«Anora», «The Killer», «All We Imagine As Light», «Shaun of the Dead» : le Smash ou Pass Cinéma #3
Chaque week-end, en partenariat avec le ciné-club 27 Millimètres, La Péniche vous donne son avis sur les films à voir en salle. Cette semaine, Anora de Sean Baker, The Killer de John Woo, All We Imagine As Light de Payal Kapadia, et Shaun of the Dead d’Edgar Wright. Alors smash ou pass ?
Auteurs: Iris Curinier, Louise Crespin, Guillaume Bouyssou
Anora, de Sean Baker, par Iris Curinier
Cela faisait longtemps qu’au cinéma je ne m’étais pas prise à regarder ma montre, réfléchir au prochain devoir à rendre, penser à un autre film, ou pire, à m’ennuyer tout simplement. Assise pendant 2h19 très précisément et happée par Anora du début à la fin, je n’ai cette fois rien fait de tout cela.
Anora « Ani » Mikheeva est une jeune strip-teaseuse qui habite dans un petit appartement partagé, longeant la voie ferrée à Brooklyn. Tout semble changer lorsqu’un soir, elle rencontre le fils d’un oligarque russe qui l’embauche exclusivement pour une semaine avant de la demander en mariage. Alors, une ascension sociale soudaine? Un destin déjoué?
Disons le tout de suite, ce sera fait : l’actrice principale Mikey Madison propose une composition impressionnante qui sublime l’écriture du film et bouleverse dans chaque scène, remplissant tout l’espace. D’autant plus que le reste du casting est impeccable comme le jeune héritier, sa famille ou encore les sbires de son père.
Sean Baker nous plonge dans une fable moderne, où un simple pas de danse et le soutien d’une grand-mère russe semblent pouvoir transformer une vie. Mais en réalité, le poids des attentes sociales pèse lourd, et beaucoup préfèrent que chacun reste à la place qui lui a été assignée.
Un conte de fée version Gen Z, où Anora, avec ses faux-ongles et bottes à plateforme, refuse qu’on décide à sa place ; mais surtout dans lequel elle a réponse à tout avec une répartie et des coups terrifiants .
Anora, c’est aussi pleurer de rire pendant 20 minutes face à une situation absurde et des dialogues finement écrits et brillamment interprétés, avec pour couronner le tout, une photographie et une bande originale parfaitement on theme, qui font sentir l’hypocrisie du velours et des paillettes.
À travers ce film, Baker rend justice à Anora; elle qui n’a l’impression d’exister qu’à travers le regard des hommes, et particulièrement à travers leurs regards désireux. On le comprend d’autant plus à la scène finale, lors de laquelle elle s’élève en figure de martyr d’une société où l’argent peut tout, même acheter un humain pour une semaine et trahir pour un caprice. Anora n’est pas une vile jeune femme qui profite du système pour s’enrichir, elle survit en employant les règles du jeu.
Tout en prenant soin de dépeindre ce que notre société a de plus mauvais, Baker nous dit à travers ce film de garder espoir et de rire malgré tout.
Alors SMASH SMASH SMASH.
Film américain de Sean Baker (2h19). Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Youri Borissov. Sortie le 30 octobre 2024.
The Killer, de John Woo, par Louise Crespin
John Woo réalise lui-même le remake de son film culte de 1989 avec The Killer, sorti en salle le 23 octobre. On y suit la tueuse à gages Zee (Nathalie Emmanuel), qui ne complète pas son dernier « contrat » en refusant de tuer une jeune chanteuse (Diana Silvers). Commence un cycle effréné de poursuites croisées entre grosses têtes du banditisme, Zee, sa nouvelle protégée et l’inspecteur Sey (Omar Sy), policier intègre dont la dernière enquête le pousse à s’impliquer dans l’affaire.
Le film est en mouvement perpétuel, la caméra plonge, se redresse, tourne. Les poursuites, cascades, fusillades, tueries au katana et voitures qui se retournent, s’enchaînent, et le rythme endiablé est interrompu par des moments de suspens où l’on voit parfois des oiseaux blancs voler d’un bout à l’autre du plan.
L’image qui rappelle parfois une carte postale parisienne un peu fade, laisse place à d’autres moments à une esthétique baroque plutôt impressionnante. Le scénario n’est peut-être pas d’une originalité folle, mais on peut quand même se laisser surprendre.
The Killer reçoit un mauvais accueil critique, qualifié de reproduction ratée et vide d’intérêt. Pour moi, c’est un film de genre par excellence où John Woo mêle violence esthétique, combats au ralenti et symbolique mystique pour nous parler de code de l’honneur, de loyauté, d’amitié et de rédemption. Même si le réalisateur reprend certains codes de la série B, il montre surtout son savoir-faire de maître de film d’action.
Donc si vous entrez dans la salle en espérant un bon film d’action, SMASH.
Film américain de John Woo (2h05). Avec Omar Sy, Nathalie Emmanuel, Sam Worthington. Sortie le 23 octobre 2024.
All We Imagine As Light, de Payal Kapadia, par Iris Curinier
Prabha et Anu, deux infirmières d’un hôpital de Mumbai, partagent un petit appartement de la ville, cocon de bric et de broc qui constitue un point de rencontre entre leurs deux vies. Alors que Prabha attend encore son mari parti depuis plusieurs années, Anu entame une relation amoureuse interdite avec un homme musulman… le film retrace quelques moments significatifs dans l’émancipation des deux jeunes femmes.
Alors que la caméra flotte dans la nuit de Mumbai, les voix de tous ceux qui ont quitté leur village pour une ville qui les asservit et leur ôte toute singularité résonnent au milieu des Klaxons. De ce point de vue, il faut saluer la réalisation, pour l’âme qui se trouve dans le film, dans des plans qui cherchent constamment le fond du regard des personnages (avec une photographie magnifique par ailleurs).
Mais la caméra tremblotante apparaît trop souvent comme un effet de style too much, et beaucoup de plans donnent une impression de déjà-vu — notamment dans le métro. Le scénario semble avoir été écrit au hasard, si bien que les scènes s’enchaînent sans but ni cohérence; et certes l’histoire en elle-même n’a peut-être pas été conçue avec un objectif à proprement parler, mais l’aspect contemplatif du film n’est même pas réussi. Tout est lent, trop lent. Et c’est le principal problème; toutes les autres critiques développées ci-dessus n’ont de validité que parce que l’extrême lenteur ne fait qu’exacerber les défauts du film aux yeux du spectateur.
Malgré la lecture intéressante de l’émancipation féminine des diktats maritaux encore très présents en Inde, tout ce qui est censé se mettre au service de cette cause n’est pas assez bien exécuté pour que le spectateur puisse être amené dans une réelle réflexion.
Alors… PASS.
Film indien de Payal Kapadia. Avec Kani Kusruti, Divya Prabha et Chhaya Kadam. Sortie le 2 octobre 2024.
Shaun of the Dead, d’Edgar Wright, par Guillaume Bouyssou
Vous aimez le gore ? Vous aimez le british humour ? Pour Halloween, faites-vous mourir de rire avec Shaun of the Dead. Pour ses 20 ans, le film culte d’Edgar Wright ressort dans quelques salles !
Dans ce premier opus de la folle saga Blood and Ice Cream, le légendaire duo Simon Pegg / Nick Frost incarne deux meilleurs potes que la routine fait crever d’ennui. Dans une banlieue londonienne grise du début des années 2000, la vie de Shaun (Pegg) se résume à son abrutissant travail de vendeur de produits d’électroménager, ses tentatives désespérées de reconquérir sa petite amie Liz, et des soirées de beuverie au Winchester avec son encombrant acolyte de toujours Ed (Frost).
Ce quotidien répétitif et banal est perturbé par une invasion soudaine de zombies qui frappe le Royaume-Uni. Commence alors une épopée délirante et sanglante dans laquelle Shaun et ses proches redoublent d’imagination pour échapper aux morsures fatales des zombies. Les gags tous plus absurdes les uns que les autres s’enchaînent dans une valse de clichés de l’horrifique poussés à l’extrême. Les scènes de poursuite ridicules, les combats démesurément sanglants où volent les têtes, la panique contagieuse, les engueulades interminables entre les personnages, la nullité maladive de Shaun et Ed…
Tout y est ! On accepte, au début avec dégoût, à la fin avec un inquiétant plaisir, d’éclater de rire devant ce gore décalé. D’innombrables références à la pop culture britannique ajoutent un côté jouissif à cette explosion de dark humour qui s’offre à nous pendant 1h40. La cinématographie presque géométrique et méthodique d’Edgar Wright et les dialogues piquants donnent au film un rythme étourdissant. Pegg et Frost frôlent le génie dans leur interprétation. L’œuvre est une parodie parfaite du film de genre et un véritable symbole de l’humour british.
Alors vous l’aurez compris, SMASH !
Film britannique d’Edgar Wright. Avec Simon Pegg, Nick Frost, Dylan Moran (1h39). Sortie originale le 27 juillet 2005. Ressortie le 30 octobre 2024.
À la semaine prochaine pour le Smash ou Pass #4 sous le spectre de l’horrifique.
Et voici le lien pour le Smash ou Pass de la semaine dernière.