Assas contre SciencesPo : ultime joute oratoire

11229535_669016143232085_1121117456_o
© Fédération Francophone de Débat

« On n’a jamais gagné contre Assas » déclarait Inès Bordet, la présidente de Révolte-toi Sciences Po. Ce lundi 4 Mai, l’IEP parisien en avait enfin l’occasion lors de la finale de la Coupe de France de Débat organisée par les fédérations française et francophone de la discipline. C’est dans les locaux du conseil constitutionnel que les deux grandes écoles se sont retrouvées pour une ultime confrontation oratoire.

Qui pour les juger et déterminer l’équipe qui succédera à La Sorbonne ? Les avocats Maître Arnaud Gris, Maître Adrien Guiraud, le célèbre Maître Francis Szpiner, l’humoriste Olivier De Benoist, et le professeur d’art oratoire Cyril Delhay. Jean-Louis Debré, président du Conseil Constitutionnel était également annoncé mais empêché car « actuellement en train de tourner les cinquante nuances debré » nous précise Olivier De Benoist. Le jeu de mots est tordant…

L’équipe d’Assas, endossant lors de cet exercice le rôle du gouvernement et composée de Victor Delatour (Premier Ministre), Pierre-Henri Baert, Lorraine Thouéry et Antoine De Fouquières affrontait l’équipe de Sciences Po dont Laura Bocaert, Maxime Thuriot, Antoine Gastinel et Inès Bordet représentaient les députés d’opposition. Leur sujet, donné quelques heures à peine avant le vote de la loi sur le renseignement : Ce gouvernement autoriserait les services de renseignement à collecter les données des utilisateurs privés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. On annonçait un choc digne de ce nom. Nous n’avons pas été déçus.

 

L’introduction en matière : les trois révoltes.

Rituel traditionnel de ce genre d’événement, trois révoltes précédaient le débat. Pendant deux minutes, trois étudiants s’expriment et se révoltent tout à tour sur un sujet de leur choix. Greco Abira, étudiant à Sciences Po est le premier à prendre la parole : « Aujourd’hui j’ai décidé de me révolter contre les noirs ». Cette dérision fait exploser la salle de rire. « Comment Dieu a-t-il pu créer ces hommes abjectes ? Car Dieu est lumière mais la lumière n’est pas noire ! » rajoute-t-il. Le public est déjà conquis avant l’arrivée de Christophe Zhang, mathématicien étudiant à polytechnique et second orateur : « Je vais me révolter contre cette question : « A quoi servent les mathématiques ? »[…] Je vous le dis, les maths, ça ne sert à rien, mais je m’en fous, j’assume ». Puis Lucas Soave conclue en se révoltant contre la vision commune de l’ancien président Jacques Chirac : « Chirac, c’est une détermination à réussir. Quand Chirac décide, Chirac exécute ».

 

 Un débat dans une ambiance survoltée.

S’en suit le débat tant attendu. Victor Delatour, alors appelé Monsieur le Premier Ministre présente la loi qui sera débattue les quatre-vingt-dix minutes suivantes. Il est hué par le côté droit du public, acquis à Sciences Po, et ovationné par le côté gauche bondé d’étudiants de Paris II. Laura Bocaert, députée d’opposition, lui succède au pupitre en brandissant George Orwell : « cette mesure est inutile et préjudiciable » affirme-t-elle.

Puis c’est au tour de Pierre-Henri-Barrer, ministre : « Durant la guerre, on doit pouvoir doter les pouvoirs publics et l’Etat de moyens suffisants ». Déconcerté, Maxime Thuriot se lève de sa chaise et s’exclame : « Alors pour vous, les ‘moyens suffisants’, c’est d’observer tout le monde ? ». « L’État va vous voir, mais pas vous observer » répond l’orateur d’Assas. La salle explose de rire. On se croirait presque à l’Assemblée Nationale…

Maxime Thuriot prend ensuite la parole au nom de l’opposition : selon lui, cette loi remet en cause la présomption d’innocence pourtant protégée par l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « c’est un premier pas dans la dérive liberticide » ajoute-t-il.

Lorraine Thouéry s’installe ensuite face au public, considéré comme assemblée de députés, et donc à convaincre. Les arguments de l’opposition sont déconstruits un à un. La salle est divisée, applaudit ou hue, en s’exclamant « Démission ! Démission ! ».

Pour l’opposition, c’est Antoine Gastinel qui lui succède. D’une présence affirmée et d’un ton très ironique il s’exclame : « Vous nous demandez de simplement accepter de refuser un petit peu de liberté, mais juste un tout petit peu, c’est-à-dire toute notre vie privée ». Le côté droit de la salle applaudit en furie au milieu de « Il a raison ! » criés des quatre coins de la pièce. « Si vous avez peur d’être espionné, est-ce parce que vous avez quelque chose à vous reprocher ? » se défend le Premier Ministre. Une remarque très vite démontée par le député en argumentant : « vous voulez justement espionner la vie privée de personnes qui n’ont rien à se reprocher ! ».

11229498_669016203232079_1716501813_o
© Fédération Francophone de Débat

Un groupe dans la salle hurle alors en criant « On n’est pas d’accord ! ». Des étudiants de Nanterre, représentant un groupe parlementaire prennent alors part au débat. Une représentante monte au pupitre et affirme : « Le débat de ce soir a atteint des niveaux de démagogie impressionnant ». Elle explique ainsi que le problème n’est pas la collecte de données mais leur traitement : « on n’arrive pas à repérer les profils terroristes ». « C’est parce qu’ils ont fait Assas ! » lance un étudiant sciencepiste en guise de rappel de l’enjeu de l’événement.

Puis c’est un représentant du groupe Chasse, pêche et tradition qui monte sur scène pour défendre son point de vue : il y a selon lui deux dérives à cette loi, la liberté de la presse et le respect de la vie privée.

De retour dans la compétition, les deux derniers orateurs de chaque équipe se succèdent à la tribune. Tout d’abord Antoine De Fouquières pour le gouvernement : « Eux [les députés de l’opposition] sont démagos, moi c’est la voie de la vérité que je propose ». Il est hué. Le débat s’achève avec Ines Bordet.  Elle rappelle que le projet de loi présenté par Victor Delatour prévoit que c’est le Premier Ministre qui doit, ou non, autoriser l’espionnage des suspects. Elle rétorque alors : « A Sciences Po, on n’est pas juristes, mais je croyais qu’un mandat devait être délivré par un juge ». « Ce n’est pas un mandat », répond le Premier Ministre. « Ah oui, pardon, c’est un petit bout de papier », ironise la dernière oratrice.

 Le débat clos et le jury sorti pour délibérer, il est impossible de donner un pronostic sur l’équipe gagnante : les performances oratoires étaient aussi excellentes d’un côté que de l’autre. En dépit d’un temps de préparation très court (vingt-quatre heures), le fond était lui souvent constitué d’arguments justes et pertinents.

 

« Il n’a pas été facile de choisir dans votre médiocrité. »

Après de petits jeux oratoires animés par Sven Najem Meyer, présentateur de la soirée, le jury prend place sur scène.

Maître Francis Szpiner résume alors la performance de chaque orateur. Les critiques fusent du général “Il n’a pas été facile de choisir dans votre médiocrité” au cas par cas « Delatour, je le vois bien aller avec Juppé, il a ce même côté coincé. […] Après, vous êtes très sérieux, dramatiquement sérieux, sérieusement chiant quoi » ; « Antoine Gastinel, vous êtes la caricature de l’homme politique détestable, et c’est dommage » ; « Vous, Antoine De Fouquières, vous êtes le Mélenchon d’Assas ». La conclusion reste cependant unanime : « Vous avez tous de l’audace. Vous êtes des jeunes brillants et courageux. Et vous avez du talent. Bravo. »

Puis le verdict tombe. L’équipe qui remporte cette coupe de France de débat est…..Assas. Paris II reste donc invaincu par Sciences Po. S’en suit le titre de meilleur orateur ou oratrice qui est cette année décerné à la sciencepiste Laura Bocaert.

 

 Sans rancune ?

Déçus, les orateurs de l’IEP sortent cependant heureux de cet événement : « c’était génial » affirme Maxime Thuriot avant de tenter d’expliquer la défaite de son équipe : « On n’a pas été assez rigoureux dans les termes employés. […] Mais ça s’est joué à pas grand-chose, on doit progresser sur le fond car on peut toujours progresser ». Ines Bordet affirme  « On a tous un peu merdé » avant d’expliquer sa position sur le sujet imposé : « C’est un sujet intéressant mais difficile dont on devrait plus débattre ». Ce à quoi Laura Bocaert ajoute : « On n’a pas l’occasion de parler de ce genre de choses alors que c’est justement à Sciences Po qu’on devrait en débattre ».

11227463_669016459898720_489278244_o
L’équipe représentant SciencesPo © Fédération Francophone de Débat

L’équipe d’Assas, qualifiée par les orateurs de l’IEP parisien de « déterminée », « combative », « teigneuse » et « pugnace », craignait l’équipe sciencepiste : « Sciences Po, c’est une équipe très bien entrainée et on sait qu’on ne va pas pouvoir leur raconter n’importe quoi. Ils ont ce bagage qui est dangereux pour nous » précise Victor Delatour. C’est pourquoi ils la définissent comme « réactive », « combative », « sans concessions » mais également comme leur « meilleure ennemie ».

En définitive, c’est dans une ambiance rivale et explosive mais avant tout conviviale que l’événement s’est déroulé. Malgré sa défaite, Révolte-toi Sciences Po compte bien enfin gagner cette coupe l’an prochain. En attendant, l’association travaille déjà dur à la préparation des championnats du monde de débat qui se dérouleront du 18 au 24 Mai. Et avec le talent démontré ce 4 Mai, une victoire sciencepiste est loin d’être chimérique…

Avec les renseignements précieux de Léa Abramski

Championnat du monde de débat : https://www.facebook.com/events/812660275496784/

 

Capture d’écran 2015-05-06 à 15.50.41Dans la même catégorie : « Sciences Polémiques/Révolte-toi, une rivalité avec des hauts et débats » par Marie Zafimehy. « Sciences Polémiques, c’est l’association d’éloquence de Sciences Po, animée par et pour les élèves de Sciences Po » : la profession de foi de Sciences Polémiques a le mérite d’être claire. Depuis sa création en 2008, l’association d’éloquence a en effet réussi à s’imposer comme le mastodonte exclusif de l’art oratoire à Sciences Po. Ou plutôt « avait ». Apparue l’année dernière en Péniche, Révolte-toi fait aujourd’hui partie intégrante de la vie associative de notre campus. Lire la suite.

 

One Comment