ha », you have to pronounce « Ha », try again.
Le choc est bien trop rude. Je m’attendais à tout, sauf à cela. M’a-t-il véritablement repris sur ma prononciation de l’alphabet ? Dans le doute, je lui demande de répéter. Même injonction professorale:
– « Ha », you have to pronounce « Ha », if you really want to speak arabic, try again.
Je demeure hébété de longues secondes puis me décide enfin à faire ce qu’il me dit. Il me sourit, me dit qu’il s’appelle Abdel, et me propose de boire un peu de son café. Il n’y a rien que je ne supporte moins que le café mais, n’étant pas en état de refuser, j’en bois une gorgée. Par politesse, je m’efforce de masquer mon dégoût par un sourire forcé puis me présente à mon tour. Nous discutons un peu plus longuement, il me dit qu’il vit à Beyrouth avec sa femme et ses deux enfants, qu’il est actuellement militaire mais qu’avant cela il enseignait l’arabe à Jounieh. Il m’apprend, au passage, à dire quelques mots en libanais, comme « l’ambassade de France », « l’Université Saint-Joseph » et « Les filles sont jolies » (des trois phrases, je vous laisse deviner laquelle m’est la plus utile au quotidien). Mes amis arrivent quelques minutes plus tard. Il est six heures et demi du matin. J’ai faim, j’ai soif, et puis j’ai trop chaud mais j’ai survécu à ma première nuit à Beyrouth. Mieux encore, j’ai rencontré mon tout premier Libanais, et déjà je consigne dans mon carnet les bribes de ce qui allait me servir, quelques semaines plus tard, à rédiger le bien trop long portrait de ce drôle de professeur.
One Comment
Simon
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