2M / Mac-Mahon : un délire devenu bière

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Dans un troquet mozambicain, en juin 2014, les rires résonnent parmi les bruits de verre. Hugo Halimi et Noé Tissot, deux étudiants du programme Europe-Afrique en 3A en plein road-trip de la Tanzanie à l’Afrique du Sud tombent en béatitude avec une bière, la bien-nommée Mac Mahon, 2M pour les intimes.

Six mois plus tard, dans les vapeurs interlopes du Basile, les capsules de 2M dégringolent au milieu d’une foule étudiante harassée par les exams : c’est la soirée d’inauguration de l’arrivée de la Mac-Mahon en France.

Ils l’ont donc fait. Ce qui avait commencé par un délire de soirée est devenu un projet sérieux d’importation de bières mozambicaines en France. Par cartons de 12, 1200 bouteilles de 33 Cl du précieux liquide ont afflué par camion début décembre depuis le Portugal où elles sont importées.

4,5%, une mousse généreuse, un arrière-goût sucré et une étiquette chantant en portugais : l’alcool fait un tabac, à l’angle de la rue Saint Guillaume. « On ne sent pas le goût de la bière, ça me rappelle la Flag [bière ouest-africaine ndlr], ça me rend nostalgique de l’Afrique » s’enthousiasme Rayana, ancienne camarade de promo des deux importateurs. « Ce n’est pas mal, glisse Marine-Betty, en master Finance et Stratégie, mais ça n’est pas assez pour me convaincre de boire de la bière ».

Mathias, Norvégien passé par le Ghana et l’Afrique du Sud en 3A, salue « le côté exotique, qui est le bienvenu pendant ces périodes difficiles en automne-hiver ». Il songe même à s’abonner à un forfait mensuel de livraison de 2M pour tenir le coup au semestre prochain. Son camarade de promo, Pierre, soigne son chagrin de voir Thierry Henry partir à la retraite avec une bouteille : « elle est très sucrée, avec un goût de fraise, si on m’avait dit que c’était une bière française ça ne m’aurait pas intéressé, mais le côté exotique m’attire ».

Du monde et de la joie pour inaugurer la 2M
Du monde et de la joie pour inaugurer la 2M

En s’enfonçant dans les profondeurs du troquet, les bouteilles vides jonchent les tables, et les commentaires se font de plus en plus élogieux : « elle est bonne, bien fruitée, j’en ressens directement les effets », annonce un consommateur dont le regard vise déjà le lointain. « Il y a un mélange oriental et occidental, le résultat est parfait », déclare Christos. « C’est une bonne bière légère, typiquement africaine », renchérit Timothée, son voisin de table qui a déjà testé les bières sénégalaises et sud-africaines. Une légèreté qui ne plaît pas à tous. « Pas mon goût, elle passe, mais quand il pleut comme ça, il nous faut plus fort pour nous remonter. C’est un peu trop une bière passe-partout », déclare un troisième camarade qui préfère garder l’anonymat.

Pas très loin, si le goût de la boisson reste salué, son prix au Basile fait grincer quelques dents. « A 4 euros 50, le bar triple le prix de la bière, ça doit être dénoncé » soupire Karolien, environnée d’amis qui hochent gravement la tête pendant sa diatribe. Adèle, ancienne du Programme Europ-Afrique, se réjouit de pouvoir offrir un carton à sa famille, tandis que son amie Dodo se replonge dans ses « très bons moments passés au Mozambique ».

Et qu’en est-il de ces importateurs ? Noé, désormais en master International Development (PSIA) et Hugo, en double-diplôme d’urbanisme avec la LSE, savourent leurs retrouvailles avec les goulots marbrés de Maputo. Assaillis d’amateurs de 2M, ils répondent à nos questions :

Commençons plutôt par ce qui nous tracasse tous, nous, sciences-pistes passés sous les fourches caudines de Jean-François Chanet : pourquoi ce nom de Mac-Mahon pour une bière ?

Noé : Il faudrait que je me fasse une fiche, tellement les gens me posent cette question ! Alors qu’il était au pouvoir, Mac Mahon avait arbitré en 1875 un conflit entre le Portugal et l’Angleterre pour le contrôle du Mozambique, tranchant en faveur des premiers, permettant d’éviter que la zone passe sous influence britannique. Du coup, en remerciement, la bière nationale porte de nom de Patrice ! Elle est produite intégralement au Mozambique, mais a été rachetée par SAB Miller, grosse holding sud-africaine.

Comment vous répartissez-vous le travail ?

Hugo : Noé écrit beaucoup de mails, donc je lui ai laissé la partie administrative du travail. Je me suis surtout chargé de l’accueil de la marchandise, la plupart des bières étant chez moi actuellement. Mon concierge portugais est d’ailleurs devenu complètement fou en sachant qu’on avait de la 2M et a bien voulu qu’on entrepose des caisses dans le sous-sol.

« Alors qu’il était au pouvoir, Mac Mahon avait arbitré en 1875 un conflit entre le Portugal et l’Angleterre pour le contrôle du Mozambique, tranchant en faveur des premiers, permettant d’éviter que la zone passe sous influence britannique. Du coup, en remerciement, la bière nationale porte son nom »

Comment vient cette idée, quand on est en 3A, d’importer de la bière en France ?

Noé : Ca part d’un délire, où, un peu bourrés on s’est dit qu’on allait ramener cette bière en France. Une fois de retour, on a envoyé quelques mails. C’a été difficile de trouver un interlocuteur, on a dû passer par SAB Miller, l’ambassade du Mozambique et d’autres, jusqu’à ce qu’on ait d’un coup l’accord du directeur des ventes de Cervejas de Moçambique puis du PDG. On leur a dit qu’on n’avait aucune qualification, mais qu’on était motivés et avec un budget suffisant.

Hugo : En rentrant, on s’est dit qu’on allait importer une bière dont on avait oublié le goût, mais on en a gardé un tellement bon souvenir qu’on a trouvé intéressante l’idée. Là on est en hiver, mais en plein été, vous allez voir, la 2M désaltère hyper bien. On a aussi trouvé intéressant le fait de fédérer des gens de tous horizons : Mac Mahon ça parle autant à des royalistes qu’à des communards, ça parle autant à des hipsters qu’à des mozambicains.

Noé et Hugo, les importateurs.
Noé et Hugo, les importateurs.

Quel public visez-vous ?

Hugo : On s’est rendu compte que la bière avait un certain succès parmi le public lusophone, on travaille d’ailleurs avec pas mal de Portugais pour l’importation. Je ne sais pas si on peut parler de « Lusophonie », mais entre pays partageant la même langue, la bière a un certain succès, par exemple en Angola.

Comment se passent les ventes pour l’instant ? Vous faites des bénéfices ?

Noé : Il y a quelques jours, un groupe de Mozambicains de Paris a organisé une soirée dans un théâtre de Bagneux, avec 180 personnes, ça nous a permis de vendre plein de bières. Le personnel de l’ambassade mozambicaine était particulièrement ravi de retrouver la 2M. Là, on va commencer à vendre notre bière dans les bars, qu’on livre à 1€50 la bouteille, ce sera ensuite aux établissements de fixer leurs prix. On reçoit quelques centimes de marge par bouteille, donc une fois qu’on aura écoulé notre stock on aura quelques centaines d’euros de marge à se diviser par deux, donc au vu des centaines d’heures de travail que ça nous a demandé, ce n’est pas pour l’argent qu’on fait ça.

Tout de même, comment trouve-t-on le capital de départ pour financer le projet ?

Noé : Évidemment, certaines personnes n’ont pas d’argent du tout, mais il n’est pas si compliqué de réunir les fonds. Ca nous a coûté 700€ chacun, on avait quelques économies. Je bouffe des pâtes tous les jours aussi, et vivre avec peu d’argent, je sais faire. Mais si tu n’arrives pas à dégager 600€ pour un projet, tu n’arrives à rien, c’est vraiment un minimum. On est en plus certains d’avoir un retour sur investissement assez rapidement.

« Il y a quelques jours, un groupe de Mozambicains de Paris a organisé une soirée dans un théâtre de Bagneux, avec 180 personnes, ça nous a permis de vendre plein de bières. Le personnel de l’ambassade mozambicaine était particulièrement ravi de retrouver la 2M. »

Justement, au niveau du temps, ce n’est pas trop difficile de gérer cette affaire en parallèle du master ?

Noé : Tout le monde ne fait pas le même master, mais perso en PSIA je loupe plein de cours et j’ai des pures notes. (Rires) Avec 16h de cours par semaine en comptant une option, j’ai même le temps de courir le reste de la journée ! Bon, c’est vrai que je ne fais peut-être pas toutes les lectures obligatoires… Mais au moins j’apprends sur le terrain avec ce business. En termes de relation-client et de démarchage, c’est hyper formateur, on a fait le tour des bars pour négocier avec des patrons.

Hugo : C’est ça qui est surprenant, c’est qu’à l’origine on n’étudie pas du tout dans ce secteur, et au final on se lance dans une activité qui pourrait très bien coller avec ce que fait quelqu’un en Fin&Strat ou Droit éco. Donc pour l’instant on relève le challenge, quitte à galérer tout seuls.

Mac-Mahon, c’est un délire passager ou vous vous voyez continuer le business pendant plusieurs années ?

Noé : Je pense que c’est plutôt un délire, ma vie ne se résumera pas à importer de la bière. J’ai d’autres projets de business à côté. Ce qui me plaît, c’est qu’on a ici un projet concret, qui nous fatigue et nous fait faire des efforts. Si quelqu’un veut continuer le délire, je veux bien lui transmettre le projet, vu que je pars en stage l’an prochain et qu’Hugo sera à Londres.

Hugo : Pour l’instant on réfléchit à cette année, mais si ça marche vraiment bien, je suis prêt à continuer, éventuellement. On pourrait alors créer une EURL, vu qu’on a le statut d’auto-entrepreneur pour le moment.

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